3.30.2007

93. Anna de Noailles : "L'honneur de souffrir".

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1927

92. Anna de Noailles : "Le Coeur Innombrable".

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1901
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Source : http://gallica.bnf.fr/ , pour les messages 92 à 97 inclus.

3.26.2007

91. Anna de Noailles : "Le jardin perfide"

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Pourquoi tout mon jardin violent et subtil
Où je vais près de toi dans l'aube et la rosée
S'emplit-il de mystère et pourquoi semble-t-il
Irriter contre moi les branches balancées ...
Autrefois, calme, doux et plein de bons conseils
Il s'ouvrait à ma peine, ardente ou puérile,
Et me versait ses jeux d'ombrage ou de soleil,
Jusqu'à ce que mon coeur fut soumis et tranquille.
[...] Et voici qu'à cette heure où tremble mon destin
Il tâche à repousser mon âme qu'il oppresse,
Pour que lasse, penchante et tendre, ce matin,
J'appuie contre ton coeur mon rêve et ma faiblesse.

3.25.2007

90. Anna de Noailles : " J'ai vu ta confuse . . ."

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J'ai vu à ta confuse et lente rêverie,
A ton front détourné, douloureux et prudent,
Que ton visage en pleurs, qui s'irrite et qui prie,
Te semble un masque ardent.

En vain ta voix m'enchante et ton regard m'abreuve,
Et mon cœur éclatant se brise dans ta main ;
Tu cherches vers le ciel quelque invisible preuve
De mon désir humain.

Tu cherches quel étroit, quel oppressant symbole,
Mêlé de calme espoir, de silence et de Dieu,
Joindrait, mieux que ne font les pleurs ou la parole,
Ton esprit et mes yeux.

Et tandis que ton cœur, craintif et solitaire,
A mon immense amour n'est pas habitué,
Moi je suis devant toi comme du sang par terre
Quand un homme est tué...

89. Anna de Noailles : " Lever au soleil "

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La nuit, sur les coteaux, fait place au jour sacré.
Douceur de voir les cieux, bonheur de respirer,
De baiser au-dessus des champs de seigle et d'orge
Le vent rapide et clair que boit le rouge-gorge !
Comme un agneau couché dans le thym ruisselant,
Mon plaisir se revêt du matin vert et blanc.
Et voici que soudain sur une basse branche
Le soleil vacillant se repose et se penche ;
Il palpite, il se gonfle, il se contracte, il vit...
Soleil impétueux et doux, soleil ravi
Qui tout à l'heure allez enivrer tout l'espace,
Je tends vers vous mes bras heureux, je vous embrasse !
Vous bondissez, je suis ; d'un pas toujours pareil,
Je m’élance avec vous dans l'azur, cher soleil ;
Vous montez sur le mur, vous dépassez le cèdre [...]
Mon être est composé de vos divins rayons...
O flambeau fraternel, sublime compagnon,
Quelle plus douce voix dans l'éther vous appelle ?
La mienne n’a donc pas assez d'amour en elle ?
Hélas ! vous me fuyez, vous jetez dans les cieux
Votre émouvant visage ardent, délicieux;
Et moi, je vais rester attachée à la terre,
Sans vous, triste, oppressée, errante, solitaire...
Toujours vous désirer sans pouvoir vous saisir,
Soleil, brûlant soleil, ah! laissez-moi mourir !

88. Anna de Noailles : " Il fera longtemps clair ce soir "

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Il fera longtemps clair ce soir, les jours allongent,
La rumeur du jour vif se disperse et s'enfuit,
Et les arbres, surpris de ne pas voir la nuit,
Demeurent éveillés dans le soir blanc, et songent...

Les marronniers, sur l'air plein d'or et de lourdeur,
Répandent leurs parfums et semblent les étendre;
On n'ose pas marcher ni remuer l'air tendre
De peur de déranger le sommeil des odeurs.

De lointains roulements arrivent de la ville...
La poussière, qu'un peu de brise soulevait,
Quittant l'arbre mouvant et las qu'elle revêt,
Redescend doucement sur les chemins tranquilles.

Nous avons tous les jours l'habitude de voir
Cette route si simple et si souvent suivie,
Et pourtant quelque chose est changé dans la vie,
Nous n'aurons plus jamais notre âme de ce soir ...

3.24.2007

87. Francis Broche : Anna de Noailles à Amphion.

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[...] Chaque soir, lorsque le temps le permettait,
la famille Brancovan s'élançait, à bord d'une victoria, sur la route d'Amphion à Thonon ou vers les collines du bas Chablais. Assises toutes deux sur le strapontin, Anna et sa sœur goûtaient en silence "le plaisir fortuit de [se] trouver mêlées sans entraves aux douceurs bucoliques et comme jetées en travers du monde végétal" ; la nature achevait alors de prendre possession d'une âme qui semblait, depuis toujours, vouée à son adoration.
Toute sa vie, Anna se souviendra de la route poussiéreuse, des haies de mûriers et d'églantiers, des peupliers feuillus, des troupeaux de petits porcs noirs, des prairies multicolores, des clochers élancés et des maisons basses - spectacle familier et sans cesse renouvelé, au rythme du pas monotone des chevaux: « Absorption de la nature par tous les sens; tressaillement en mon cœur de la poésie »
Souvent, les promenades avaient un but précis: on allait à Meillerie, à Chillon, à Clarens, où avaient séjourné Lamartine, Shelley, Byron; ou bien l'on s'embarquait à bord du Romania, le yacht du prince, perpétuellement à l'ancre au port aux Sphinx et l'on allait à Ouchy, à Lausanne, et jusqu'à Coppet, sur les traces de Mme de Staël. […]
Le dimanche, la famille Brancovan se rendait à la chapelle du couvent des Clarisses de Publier, à quelques kilomètres d'Amphion. A pied, la route était longue, mais elle était bordée de mûriers et de volubilis, et le soleil inondait les collines où bouillonnaient les sources. Lorsque l'on arrivait, il y avait déjà un moment que les cloches avaient sonné le rassemblement des fidèles. Les murs du couvent étaient habillés de clématites; tout autour, les belles villas, abritées par la vigne vierge et les massifs de pétunias, bruissaient de douces rumeurs : "J'ai, pendant mon enfance et mon adolescence, parcouru cette route avec un plaisir si fort qu'il me semble avoir failli mourir de la joie de vivre".
La petite église de Publier semblait une autre image du paradis - humble et radieuse à la fois. Elle était sommairement meublée; les bancs soigneusement encaustiqués sentaient le miel et l'abricot séché; les religieuses disposaient les chaises, les chandeliers, les pots de fleurs selon un rituel mystérieux. Anna était vivement émue par les statues «innocentes, violentes» de sainte Colette et sainte Claire, par le crucifix, symboles d'épisodes à jamais tragiques. Elle accomplissait ses dévotions scrupuleusement; elle possédait, à n'en pas douter, le sens religieux, mais cette disposition de l'âme devait probablement tout au décorum, à la poignante atmosphère du lieu. A la fin de l'office, les religieuses à genoux psalmodiaient un chant, auquel répondaient, invisibles, leurs sœurs cloîtrées : Ils ne connaîtront point cet émoi, ceux qui, sollicités comme je l'étais par les phrases aux mille feux de la vie avenante, n'entendaient pas soudain, pendant quelques instants, le souffle mystérieux des recluses".
Après l'office, l'on passait dans le jardin du couvent et les conversations allaient bon train. Les petites filles épiaient les religieuses, créatures enveloppées de mystère; la grâce irradiait les visages les plus ingrats. Un vieux mendiant arrivait, sautillant sur des béquilles; il s'asseyait sur un banc, au milieu des fleurs. Il était attendu. Une religieuse lui servait un bol de soupe fumant; un autre mendiant venait faire soigner une plaie qui suppurait. […] A tous, Anna apparaissait comme une petite fille imaginative, rêveuse, sensible aux beautés des paysages, de la musique et de la poésie. Elle dévorait des yeux sa mère lorsque celle-ci s'installait au piano. C'étaient pour elle des heures exquises; elle y connaissait une sorte d'extase.
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Intérieur de l'église de Publier

86. Francis Broche : Anna de Noailles à Amphion.


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Toute sa vie, en bien d'autres poèmes, elle ne se lassera pas de décrire ce décor familier et prodigieux, car elle avait toujours su que c'était là le décor d'un "bonheur universel". Elle pourrait habiter d'autres lieux, changer de pays et peut-être d'âme, le chalet et le jardin d'Amphion pourraient disparaître, rien ne détruirait ce qui avait été, qui avait existé une fois et pour l'éternité.
[...] Le visiteur entrait dans le salon où flottait « l'odeur de la gaie cretonne» et « l'arôme de parquet ciré », et où le piano attirait les regards. Lorsque Rachel n'en jouait pas, elle faisait asseoir Anna sur le tabouret préalablement surélevé et annonçait à l'assistance que sa fille allait immédiatement improviser sur un thème que l'on voudrait bien lui donner : "C'est ainsi que, tremblante, embarrassée, mais l'oreille tendue nettement vers l'infini, je reproduisais, à la manière d'une dictée harmonieuse et colorée, le chant des oiseaux, la naissance pâle et puis éclatante du jour, la campagne pastorale, la caquetante et radieuse basse-cour, la rêverie du croissant de la lune au-dessus des magnolias en fleurs qu'enveloppait l'haleine mouillée du lac".
Elle se produisait devant un auditoire conquis d'avance et songeant surtout à ne pas décevoir Rachel, qui avait pour sa fille les plus grandes ambitions. Anna se rendait bien compte que les louanges dont on l'accablait étaient souvent excessives, mais, consciente elle aussi, qu'un destin exceptionnel l'attendait, elle ne se dérobait point et accueillait avec faveur l'idée qu'avait eue sa mère de faire relier dans un album de cuir couleur de noisette les petits morceaux qu'elle avait composés. Elle obtint par ailleurs que l'on y gravât en lettres d'or le nom d'Anna - ce nom qui lui plaisait si fort qu'elle l'inscrivait n'importe où, sur ses cahiers, sur ses livres, sur des cartons à chapeaux et jusque sur le sable des allées d'Amphion. Un moyen comme un autre de se donner confiance, l'équivalent, selon elle, d'un fortifiant pour la croissance !
Plus tard, elle assurera que son nom ne lui plaisait guère, mais qu'un jour un « vieux monsieur» lui révéla qu'il commençait par la première lettre de l'alphabet et qu'il était réversible; le vieux monsieur y voyait une promesse de perfection et elle en acceptait volontiers l'augure.
Chaque jour, à Amphion comme à Paris, il se trouvait quelqu'un pour réciter du Victor Hugo, au milieu d'un silence respectueux. L'émotion gagnait l'auditoire : "Mains jointes, yeux clos, sachant que le miracle toujours s'accomplirait, j'écoutais s'épandre en moi le bonheur noble, chargé de visions. Quel accent avait la frémissante évocation !"
Anna se souviendra toute sa vie d'un certain été de son enfance, où l'on se consacra deux fois par jour au moins à la lecture et à l'exégèse du plus bouleversant poème des Contemplations "A Villequier".
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L'église de Publier

3.23.2007

85. Francis Broche : Anna de Noailles à Amphion.

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Elle grandit sans jamais cesser de contempler le lac; elle est l'enfant d'un jardin merveilleux, suspendu entre le ciel et le lac. Fascinante dualité cosmique, troublante ambiguïté, ouvrant sur une rêverie qui paraissait n'avoir jamais commencé et dont on ne pouvait imaginer qu'elle pût un jour prendre fin. Entre le ciel et le lac, entre la vie et la mort: deux néants, dont l'un était impalpable et l'autre glissait entre les doigts, à l'image d'un temps éternel, que rien ne pouvait retenir : "J'avais la certitude d'être capable de marcher sur les flots. Parfois, au bord du lac Léman, quand la nappe tiède d'une eau bleue bordée d'écume m'invitait à la parcourir, j'ai vu se réduire si étroitement le lien qui nous retient à l'existence que je me suis sentie chanceler avec une préférence égale entre la vie et la mort".
Le visiteur qui arrivait du lac par l'allée des platanes découvrait d'abord les buissons de fleurs que l'été rendait bourdonnants, les pelouses, les bosquets de roses, les magnolias et les héliotropes, puis les terrasses encadrées de marronniers. Une profusion végétale, où régnait - raffinement suprême - un ordre qui ne se devinait guère. Il entrait dans un petit royaume odorant: odeurs du lac, algues, pêcheries, goudron, parfums d'herbes, d'arbres et de fleurs : "Le parfum est le plus prompt véhicule que l'âme puisse emprunter au monde pour rejoindre le passé, l'infini, les cieux".
Levant la tête, il admirait le balcon de bois du premier étage, qu'ornaient deux « B » entrelacés (Bassaraba et Brancovan). S'approchant encore, il pénétrait sur la véranda blanche, qui ouvrait de plain-pied sur le jardin, d'où, entre les cimes des arbres, l'on pouvait contempler le lac : "Je revois la véranda du chalet d'Amphion qui tressaillait le soir aux cris élégiaques des hirondelles dont le vol en sombres et légers coups de couteau poignardait un azur poudré de rose, flamboyant et puis voilé, sur lequel se détachait la danse silencieuse, aux angles aigus, des chauves-souris".
Cette véranda était fraîche tout le jour. Le soir, les trois enfants s'y blottissaient sur des canapés recouverts de laines et de coussins turcs. Anna était à la fois oppressée et accablée de bonheur. Tout le jour, elle avait eu la vision de ce que, sa vie durant, elle assimilera au paradis. [...] Du chalet et du parc qui l'entoure et la protège du monde extérieur, elle aime tout; elle s'émerveille de tout.
Un poème de L'Ombre des jours (1902) s'intitule "Attendrissement". Anna y détaille "ces beaux soleils venus de l'âme et du dehors". Les parfums occupent une grande place dans son souvenir : "le verger vert, avec son odeur d'estragon»; « la senteur de bois du vestibule»; « une sauge velue et bleue, qui sentait fort"; "l'héliotrope mauve aux senteurs de vanille. Elle n'oubliera rien: ni «la porte du jardin qui grince sur ses gonds», ni "le vitrail léger comme des bulles d'eau transparente où joue un vif soleil tremblant", ni "le dallage alterné de marbre noir et blanc", ni "la terrasse aux deux tonneaux de porcelaine", ni le papier aux murs des chambres":
"papiers de fleurs, d'oiseaux, de personnages clairs ...".

84. Francis Broche : Anna de Noailles à Amphion.

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A la fin des années 1870, le chalet Bassaraba et ses alentours n'étaient qu'une friche. D'emblée, le prince de Brancovan avait voulu changer cela, jouant les bâtisseurs; il avait réuni les corps de métiers de la région; il ne s'était pas contenté des entreprises locales, il avait recruté d'excellents artisans dans l'arrière-pays, ce Chablais à moitié sauvage cher à Henry Bordeaux, pays de vignobles robustes et desséchés, de prairies, de taillis et de jardins incultes, qui s'étend entre le lac et une énorme barre de rochers.
Le prince de Brancovan avait commandé de grands travaux. Il ne s'agissait pas seulement de rendre le chalet plus confortable, d'aménager les dépendances mais aussi de construire un véritable château de style romano-byzantin, dont les plans avaient été conçus par Viollet-le-Duc. Il fallait également modifier le paysage, combler un étang, en creuser un autre plus grand, plus beau, aménager un petit port de plaisance, prévoir un court de tennis, planter une immense allée de platanes, des bosquets de sapins, d'ormeaux, de thuyas, des pelouses [...]
Grégoire voyait large et il n'avait pas l'intention de se laisser arrêter par la dépense; il y eut du travail pour tout le monde pendant trois années. Visitant les lieux quelques années plus tard, Claude Vento pourra écrire de «la jolie villa d'Amphion» : "C'est un bouquet de fleurs posé sur le lac, dans le site le plus ravissant de cette côte féerique".
[…] Ce nom d'Amphion évoquera toujours pour Anna l'endroit où elle fut le plus souvent et le plus longtemps heureuse; il lui paraissait symboliser parfaitement l'accord entre l'Art, c'est-à-dire tous les arts, à commencer par ceux qu'elle chérissait le plus: la musique et la poésie - et la Nature. Que l'endroit où elle avait eu, depuis les temps les plus anciens, la conscience parfaitement claire de renaître à la vie et à l'Esprit, se nommât ainsi ne pouvait relever de la coïncidence [...].
Grégoire de Brancovan est assis sur le balcon du chalet. Il boit une tasse de thé et récite des vers de Corneille ou de Racine; pétunias et hortensias embaument le jardin et la maison ouverte, offrant "le spectacle de la jeunesse du monde inclinée sur la transparence de l'eau". C'est l'image même du paradis - le mot reviendra souvent sous la plume d'Anna - et l'un des plus vieux souvenirs de la petite fille. Elle passe à Paris le plus clair de son temps, mais c'est à Amphion que s'éveille réellement sa sensibilité : "Le chalet, les routes, le lac, les collines de Savoie me causaient, quand j'étais parmi eux, un enivrement et, quand j'en étais éloignée, une détresse dont dépendaient ma santé, ma secrète humeur. [ ... ] Dans le jardin du lac Léman, je n'écoutais que les voix de l'univers".[…] Aucun malheur, aucun chagrin ne pouvait ternir le ciel d'Amphion, ou, plus exactement, les ciels, ou mieux encore le double ciel de Savoie : "Je pendais dans l'infini entre le ciel et l'eau» ; «Je dois tout à un jardin de Savoie et au double azur qui m'a éblouie depuis l'enfance. C'est là que l'univers m'a été révélé» L'azur du ciel, mais aussi l'azur du lac".***********************Les quatre textes qui suivent sont extraits de l'ouvrage de Francis Broche
"Anna de Noailles, un mystère en pleine lumière", pages 37 à 56.
Collection : "Biographies sans masque". Editions Robert Laffont

3.22.2007

83. Dans la presse : "Pêche et poissons, 1911 et 1917".

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Des milliers de truites de 3 à 4 ans et de poids presque identique d'une livre et demie par tête sont signalés en ce moment au lac. C'est ainsi que les pécheurs de Rives, d'Amphion et de Grande Rive ont expédié pendant plusieurs jours et chaque matin à Genève un minimum de 400 kg. de ces spécimens choisis. Ces salmonidés qui, de nuit, s'apprêtent à remonter dans la Dranse, sont capturés à l'aide de grands filets lesquels sont tendus à fleur d'eau.
"L'Echo du Léman", le 21 janvier 1911
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A la date du 8 mars courant, M. le ministre du Commerce, Industrie Agriculture, du Travail, des Postes et Télégraphes, a pris la décision suivante: A titre exceptionnel, pendant la durée des hostilités, la dimension minimale de la maille du filet à sac dénommé "monte" pouvant être employé pour la pêche dans les eaux françaises du Léman est réduite de 0 m 30 à 0 m. 25. Toutefois cette réduction ne s'appliquera qu'à une longueur totale de 4 mètres du sac et les bras restants à la maille de 30 mm.
"Le Messager agricole", le 17 mars 1917
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Malgré les rapports circonstanciés qui ont été adressés aux autorités compétentes concernant la pêche abusive de l'ablette communément appelée sardine, aucune décision n'est encore intervenue. Nous nous permettons de déplorer cette indifférence et cette inaction des pouvoirs publics. Plus que quiconque, nous nous intéressons au dur métier de nos pêcheurs et nous nous réjouirions de l'industrie lucrative qui s'est créée sur notre rive, mais nous croyons sincèrement qu'elle est surtout profitable à quelques étrangers et que nos braves pêcheurs imprévoyants de l'avenir tuent la poule aux oeufs d'or sans s'en douter.
"Le Messager agricole", le 29 juin 1917

82. Dans la presse : "Une pêche "miraculeuse en 1896."


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Depuis une vingtaine de jours, les pêcheurs français du lac Léman font de véritables pêches miraculeuses de féras. A Meillerie, Lugrin, Thonon. etc., à certains jours les barques de pêche n'ont qu'à lancer le filet au hasard pour le retirer rempli à casser de ces excellents poissons, la plupart de belle taille. A Meillerie deux pêcheurs ont pris chacun jusqu'à 300 kilos de féras, dans une seule séance de pêche , MM. Jacquier et Lugrin ont encore dépassé ce chiffre : ils sont arrivés jusqu'à celui de 700 kilos. A Thonon la pêche marche de même ; parfois les féras disparaissent pendant 2 ou 3 jours, puis on revoit de nouveau le banc revenir aussi inépuisable. Cette bonne fortune, due à des particularités de température de l'eau dont on ignore la loi, est malheureusement atténuée dans de fortes proportions pour nos braves pêcheurs par la baisse de prix qu'elle a amenée : la féra est descendue ces jours-ci à 1fr. le kilo et même au-dessous, malgré la consommation considérable qui en a été faite dans tout le bas Chablais, villes et campagne. On a demandé s'il n'y aurait pas moyen pour nos pêcheurs lors de ces passages qui sont presque toujours suivis d'une assez longue disette, de conserver vivante une partie de leur pêche dans des réservoirs d'où ils la retireraient au fur et à mesure des besoins.

"Léman républicain", le 18.10.1896 - extrait de l'ouvrage déjà cité
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http://www.peche.ch/techniques/par-especes/fera/index-fera.htm
http://www.poisson-lacustre.ch/page4_5.htm

81. Dans la presse : "Une catastrophe sur le lac Léman ... en 1892"


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Samedi, à midi et quart, au moment où le Mont-Blanc embarquait les voyageurs à Ouchy, une terrible explosion s'est produite. La calotte de la chaudière venait de sauter projetée avec force sur le salon des premières. L'énorme projectile, qui mesurait l m 25 de diamètre sur 0 m 12 d'épaisseur, traversait de part en part le salon, enfonçait la paroi arrière et allait se perdre dans le lac. Un immense jet de vapeur à 150 degrés de chaleur se répandit dans le salon, brûlant tout sur son passage. Six personnes y trouvèrent la mort sur-le-champ, cinq sont mortes pendant leur transport à l'hôpital, onze avant 5 heures, quatre autres pendant la nuit. [...] Le débarquement était achevé ; le capitaine crie : "Embarquement". Au même instant, une formidable détonation se fait entendre, et l'on voit un énorme nuage blanc s'engouffrer dans le salon des premières. C'est l'affaire d'une ou deux secondes. Tout le monde comprend que la chaudière vient de sauter. Des cris s'échappent du salon, des cris de douleur et de terreur indicibles.
Les hommes de l'équipage, les radeleurs, des passagers courageux se précipitent. Ils sont obligés de reculer devant une chaleur atroce. On lance des seaux d'eau froide et quand on peut pénétrer, c'est un spectacle horrible ! Tandis que rien n'a été atteint, ni à l'avant, ni sur le pont du navire, tout est bouleversé dans le restaurant des premières. Et, au fond, comme poussés par un courant irrésistible, les passagers hurlent de douleur au milieu du pêle-mêle des tables en pièces, des vitres et de la vaisselle brisée, des colonnes renversées. Il avait suffi de ce court instant pour mettre ces gens dans un état dont le spectacle fait frissonner encore ceux qui les ont vus.

La Croix de Haute-Savoie le 17 juillet 1892, dans l'ouvrage déjà cité

80. Dans la presse : "Les barques du Léman en 1892"

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La constitution récente de la « Fédération de Bateliers » a ramené l'attention publique sur la navigation à voiles de notre lac. On lit à ce propos dans le Léman: "Et en y réfléchissant, la population terrienne du Chablais s'est aperçu qu'elle ignorait presque tout de cette importante flotte qui fend perpétuellement les eaux bleues du lac. Il faut compter 25.000 francs, pas moins, pour se faire connaître et gréer une barque. [...] Et ce chiffre n'a rien d'excessif si l'on songe que ces barques transportent couramment 75 mètres cubes de pierres, soit environ 112 tonnes, jauge, que beaucoup de navires tenant parfaitement la mer n'atteignent pas. La longueur de quille est en général de 25 mètres, ce qui représente de 28 à 29 mètres de longueur totale pour le bâtiment de l'extrême pointe d'avant au siège du gouvernail. La largeur moyenne, non compris le plancher mobile qui surplombe l'eau tout le tour, est de 7 à 8 mètres, et la hauteur de l'entrepont (ou profondeur du bâtiment) de 3 mètres à 2 m. 50. Mais les chiffres qui surprendront le plus sont ceux qui ont trait à la voilure : la longueur de la vergue est de 25 mètres ; une jolie baguette, comme on voit ! Et la surface de chaque voile est de 150 mètres carrés, soit 300 mètres de toile par barque. Quant à la vitesse des transports à voile, elle varie suivant le chargement ou la force du vent. On a vu des barques vides remonter de Genève à Meillerie en quatre heures d'horloge, comme le bateau à vapeur; avec chargement, le trajet de Meillerie à Genève se fait parfois en six heures. Mais ce sont là des exceptions. En moyenne, une barque peut faire deux voyages par semaine. aller et retour, de Meillerie à Genève, et trois de Meillerie à Ouchy ou Thonon.
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Extrait du journal "La Croix de Haute-Savoie " cité par Marie Thérèse HERMANN dans son ouvrage "Le Chablais d'autrefois"

3.20.2007

79. Maurice Denuzière : "Helvétie" 3/3

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Jusqu'à Saint-Saphorin, où l'on fit souffler les chevaux, les cavaliers restèrent silencieux. La route, contrainte à grimper dans les vignes, développait, en quelques lacets, une rude montée. Elle franchissait un haut promontoire rocheux dont la proue, incontournable par la berge, plongeait dans le lac. Mais, au faîte, l'œil, le corps et l'esprit avaient leur récompense. Saint-Saphorin, posé sur son piédestal, ressemblait à un gros nid de maisons. Serrées autour d'une église au clocher massif comme un donjon, de toutes tailles, mais faites des mêmes pierres d'un blond grisé, couvertes des mêmes tuiles brunes, hérissées des mêmes cheminées trapues, parées des mêmes persiennes, ces demeures exhalaient une inaltérable séré­nité. Cerné de vignes plantées sur des terrasses biscornues qui s'élevaient comme des marches sur les pentes, jusqu'à l'altitude où la végétation alpestre et les arbres reprennent leurs droits, le village parut à Fontsalte un site privilégié, en parfaite harmonie avec la nature environnante, comme enfanté par elle dans un moment de compassion, pour offrir aux hommes une chance de quiétude. […] Depuis des générations, les hommes d'ici avaient entassé, sur tous les replains, entre les barres rocheuses, dans tous les creux, anfractuosités, failles et cassures, la terre qu'ils montaient dans des hottes de roseau et tassaient derrière des murets, eux aussi apportés d'en bas, pierre à pierre, par les plus forts. Les grandes pluies et la neige défaisaient chaque année leur ouvrage, renvoyaient en coulées glaiseuses la chair du vignoble au pied des pentes, au risque de la faire se dissoudre dans les eaux du lac. Et les hommes, inlassablement, remontaient la terre en ahanant.
(ouvrage cité, page 25 et 26)
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Le village de Saint-Saphorin et les vignobles.

78. Maurice Denuzière : "Helvétie" 2/3

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- Et puis, monsieur l'officier, notre Léman est le plus grand lac d'Europe, une vraie petite mer, qui a ses caprices, ses marées, qu'on appelle chez nous seiches, et qui ne sont qu'oscillations mystérieuses des eaux. Il a même ses tempêtes, quand souffle la vaudaire. Savez-­vous que, dans sa plus grande longueur, de Genève à Villeneuve, il mesure plus de trente-trois mille toises ? Et qu'entre Rolle et Thonon, sa plus grande largeur, il fait sept mille cinq cents toises ? Quant à sa profondeur, elle n'est jamais inférieure à trois cents pieds et là-bas, devant la falaise de Meillerie, elle atteint plus de mille pieds, conclut fièrement l'homme en désignant, bras tendu, un lieu de la côte d'en face, perdu dans la brume.
- Je sais que Voltaire en a vanté la beauté, dit aimablement l'officier, faisant signe au maréchal des logis d'éloigner les chevaux de l'abreuvoir.
- Oh! celui-là voyait plus juste pour les lacs que pour les hommes! bougonna le paysan en faisant avancer ses bœufs vers la fontaine (ouvrage cité, page 19)
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La rive suisse du lac, vue depuis le pont d'un bateau de la CGN

77. Maurice Denuzière : "Helvétie" 1/3


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Avec HELVETIE, Maurice DENUZIÈRE nous propose de découvrir les balbutiements d'une Europe à venir. A travers une série de destins soumis aux intrigues, aux intégrismes religieux et à l'affairisme, il montre comment l'idée européenne était, dès 1880, omniprésente sur les bords du Léman .

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En contrebas de la route, le Léman, couleur d'étain, frissonnait sous le léger vent d'est, gorgé d'une saine fraîcheur aspirée sur les cimes enneigées. Une grande barque noire, ventrue, longeait la berge. Ses deux voiles latines, dressées en oreilles, lui conféraient de loin, l'aspect d'un oiseau prêt à l'envol. De lourds écheveaux de brume blanchâtre s'effilochaient de l'autre côté du lac, devant la rive savoyarde, si bien que la partie apparente des montagnes coiffées de blanc semblait sans appui terrestre. Dénués de pesanteur, les sommets neigeux flottaient, tels des icebergs, sur une mer de nuages.
La rive suisse, ensoleillée, livrait au contraire, jusqu'à l'horizon, le feston de ses baies minuscules, de ses caps camards et, appendus à flanc de montagne, retenus par rocs et murets de pierres sèches, les vignobles, fortune du pays. A distance, l'oeil les prenait pour tapis multiformes roussis par l'hiver, qu'un Bacchus géant aurait étalés au soleil pour en raviver les couleurs. "Helvétie", page 17 et 18 (Editions Denoël, 1992)

3.16.2007

76. Le tour du lac avec Alphonse Guillot. 7/7.

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7/7. Sur le bord de l'eau, on remarque l'antique et curieux château de Chillon qui aurait été fortifié en 1248 par le comte Pierre de Savoie, dit le Petit Charlemagne. Le château est devenu célèbre par la détention de Bonivard qui avait lutté pour l'indépendance helvétique et qui, pendant six ans de 1530 à 1536, a marqué de ses pas les souterrains et usé le bord des fenêtres a venir regarder la Dent du Midi. Cette forteresse a été décrite par Lord Byron dans un poème composé en 1817 : "Le Prisonnier de Chillon".
Viennent ensuite Villeneuve, l'estuaire du Rhône, le Bouveret, terminus de la ligne de Bellegarde Saint-Gingolph, à l'embouchure de la Morge, torrent frontière de la Savoie et du Valais Suisse, Bret, Le Locuum, Meillerie, illustré par le séjour de Rousseau, de lord Byron, Lugrin, Maraîche, Saint-Paul, sur la hauteur et dont les clochers situent la portion principale des villages, et le château de Tourronde, ancien château de Blonay, reconstruit luxueusement et propriété de S. A. R. la duchesse de Vendôme.

75. Le tour du lac avec Alphonse Guillot. 6/7.

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6/7. C'est ensuite Vevey, centre important, célèbre par la fête des Vignerons qui a lieu tous les 20 ans. le paysage s'élargit, la montagne recule, c'est un merveilleux horizon entre le mont Pèlerin, 800 mètres, et les Pléiades, 1400 mètres, et le beau château de Blonay qui domine le village épars du même nom , la tour de Peilz, et le paysage admirable de montagnes, de villas et d'hôtels : Glion à 700 mètres, Caux à 1100 mètres, les rochers de Naye à 2045 mètres. Sur le lac, la jolie petite île de Salagnon avec sa villa italienne, qui fut habitée en 1907 par le peintre français Chartran.
Clarens qui évoque les noms de Jean Jacques Rousseau, de Lord Byron, les 22 luxueuses villas Dubochet, le château des Crêtes de teinte rouge brique, où le grand tribun Gambetta fit plusieurs séjours hôte de la famille Arnaud, de l'Ariège, et où il se rencontrait avec Alphonse Daudet plus loin, sur une colline isolée, couverte de vignes, le massif château du Châtelard. Puis c'est Montreux, dont l'origine étymologique viendrait du mot latin Monastérium, ce qui porte à supposer qu'au début de l'ère chrétienne, ce n'était qu'un monastère où des moines cultivaient la vigne au sein de cette merveilleuse nature. Maintenant, Montreux est une ville luxueuse qui s'étend jusqu'à Territet.

74. Le tour du lac avec Alphonse Guillot. 5/7.

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5/7. Lausanne dans un site plaisant, dominée par sa cathédrale et son château ; les ombrages charmants d'Ouchy, port de Lausanne, et le château transformé en hôtel. Un funiculaire relie Ouchy à Lausanne. Comme Genève, c'est une ville intellectuelle, imposante, bâtie sur cinq collines reliées par des ponts superbes, certains immeuble, sont des palais , la visite exige une journée.
Continuant le voyage de circumnavigation, la promenade sur le Haut-Lac fait passer devant les vignobles vaudois de Pully. Lutry sur la hauteur avec, à l'orient, la tour de Bertolo, construite par la reine Berthe qui filait pour les pauvres, le hameau de Villette au clocher envahi par le lierre, Cully aux vins renommés, près de l'embarcadère, statue à la mémoire du Major Davel, Rivaz et le château de Clérolles sur un rocher au bord de l'eau, ancienne résidence des évêques de Lausanne, Saint-Saphorin, localité adossée à des rochers abrupts.
Le touriste voit en même temps se dérouler une série de montagnes, le Moléson, la Dent de Jaman, les rochers de Naye, la tour d'Aï, la tour de Mayen, la Dent de Morcles la Dent du Midi ; entre ces deux dernières, le mont Catogne et au fond la pyramide neigeuse du mont Vélan, à l'est du Grand Saint-Bernard, spectacle féerique inoubliable.

73. Le tour du lac avec Alphonse Guillot. 4/7.

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4/7. On perd de vue le mont Blanc, mais apparaît une autre belle vue sur les Alpes de la Savoie et la Dent d'Oche. Ensuite, c'est Rolle et son vieux château féodal, sur le bord du lac. Sur une île artificielle s'élève un obélisque élevé à la mémoire de Frédéric César de la Harpe, précepteur du tzar Alexandre Ier de Russie, promoteur de l'indépendance vaudoise.
Saint-Preix qui fut cité romaine s'avance dans le lac, sur une pointe de terre ; Morges dans une nature riante, et dont le château flanqué de tours sert d'arsenal au canton de Vaud ; au nord, le château de Vuflans domine toute la contrée. Saint-Sulpice avec son vieux castel sur une pointe de terre et une très ancienne église datant de l'époque romaine ; la flotte du Léman, amarrée dans son port, et les ateliers de construction et réparations.

72. Le tour du lac avec Alphonse Guillot. 3/7.

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3/7. A l'ouest se dressent la chaîne du jura avec l'échancrure du col de la Faucille, les sommets de Recollet, de Gex et de la Dôle ; un peu plus au sud, le Salève, le Môle, et les Voirons dominés par la chaîne du mont Blanc. Au retour s'offrent Centhod, Bellevue sur un petit coteau caché par des arbres élevés, Versoix aux maisons rustiques, les vestiges d'un fort construit par les ordres de Choiseul, ministre de Louis XV.
Coppet dont le château acquis en 1784 par Jacques Necker, ministre des Finances du roi de France, fut habité par Mme de Staël, qui se plaisait à réunir une brillante société. Céligny aux délicieux ombrages, Nyon établie sur une colline, dominée par un beau château du XVIIème siècle, actuellement musée d'antiquités provenant de la vieille cité où Rome avait établi une caserne de cavalerie ; Nyon fut également le séjour de Niedermayer, Edouard Rod, Juste Olivier, Alexandre Vinet, Carnot.
Sur un petit cap, la pointe de Promonthoux, prairie et bois, on aperçoit le château et la bergerie de Prangins, qui appartint à Joseph Bonaparte et où séjourna le prince Jérôme Napoléon.

71. Le tour du lac avec Alphonse Guillot. 2/7.

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2/7. Peu après, ce sera Anières, Corsier, Collonges, Bellerive, et son château, la Belotte, restaurant renommé pour ses fritures, Cologny un peu sur la hauteur et formé par de magnifiques villas ; l'une d'entre elles, la campagne Diodattï fut habitée par Lord Byron.
A l'approche de Genève, la côte se couvre de villas ; après le parc des Eaux-Vives, on franchit les passes du port de Genève, dominé par le phare. On remarque plusieurs roches émergeant de l'eau, blocs erratiques dont le plus important porte le nom de Pierre à Niton. Le lac Léman se termine au pont du mont Blanc derrière lequel est l'île de Jean-Jacques Rousseau. Dans le fond se détachent les coupoles dorées de l'église russe, la flèche et les vieilles tours de la cathédrale de Saint-Pierre, construite sur l'emplacement d'un temple à Apollon.
Genève fut fondée il y a 2.500 ans, et soumise pendant cinq siècles aux Romains.
Franchissant à nouveau la passe des jetées, on longe le quai Président Wilson, où apparaît le Kursaal, le Parc Mon Repos, le palais de la Société des Nations, le bâtiment du B. I. T., le Parc Ariana et son musée : la villa Rotschild.

70. Le tour du lac avec Alphonse Guillot. 1/7.

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1/7.[…] Après avoir pris place sur l'un des vingt navires qui composent la flotte du Léman de la Compagnie Générale de Navigation et dont les plus belles unités sont : l'Helvétie, le Simplon, la Suisse, le Rhône, qui peuvent recevoir de 1100 à 1600 passagers, le touriste se rendant dans la direction de Genève, longe d'abord le quai Baron de Blonay et la plage.
Il passe ensuite successivement devant les somptueuses demeures d'Amphion, l'Hôtel des Princes, le Grand Hôtel Beauséjour, la propriété Maxima, le Miroir, l'estuaire de la Dranse, Sainte-Disdille, le promontoire de Ripaille et son château, ancienne résidence d'Amédée VIII, comte de Savoie, le coteau pittoresque de Thonon relié par un funiculaire au débarcadère de Rives ; le cap d'Anthy, Sciez et le château de Coudrée, le golfe d'Excevenez, la pointe d'Yvoire, avec son donjon, Nernier où habita Lamartine en 1815, Touques et le château de Beauregard, l'ancien orphelinat de Saint Joseph du lac, Hermance, à l'embouchure d'un cours d'eau du même nom, frontière naturelle entre la Savoie et la Suisse.
On a relevé de nombreuses traces de cités lacustres sur les rives du Léman, on estime qu'aux temps préhistoriques, il existait quatorze stations lacustres entre Evian et Hermance.

69. Maurice Denuzière : "A Lausanne".

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La Veveysane appréciait surtout de vivre un temps dans une vraie ville qui comptait, d'après un recensement récent, douze mille six cent vingt-neuf habitants, de nombreuses boutiques, des artisans habiles, des peintres, des orfèvres, des libraires-éditeurs et où l'on croisait de plus en plus de touristes étrangers, les excursions autour du lac et en montagne devenant à la mode. Seules les menaces que faisaient courir à la paix civile les menées des fédéralistes, qui réclamaient une plus grande autonomie des cantons, et les réactions vigoureuses des conservateurs, qui exigeaient le respect des droits féodaux, décourageaient parfois les visiteurs de séjourner à Lausanne, chef-lieu du canton du Léman.
Si, de la terrasse de la cathédrale Notre-Dame, devenue temple protestant où elle n'entrait jamais, Charlotte apercevait, par-delà les toits, le clocher de l'église Saint-François transformée en manège, le donjon, dernier vestige du château d'Ouchy, le lac et, au loin, les cimes savoyardes, elle ne voyait ni vignes ni champs, ni troupeaux meuglants ni paysans en sabots, bêche ou râteau à l'épaule. Ici, la nature devenait jardin discipliné, loin des espaces voués aux cultures vivrières. La verdure, les arbres, les buissons n'étaient qu'ornements agencés, la pomme de terre ne disputait point la place aux fleurs.
Charlotte voyait dans ce désistement, dans ce superbe gaspillage de terre cultivable, une superfluité, un luxe qui n'appartenait qu'à cette ville des collines où l'on ne faisait que monter et descendre. Elle aimait, par la rue de Bourg et la rue du Pont, se rendre dans le quartier de la Palud. Devant le vieil hôtel de ville, centre de la vie civique depuis le XVIIC siècle, autour de la grande fontaine surmontée d'une statue de la Justice brandissant son glaive, elle surprenait parfois les mots crus que se lançaient les lavandières et les porteurs d'eau. Les jours de marché, elle admirait l'abondance des étals, la façon dont les maraîchers présentaient, en pyramides, fruits et légumes, les meules de fromage de la Gruyère et du Jura, les molettes de beurre, fraîchement extraites des moules avec, en ronde-bosse, des vaches aux pis énormes qui attestaient la générosité des laitières et l'excellence du produit.
Autour de l'église Saint-François, ou dans le quartier Saint-Laurent, Charlotte se frottait au petit monde industrieux des artisans, des boutiquiers, des employés du commerce, de la banque et des demoiselles de magasin. On pouvait confondre ces travailleurs au pas assuré avec des bourgeois, tant les hommes soignaient leur tenue et les femmes leur toilette. Les indiennes de la fabrique Pertuson ou les fins lainages de la filature de Judith Marcel, qui fournissait les grandes maisons de Zurich et de Berne, méritaient attention, comme les belles peaux que les tanneurs livraient aux chausseurs.

in "Helvétie". Maurice Denuzière, page 288 et 289.

68. Maurice Denuzière : "A Vevey".

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Les trois meilleurs hôtels de la ville, dont celui de M. Gabriel Monnet, les Trois-Couronnes, faisaient régulièrement leur plein de voyageurs et Vevey, grâce à quelques hommes entreprenants, devenait une vraie ville. Il ne se passait pas de mois sans qu'on abattît une partie des anciens remparts et quelque antique porte médiévale pour construire de nouvelles maisons, des ateliers ou élargir les rues. C'est ainsi que l'ancienne porte du Chapitre venait d'être démantelée, afin de faire place à une extension du grenier à blé, bâti autrefois par les Bernois.
Dans cette cité paisible et prospère, Axel trouvait encore à s'instruire de façon plaisante, en passant des heures au musée ornithologique fondé par le pasteur Daniel-Alexandre Chavannes, secrétaire du Grand Conseil cantonal, professeur de zoologie à l'Académie de Lausanne, ou au nouveau musée d'Histoire naturelle ouvert par le docteur Louis Levade, naturaliste, historien et numismate. Il lui arrivait aussi d'aller chez Doret voir scier les marbres importés d'Italie ou de rendre visite au paysagiste Alexandre Calame, dont il admirait la maîtrise. Il ne se risquait pas, en revanche, chez un autre peintre de grand talent, François-Aimé-Louis Dumoulin, qui, en 1805, avait illustré de cent cinquante gravures le Robinson Crusoé de Daniel Defoe. M. Dumoulin était fort en colère contre le Conseil des douze de Vevey. Les édiles venaient
en effet de renoncer à la création d'une école de dessin, qu'aurait dû diriger l'artiste, sous prétexte que les fonds municipaux seraient mieux employés à la démolition des portes et remparts qui bridaient le développement de la ville!
En utilisant ainsi le peu de loisirs que lui laissaient ses études, Axel ne faisait encore que suivre les consignes de son maître : « Regarde un moment chaque jour une belle chose, peinture, gravure, médaille, et un paysage », recommandait Chantenoz. Le paysage, comme tous les Veveysans, le garçon le possédait en permanence. De la terrasse de Rive-Reine, quand il levait les yeux du livre qu'il étudiait, il laissait errer son regard sur un décor dont il goûtait mieux, à l'approche de l'adolescence et d'une maturité précoce, toute la beauté. L'automne était sa saison préférée. A l'heure où le soleil déclinait du côté de Genève, après avoir doré les vignes toute la journée, les montagnes de Savoie devenaient une seule falaise mauve. Réduites fallacieusement à deux dimensions, leurs silhouettes, soudées et plaquées sur le ciel encore clair, ressemblaient à une découpure de carton à la Huber. Axel y voyait l'épine dorsale crénelée d'un monstre allongé sur l'autre rive du lac, toile de fond du théâtre lémanique.
A cette heure-là, dans un reste de jour, de bizarres taches apparaissaient sur l'eau lisse et luisante. Les barques attardées, traçant un maigre sillage, imploraient de leurs voiles en oreille la brise indolente. Une soudaine paresse s'emparait des eaux et du ciel où les nuages se diluaient en effilochures indécises. Quand l'air fraîchissait, les canards et les foulques dérivaient au long des berges, engourdis et silencieux. L'heure était venue d'allumer les lampes. Axel reconnaissait le pas de sa mère sur le gravier et, bientôt, la voyait apparaître, enroulée, frileuse, dans son châle blanc.
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Source de l'illustration :http://www.flickr.com/photos/53949242@N00/2564460525

67. Maurice Denuzière : "Le temps des vendages".

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Cette année-là, tandis que l'on taillait la vigne avec retard étant donné le climat, les vignerons vaudois, et Guillaume Métaz parmi les premiers, constatèrent que la deuxième fermentation du vin ne serait pas achevée fin avril. On ne pourrait donc entreprendre la mise en bouteilles des blancs, puis des rouges, au cours des premiers jours de mai, comme on avait coutume de le faire. Cette rupture de rythme tenait aux sautes d'humeur du climat. Tantôt trop chaud pour la saison, tantôt trop frais, le printemps ne se décidait pas à prendre ses quartiers. Sur le lac, d'un gris maussade comme le ciel, les vents se livraient d'étranges duels gênant la navigation, La vau­daire descendant de la vallée du Rhône débordait son domaine habituel du Haut-Lac et semblait courir au­devant du sudois, que les Veveysans nommaient vent de Genève ou tout simplement le vent. Quand il en était ainsi, tous les bacounis savaient qu'entre Vevey et Morges les énormes vagues, soulevées par la vaudaire, se heurtaient à celles poussées par le vent, ce qui arrachait des trombes au Léman et transformait la surface du lac en un tumultueux tissu liquide, la vaudaire étant la chaîne, le vent la trame.
La tempête ne durait en général que quelques heures, pendant lesquelles aucun bateau ne pouvait sortir. Mais, en ce printemps 1811, le ciel semblait s'associer aux vents et au lac pour maltraiter les Vaudois. Il ne se passait pas de jour, en effet, sans qu'on entendît dans les vallées alpines gronder les orages, fauves prêts à jaillir de leur antre, "Tonnerre en avril remplit les barils", disait Simon Blanchod, jamais à court de dictons circonstanciés.
Le dernier jour du mois, Axel devait s'en souvenir longtemps, alors qu'un soleil timide mais obstiné régnait depuis le matin, à trois heures de l'après-midi, le ciel s'obscurcit si soudainement que Chantenoz dut allumer les lampes à huile de la salle d'étude. Quelques minutes plus tard, un orage d'une extrême violence éclata sur le lac. La foudre tirait ses traits bleutés sur les montagnes de Savoie, qui émergeaient de l'ombre le temps d'un clin d'œil; la grêle mitraillait rageusement la toiture sur les têtes d'Axel et de Martin.
A chaque détonation, les vitres vibraient dans leur châssis et les interstices des portes et fenêtres devenaient siffiets offerts aux mille bouches du vent. Axel abandonna sa version latine et vint, près de son mentor, coller le nez à la vitre ruisselante d'eau.

Maurice DENUZIERE, ouvrage cité, page 596, 597.

66. Anna de Noailles : "L'allée des platanes".

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Lettre d'Anna de Noailles à Maurice Barrès
in "Le Messager de la Haute-Savoie, juillet-Août 2003
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65. Anna de Noailles et Maurice Barrès à Amphion. 2/2.

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in "Le Messager de la Haute-Savoie", Juillet-Août 2003
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64. Anna de Noailles et Maurice Barrès à Amphion. 1/2.

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in "le Messager de la Haute-Savoie", Juillet-Août 2003.
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63. Anna de Noailles célébrée à la Sorbonne.

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in "Le Messager de la Haute-Savoie", Juillet-Août 2003
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3.13.2007

62. Pour mieux connaître Anna de Noailles 3/3

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Madame Claude MIGNOT-OGLIASTRI est professeur émérite de l'Université de Montpellier
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Présentation de l'ouvrage, publié aux Editions Méridiens KLINCKSIECK. ISBN 2-86563-150-8
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Anna de Noail­les nous introduit au cœur de l'époque 1900, dont elle fut un phare. Pour ses contemporains, déçus par l'illusion scientiste, insatisfaits du symbolisme quintessencié, de son refus du monde extérieur, du pessimisme de l'esprit fin­de-siècle ou de la petite musique douce-amère des Décadents, sa poésie répon­dait à une attente: un naturisme frémissant et sincère, une soif de vie inapai­sée, un goût du verbe qui renouât avec la tradition populaire du romantisme. J'espère ramener les lecteurs vers cette œuvre savoureuse et originale en ressuscitant ici la jeune fille poète, la militante de l'affaire Dreyfus, la femme exaltée et souffrante.
Mettre ce livre sous le patronage de la princesse de Polignac et de sa géné­reuse Fondation, c'est le mettre sous l'égide de la musique, sans laquelle on ne saurait comprendre la figure et l'œuvre d'Anna de Noailles. Le prince et la princesse Edmond de Polignac, qui parmi les premiers encouragèrent les poè­mes de l'adolescente. [...] Dès ses jeunes années, vers et prose furent d'abord pour elle une musique qui jaillissait de son corps vibrant et réceptif: « J'ai vécu au son de ma voix. » Et à sa mère mourante elle dira: « Je suis issue toute entière du bois de ton piano. » Cette imprégna­tion subtile va beaucoup plus loin que la musicalité des strophes et des phra­ses. C'est, dès l'enfance, une appropriation hardie de l'espace par le langage.

61. Pour mieux connaître Anna de Noailles 2/3

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Angela Bargenda est née le 18 avril 1964 à Esslingen en Allemagne. Titulaire d'un Deug en Lettres et Arts, d'une maîtrise de Lettres Modernes et d'une maîtrise d'Allemand (à l'Université de Paris, Sorbonne) elle devient professeur de français en Caroline du Nord en 1990, donne de nombreuses conférences et écrit pour des journaux américains. Depuis 1991, elle vit à New York où elle a obtenu son doctorat à la City University of New York. Elle enseigne actuellement dans le Département des Langues Etrangères à la Trinity School.
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Anna de Noailles, le plus célèbre poète-femme du Paris « fin de siècle», couronnée par l'Académie française, membre de l'Académie Royale de langue et de littérature françaises de Belgique, première femme à recevoir la cravate de Commandeur de la Légion d'Honneur, est pratiquement inconnue du lecteur contemporain. En faisant revivre cette voix lyrique, Angela Bargenda nous présente un univers poétique qui fut l'un des plus fascinants et des plus riches de son époque. Nous suivons un itinéraire qui va de la psychologie de la création à la structure profonde du texte. [...] La géographie imaginaire d'Anna de Noailles mène sur les rives lointaines de la Turquie et de la Perse, décors fabuleux de ses pièces orientales. Lieu d'attraction et d'inspiration de toute une génération artistique, ce poète exerça une influence majeure sur Barrès, Cocteau, Proust et Colette. C'est à travers les traductions en allemand de Rainer Maria Rilke qu'elle reçoit une réputation européenne qui fait d'elle une figure-clé de la scène littéraire de son temps.

60. Pour mieux connaître Anna de Noailles 1/3

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Il n'aurait point déplu à Anna de Noailles de voir confon­dus en une seule expression ces termes : histoire, légende et poésie. Car, encore plus qu'aux réalités concrètes~ plus qu'aux catégories établies jusqu'à l'arbitraire par les logiciens, elle croyait aux mots comme à un moyen de poursuivre les réalités mouvantes où, comme le remarquait Victor Hugo prêtant l'oreille à la parole de la bouche d'ombre, « les choses et l'être ont un grand dialogue ».
Un dialogue sans limites, qui n'aboutit pas, qui ne peut pas aboutir à une définition im­muable : rien, en effet, de ce qui existe dans l'univers n'arri­vera jamais à être tout à fait atteint. Un dialogue qui per­pétue la quête du vrai à travers le possible. Un dialogue qui est la meilleure et la pire des choses, puisqu'il permet la commu­nication des esprits, et il s'ingénie à ne point découvrir de point final puisque tout aboutit à une recherche de ce qui dépasse l'homme.
L'aventure du langage à travers les siècles n'a pu que servir à des approches d'un mystère semé d'embûches, de Sophocle et de Virgile à Racine et à Pascal, de Victor Hugo, Nerval, de Baudelaire à Rimbaud, à Mallarmé et aux surréalistes, enfants terribles du désespoir anarchiste de ne rien vouloir savoir quand on tente de dire. (Extrait de l'introduction de l'ouvrage de Louis PERCHE)

59. Emmanuel Berl : "Cimetière". 3/3.

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En 1913, Anna de Noailles devait pousser la gentillesse jusqu’à me chercher en voiture à Evian, pour me mener à Amphion. J'étais ému de la voir dans le beau jardin qu’elle avait tant chanté. Elle m'y a présenté à sa mère, et j'ai eu la grande joie d'entendre Mme de Brancovan jouer au piano Schubert et Chopin. Sans effort apparent, elle m'émouvait plus que n'avait pu faire le plus grand orchestre de Munich. Je n'ai pas entendu Paderewski qui logeait face à Amphion, à Morges, mais je ne pense pas qu'il ait pu être plus touchant que ne l'était Madame de Brancovan dans ses morceaux préférés.
Devant elle, dans son jardin, Anna de Noailles redevenait par instants la petite fille avec laquelle j'aurais pu parler sans être intimidé. Mais bientôt l'éloquence reprenait son jaillissement et faisait refleurir mon angoisse de mal comprendre, de mal répondre, de ne pas me rappeler ses formules décisives et fugaces. (Cimetière)
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Montage de portraits d'Anna de Noailles (archives de l'auteur)

58. Emmanuel Berl : "Cimetière". 2/3.

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L'année suivante, elle a permis que je l'accompagne à Lausanne. C'était alors la mode d'y faire je ne sais quelle cure. [...] L'après-midi, elle m'emmenait en promenade sur les collines, dans les bois qui surplombent Lausanne et prodiguent tant de points de vue sur le Léman. Quand je me rappelle ces randonnées, j'ai quelque peine a comprendre que je n'aie pas été amoureux d'elle. Tout y invitait, depuis ses boucles noires jusqu'aux paysages de Vevey sur lesquels flottait toujours l'ombre de Jean-Jacques Rousseau. Je poussais la sottise jusqu'à lui parler des jeunes filles entre lesquelles mon cœur avait balancé. Elle me dit : « Comment pouvez-vous être amoureux de ces petits monstres gros de tout le mal qu’elles feront pendant cinquante ans ! » Elle avait trop raison. En quête d'une mère, j'aurais mieux fait de me tourner vers elle, quoiqu'elle n'eût pas passé trente-cinq ans, que vers des gamines. (Cimetière)
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Le bureau d'Anna de Noailles, présenté à Evian, lors d'une exposition.

57. Emmanuel Berl : "Cimetière". 1/3.

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Historien, journaliste, essayiste, Emmanuel Berl est né en 1892. Ami de Proust et de Malraux, Emmanuel Berl a été directeur de l’hebdomadaire Marianne puis du Pavé de Paris. Historien de l'Europe, il a reçu le grand prix de littérature de l’Académie française en 1967 et le prix Marcel Proust en 1975. Il a été le mari de la musicienne et chanteuse Mireille. Il est mort le 21 septembre 1976 à Paris.
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Le destin devait me gratifier de la bienveillance inespérée et imméritée d’Anna de Noailles envers moi. Notre époque ne peut que mal se représenter ce qu'a pu être la gloire d'Anna de Noailles dans le Paris de 1910. Les premiers livres de vers de la Comtesse avaient été, d'emblée, rangés entre ceux de Musset et ceux de Victor Hugo. Cette princesse grecque, à qui le mariage avait donné un nom français illustre, paraissait descendre tout droit du Parnasse avec le trépied de la Pythie pour prononcer ses oracles. Émerveillement d'autant plus doux que la Comtesse avait un visage plus séduisant, dévoré par ses admirables yeux sur les paupières desquels tombait la frange de ses cheveux noirs. A tous ces prestiges, elle joignait celui d'une éloquence dont je n'ai pas connu l'égale au cours de ma vie. Inspirée, quand elle parlait, comme Sarah Bernhardt quand elle jouait, elle provoquait le même respect, chacun l'écoutant en silence quels que fussent les circonstances, les heures et les lieux. Pour elle, la poésie restait la compagne du discours ! (Cimetière)
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Reproduction d'un manuscrit de la comtesse de Noailles.

3.12.2007

56. Lord Byron et le lac Léman. 2/2.

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Vue intérieure du château de Chillon


2/2. […] L'aspect du ciel est changé ! Quel Changement ! O nuit, orages, ténèbres, vous êtes admirablement forts et néanmoins attrayants dans votre force comme l'éclat d'un oeil noir dans la femme. Au loin, de roc en roc, et d'écho en écho, bondit le tonnerre animé. Ce n'est plus d'un seul nuage que partent les détonations, mais chaque montagne a « trouvé une voix et à travers un linceul de vapeurs, le jura répond aux Alpes qui l'appellent. […] Et la nuit règne : nuit glorieuse ! tu n'as pas été faite pour le sommeil ! Laisse-moi partager tes sauvages et ineffables délices et m'identifier à la tempête et à toi ! Le lac étincelle comme une mer phosphorescente et la Pluie ruisselle à grands flots sur la terre.
Pendant quelque temps tout redevient ténèbres ; puis les montagnes font retentir les éclats de leur bruyante allégresse. […] Cieux, montagnes, fleuves, monts, lacs, éclairs, seul avec le vent, les nuages, le « tonnerre et une âme capable de vous comprendre, vous méritiez bien que je veillasse, pour vous contempler. Le roulement lointain de vos voix expirantes est l'écho de ce qui ne meurt jamais en « moi mais, où allez-vous, ô tempêtes ? […] L'aurore a reparu avec sa rosée matinale, son haleine embaumée, ses joues rougissantes, son sourire écarte les nuages ; joyeuse comme si la terre ne contenait pas un seul tombeau, elle ramène le jour, nous pouvons y reprendre la marche de notre existence et moi, ô Léman, je puis continuer à méditer sur tes rives.(1) » Lord Byron "Œuvres". Hachette.


(1) L'orage auquel le poète Lord Byron fait allusion eut lieu le 13 juin 1816.

55. Lord Byron et le lac Léman. 1/2

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Le château de Chillon


1/2. Ici, être seul ce n'est point être malheureux, car j'y vois beaucoup de choses désirées, et surtout je puis contempler un lac charmant. […]. J'aime le Léman et sa nappe de cristal, miroir où les étoiles et les montagnes voient reproduire leur image tranquille dans la profondeur de cette eau limpide qui reflète « les formes et les couleurs. […]
Voici venir la nuit silencieuse : depuis les bords jusqu'aux montagnes, le crépuscule jette le voile de ses molles ombres; pourtant tous les objets se détachent encore distinctement à l'horizon, à l'exception du sombre Jura dont on découvre à peine les flancs escarpés en approchant du rivage, on aspire le vivant parfum qui s'exhale des fleurs à peine écloses ; l'oreille attentive suit le bruit léger de la rame, on écoute les derniers chants du grillon.
[…] Le ciel et la terre se taisent, ils ne dorment pas, mais ils retiennent leur haleine, comme nous faisons dans un moment d'émotion vive ; ils sont muets comme nous quand une pensée préoccupe profondément. Le ciel et la terre se taisent, du cortège lointain des étoiles jusqu'au lac assoupi, et à la rive montagneuse, tout est concentré dans une vie intense où il n'est pas un rayon, pas un souffle, pas une feuille qui n'ait sa part d'existence, et ne sente la puissance de l'Etre créateur et conservateur de toute chose. Lord Byron "Oeuvres".

3.11.2007

54. Le lac Léman : un lien permanent.


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Le lac a été, dès la préhistoire, propice aux
hommes et, au Moyen Age, s'est édifié autour de lui le grand Etat savoyard dont nous parlent toujours ses villes fortes et ses châteaux. La loi de la dimension a joué en faveur du Léman. Le volume de ses eaux en fait un centre d'attraction climatique et un réservoir biologique suscitant la précoce activité des navigateurs et des pécheurs. Tous les amoureux du lac ont décrit la griserie et le sentiment d'aventure qui enchantent les "marins d'eau douce" titre donné par Guy de Pourtalès au récit le plus suggestif inspiré par le Léman. Traversée par le Rhône, qui va des glaciers valaisans à la Méditerranée, la nappe liquide est un trait d'union entre les espaces et les cultures qui convergent vers ses bords. Au cours des siècles, elle a lié beaucoup plus que séparé les hommes qui peuplent densément son pourtour. Mais le langage, fut-il celui des poètes, a été malhabile à décorer le lac d'une épithète traduisant le charme, voire la fascination qu'il exerce sur ses riverains et ses visiteurs. Le bleu Léman ou le merveilleux Léman ! Paul GUICHONNET

53. Le lac Léman : son pouvoir d'attraction.


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La palette culturelle et artistique est tout aussi chatoyante. Le nom de certains lacs célèbres est attaché à un unique état d'âme, ou à un seul personnage. Ainsi, Le Bourget est, à jamais, lamartinien, les lacs bavarois sont à Louis Il, Sils à Rainer Maria Rilke et Walenstadt à Franz Liszt. Le Léman, tout au contraire, est cosmopolite. Comme son symétrique le lac de Constance, qui en est la réplique adoucie, il est partagé entre deux pays, mais, bien davantage que franco-suisse ; il appartient aux voyageurs cultivés, aux écrivains, aux artistes, aux touristes de tous pays qui l'ont fréquenté et célébré.
Evian, Genève, Lausanne, Ouchy, Montreux évoquent les grands moments de la diplomatie et ont donné leurs noms aux traités et aux conventions élaborés lors des rencontres au sommet des diplomates. Le pouvoir attractif du Léman n'est pas seulement lié aux commodités d'accès à des rives bien desservies par les rapides internationaux, les autoroutes et les aéroports. Il tient au génie propre des lieux, qui ont créé un mode de vie lémanique, une manière de voir et de sentir commune, par-delà les vicissitudes de l'histoire, et qui ont su captiver et retenir des personnalités aussi dissemblables que Rousseau et Lamartine, Shelley et Byron, Michelet et Anna de Noailles, Charles Ferdinand Ramuz et Guy de Pourtalès. Si bien que l'on peut parler des écrivains et des peintres du Léman. Paul Guichonnet
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Evian. Le quai et le jardin anglais en 1909

52. Le lac Léman : présentation.

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A l'orée des Alpes franco-suisses, voici le Léman. La statistique géographique nous indique que, seuls, le lac Balaton hongrois et les nappes finno-scandinaves le dépassent en étendue, et encore ces lacs sont-ils déjà aux marges d'une Europe occidentale dont il occupe, lui, l'un des lieux centraux.
L'originalité du Léman réside dans la variété et la richesse de ses aspects. Par sa nature physique, il relie les Alpes au Jura. Il appartient à la fois à la montagne et à l'avant-pays, et le nord y rencontre le midi.
Les portraits du lac composent une anthologie de contrastes. Au long de ses rives, le navigateur voit défiler les deltas sauvages, bruissants d'oiseaux, les villes et les villages chargés d'histoire, les impressions quasi italiennes du littoral éviannais, les "parchets" admirablement soignés du vignoble vaudois et les palaces de la Riviera Montreusienne, la simplicité bon enfant des "coins de Savoie" et la distinction des demeures patriciennes bordant le Petit Lac genevois.
Paul GUICHONNET.
Professeur honoraire de l’université de Genève,
Membre correspondant de l’Institut, Académie des sciences morales et politiques,
Président de l'Académie Florimontane.
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Evian. L'établissement thermal et les hôtels vers 1905

3.10.2007

51. Anna de Noailles : "Jeunesse".

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Pourtant tu t'en iras un jour de moi, Jeunesse,
Tu t'en iras, tenant l'Amour entre tes bras,
Je souffrirai, je pleurerai, tu t'en iras,
Jusqu'à ce que plus rien de toi ne m'apparaisse!

La bouche pleine d'ombre et les yeux pleins de cris,
Je te rappellerai d'une clameur si forte,
Que, pour ne plus m'entendre appeler de la sorte,
La Mort entre ses mains prendra mon coeur meurtri.

Pauvre Amour, triste et beau, serait-ce bien possible
Que vous ayant aimé d'un si profond souci
On pût encor marcher sur le chemin durci
Où l'ombre de nos pieds ne sera plus visible ?

Revoir sans vous l'éveil douloureux du printemps,
Les dimanches de mars, l'orgue de Barbarie,
La foule heureuse, l'air doré, le jour qui crie,
La musique d'ardeur qu'Yseult dit à Tristan !
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Jeunesse (extrait)

50. Anna de Noailles : "L'empreinte".

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Je laisserai de moi dans le pli des collines
La chaleur de mes yeux qui les ont vu fleurir.
Et la cigale assise aux branches de l'épine
Fera vibrer le cri strident de mon désir.

Dans les champs printaniers la verdure nouvelle
Et le gazon touffu sur le bord des fossés
Sentiront palpiter et fuir comme des ailes
Les ombres de mes mains qui les ont tant pressés.

La nature qui fut ma joie et mon domaine
Respirera dans l'air ma persistante ardeur,
Et sur l'abattement de la tristesse humaine
Je laisserai la forme unique de mon coeur...
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L'Empreinte (extraits)

49. Anna de Noailles : "Offrande à la nature"

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Nature au coeur profond sur qui les cieux reposent,
Nul n'aura comme moi si chaudement aimé
La lumière des jours et la douceur des choses,
L'eau luisante et la terre où la vie a germé.

La forêt, les étangs et les plaines fécondes
Ont plus touché mes yeux que les regards humains,
Je me suis appuyée à la beauté du monde
Et j'ai tenu l'odeur des saisons dans mes mains.

J'ai porté vos soleils ainsi qu'une couronne
Sur mon front plein d'orgueil et de simplicité,
Mes yeux ont égalé les travaux de l'automne
Et j'ai pleuré d'amour aux bras de vos étés.

Je suis venue à vous sans peur et sans prudence
Vous donnant ma raison pour le bien et le mal,
Ayant pour toute joie et toute connaissance
Votre âme impétueuse aux ruses d'animal.

Offrande à la Nature in "Le coeur innombrable"

3.09.2007

48. Alphonse Guillot : "Vers les montagnes".

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La Dent d'Oche
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Avant le départ, nous tenterons l'excursion de la Dent d'Oche, dont la masse s'impose aux yeux le jour et la nuit, que les pentes couvertes de prairies et de forêts invitent à par- courir ; cette montagne est de celles qui se laissent conquérir, mais non sans émotions. Nous ferons l'excursion en deux jours: le premier, nous irons par le raccourci de Saint-Paul jusqu'à Bernex, où nous dormirons plus près des cieux. Lord Byron a écrit : "A la montagne, l'isolement et le soir communiquent une sorte d'extase, l'air vif qu'on « respire donne aux lèvres une âpre caresse. Les étoiles sont plus amicales, le silence qui accompagne comme un orchestre lointain la voix profonde du vent, prend une importance solennelle, presque religieuse".
En gravissant le chemin de traverse de Saint-Paul, d'autres aspects de la montagne s'offriront à nos regards, et vous serez surpris du nombre de fermes, petits villages, maisons de plaisance, cachés par les lignes d'arbres, et les boqueteaux. [...] Sur les pentes, apparaîtront de nombreux chemins et sentiers insoupçonnés, vaste réseau de moyens de communication qui s'est formé au cours des siècles, par le labeur, les intérêts et l'amour.
Le premier sentier n'a-t-il pas dû être créé par la femme qui anxieuse, attendait le retour de l'époux parti à la chasse au à la pêche ; combien d'autres sentiers furent créés depuis par les filles d'Eve, dont le coeur est toujours pétri de la même matière, et de la même sensibilité.
La lente vie de la forêt apparaîtra dans ses divers aspects taillis ou futaies, depuis le jeune épicéa né d'une graine que la mousse humide a abritée, jusqu'au sapin altier qui paraît vouloir gagner le ciel. (Conclusion de la plaquette d' Alphonse Guillot, opus cité page 85)

47. Anna de Noailles : "Quatre portraits"

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46. Invocation au lac.

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O lac ! centre, refuge et repos de milliers d'yeux fatigués et usés par le labeur, où la douleur, beaucoup sont venus chercher près de toi la quiétude, le repos et l'oubli, beaucoup ont voulu y vivre leurs derniers jours, et y dormir le sommeil éternel sur lequel tu sembles à certaines heures épandre les voiles et les pavots de la paix et de la sérénité.
O lac ! par toi, des âmes meurtries furent moins plongées dans la douleur, et par tes splendeurs vécurent plus proches de la vraie beauté et du maître de l'heure.
O lac ! en ta grâce toujours jeune et sans cesse renaissante, le disciple de la nature trouve tout ce qui flatte et fait vibrer, la couleur et l'espace, tout ce qu'on aime, toute la jeunesse et l'esprit, tous les désirs de vie à réaliser, de situation à acquérir, de foyer à fonder, de repos à gagner, de poursuite d'idéal, tous les soupirs, tous les serments, tout ce qui est le rêve et l'action, tout ce qui constitue l'amour et la vie.

45. Invocation au lac.

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O lac ! miroir des yeux enamourés qui se penchèrent sur tes eaux, de combien de serments d'amour as-tu été le témoin et le confident, combien de baisers furent pris et rendus sous les
ombrages de tes rives, combien de vies d'amour heureuses et longues furent vécues sur tes bords, en dehors de celles transmises par les annales des hommes.
O lac ! par toi, des lettres jaillies de l'âme furent plus aimantes et plus tendres, donnèrent davantage de bonheur, et souvent, après lecture, déposées sur tes flots devenus ainsi les gardiens du secret confié à un feuillet, que l'amante rêveuse croit encore reconnaître dans la mouette blanche qui se pose et se laisse bercer sur tes vagues.
O lac ! sur tes rives, des soupirs sont montés sans avoir été toujours entendus, des bras se sont ouverts sans se refermer sur un autre être. Symbole vivant de toutes les beautés révélées ou désirées par l'âme, des pleurs ont coulé qui n'ont pas été toujours étanchés, et sont allés rejoindre tes flots.

44. Invocation au lac.

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Et la brise tourne les feuillets du manuscrit : "Pages vécues", dont je détache cette page : "O lac ! est-il d'autres rives enchantées et fleuries, devant lesquelles l'homme puisse sentir aussi intensément la grandeur de la nature, et se rapprocher davantage de la beauté, et de l'harmonie universelle"; est-il un endroit où le coeur puisse battre plus délicieusement.
O lac ! reflet de la beauté et de l'amour poursuivis, par ta contemplation, de nombreux visages ont rayonné, des pensées d'amour sont nées, ont été transmises. partagées, ont animé d'autres existences, des yeux ont emporté la persistante nostalgie de tes mille aspects.
O lac ! en tes eaux limpides, tu parais renfermer toutes les joies dont tu berças et comblas les espérances de ceux qui s'aimèrent sur tes rives, tous les sentiments qui montèrent de leur coeur et les firent vivre, tout le bonheur des âmes heureuses qui voguèrent à ta surface, tous les rêves des poètes et des peintres qui voulurent te chanter ou te peindre.
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L'auteur du blog serait reconnaissant au lecteur qui pourrait lui indiquer l'auteur de ce texte.

43. Impressions de voyage.

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Il semble qu'en s'éloignant du rivage, on soit entré dans un nouveau monde où tout ce qui alourdissait la vie n'existe plus, que les soucis, la médisance, la jalousie, les rivalités ont fait place aux beaux espoirs, à la générosité, que la sympathie, l'amitié, l'affection, l'amour dans toute la plénitude de ces mots règnent enfin sur la terre, entre tous les humains, enclins aux mêmes soucis et inquiétudes, exposés aux mêmes défaillances et aux mêmes souffrances du corps et de l'âme.
Il semble que désormais l'homme ne sera plus un loup pour l'homme, toujours à mordre, dénigrer, critiquer, abuser, ne tenant aucun compte de l'ordre, la sagesse, du travail, du mérite, des sentiments ni de l'honneur, et que l'on pourra enfin vivre sa vie, de toutes ses forces, et de tout son coeur.
Le navire continue sa route dans le rythme des bielles puissantes et une parfaite sécurité ; on ne se sent plus vivre, tellement on est absorbé par le spectacle qui se déroule, et la douceur de l'heure. Et la brise tourne les feuillets du manuscrit : Pages vécues, dont je détache cette page ....