1.31.2008

206. Anna de Noailles : biographie abrégée


--------------------------------
Anna-Elisabeth de Brancovan, comtesse Mathieu de Noailles.
---------------------
Poétesse française. Née le 1er novembre 1876 à Paris, où elle mourut le 30 avril 1933. Son aïeul paternel, Georges Demetre Bibesco avait épousé Zoe Mavrocordato, fille adoptive du dernier prince de Brancovan, descendant des souverains de Valachie. Par sa mère Raoulka Musurus, elle appartenait à une famille grecque d’origine crétoise qui avait compté des poètes et des gens de lettres.
Paris, Le Bosphore et la Savoie furent les toiles de fond de son enfance et dès l’âge de treize ans, elle s’exerça à la versification. Tour à tour, elle subit l’influence des parnassiens, de Musset, puis de J.-J Rousseau et d’Heinrich Heine, mais plus que tous les autres, de Victor Hugo dont le génie la subjugua.
Le 18 août 1897, en l’église de Publier (Haute-Savoie), elle épousa le comte Mathieu de Noailles. Le 1er février 1898, ses premiers poèmes (Litanies) parurent dans La Revue de Paris et le 18 septembre 1899, elle donnait le jour à un fils, Anne-Jules de Noailles. Son premier recueil de vers, Le Cœur innombrable (1901) reçut un accueil enthousiaste. C’était la révélation d’un talent hors pair, et le brillant début d’une série de livres où s’exprime harmonieusement un intense amour de la nature, arbres, plantes, et surtout soleil. Cette œuvre, imprégnée du panthéisme le plus ardent, avait exprimé aussi le culte de la jeunesse et des héros avec un sens profond de la mort, la hantise de l’éternel et de l’absolu.
Sous l’influence de Maurice Barrès, dont elle avait fait la connaissance en 1896. Anna de Noailles fit, dans son inspiration, plus large encore la part de l’Orient. Elle ne ressentait pas moins l’attrait des pays de l’Aisne et de l’Oise.
Elle publia successivement les volumes de vers suivants : L’Ombre des jours (1902) qui contient la célèbre pièce intitulée Jeunesse - Les Eblouissements (1907), où figurent la Prière devant le soleil - Les Vivants et les Morts (1913 - Les Forces éternelles (1921) où sont évoqués les champs de batailles de la Marne.
Au faîte de la gloire, Anna de Noailles fut élue membre de l’Académie royale belge de langue et de littérature françaises et l’Académie française lui décerna le grand prix de littérature.
Très admirée des écrivains, des hommes politiques et des savants, elle était devenue une sorte de personnage officiel et a été la première femme à recevoir la cravate de commandeur de la Légion d’honneur. On lui doit également trois romans, qui valent surtout par ce qu’ils peuvent contenir d’éléments autobiographiques - La Nouvelle Espérance (1903),évocation de la vie d’une jeune femme du monde à cette époque ; Le Visage émerveillé (1904), journal d’amour d’une religieuse, qui fit scandale, et La Domination , œuvre manquée dont elle ressentit vivement l’échec. Citons encore : De la rive d’Europe à la rive d’Asie, récit d’un séjour qu’elle avait fait, enfant, en Turquie (1913). Les Innocents ou la Sagesse des femmes (1923), recueil de nouvelles et Passions et Vanités (1923).
À partir de 1912, la santé d’Anna de Noailles commence de s’altérer et elle quitte de moins en moins sa chambre du 40 rue Scheffer. Elle publia encore deux recueils de poèmes : le Poème de l’amour (1925) et L’Honneur de souffrir (1927), consacré à ses morts, ainsi que ses Poèmes d’enfance (1928). En 1932, parut Le Livre de ma vie, éléments d’une biographie intime qui s’arrête à l’année 1896.
Son corps repose au Père-Lachaise ; son cœur fut inhumé à Publier. Un dernier recueil de poèmes fut publié, après sa mort, sous le titre Derniers vers et poèmes d’enfance. Au chalet d’Amphion sur les bords du Léman où les Brancovan passaient chaque année plusieurs mois, et dont elle chanta les paysages, un monument fait de pierre et de verdure a été érigé par l’Association des amis du poète.
------------------------------------
Source : http://www.mondalire.com/noailles.htm

1.28.2008

205. La poésie d'Anna de Noailles. 5.

----------------------------------------
5. Tel le discours écrit, le discours oral s'articule en un déferlement d'images qui s'animent subitement. Après une période préparatoire, les mots jaillissent en secousses oratoires, et se développent ensuite en d'interminables effusions pathétiques. Anna de Noailles est une virtuose de la parole. Chez elle, la vivacité du discours résulte de la participation active de toutes les ressources du mimétisme, de la gesticulation, de l'inflexion vocale, du changement d'humeur et de ton. Sa grandiloquence théâtrale était notoire dans les salons du Tout-Paris de l'époque, et de nombreux témoignages rendent compte de l'acrobatie verbale à laquelle elle se livrait. En voici celui de Cocteau, qui décrit en détail comment elle se donne en spectacle :
« Ainsi préludait la comtesse. Je l'observais de loin. Elle reniflait, éternuait, éclatait de rire, soupirait à fendre l'âme, laissait tomber chapelets turcs et écharpes. Puis elle gonfla sa gorge, puis les lèvres se frisaient et se défrisaient à toute vitesse, elle débuta.
Que disait-elle ? Je ne sais plus. Je sais qu'elle parlait, parlait, et que la grande salle s'emplissait d'une foule, et que les jeunes s'asseyaient par terre et que les vieux occupaient des fauteuils à la ronde"
Toute une mise en scène est décrite ici, où l'acte de parler est doublé d'innombrables agitations physiques, comme si la production verbale avait des répercussions physiques sur le corps entier. [...] Ecoutons le compte-rendu que Proust donne dans Jean Santeuil de cette performance verbale :
« Enfin, elle choquait encore plus par une sorte d'aplomb intolérable, qui venait de ce que, souvent silencieuse, n'ayant rien à dire par timidité, ce qui paraissait déjà assez mal élevé, quand au contraire elle commençait à raconter des choses, son propre esprit lui versant sans cesse de chaleureuses expressions, de réconfortantes saillies, d'enivrantes drôleries, elle se grisait de sa propre parole, parlait quelquefois cinq minutes de suite, ce qui la faisait trouver drôle mais fatigante, occupée d'elle-même et coupant la parole aux personnes âgées. Ajoutez que parfois elle riait de toutes ses forces avec un artiste rencontré dans un salon de sorte que toutes les douairières qui n'avaient rien dit n'en avaient pas moins fait toutes leurs réflexions »
Telle une fontaine, qui se renouvelle d'elle-même, le génie verbal d'Anna de Noailles se reproduit incessamment par son propre élan. Toute une chaîne de saillies verbales se compose par l'extraordinaire productivité de sa parole, qui la place au centre d'attention. [...] Si l'on se réfère à la reproduction de ses manuscrits on voit combien son écriture est vive, rapide, spontanée. Pareille au jaillissement de sa conversation, les brouillons montrent une articulation fébrile où des touches de mots témoignent d'un mouvement de pensée discontinu. Anna de Noailles ne force visiblement pas son texte, elle ne manipule pas le contenu de son lyrisme, mais lui donne une facture toute spéciale, qui est celle de sa première inspiration. Lorsqu'elle griffonne des mots sur une feuille de papier, elle ne respecte ni l'espace physique de la page, ni la continuité du poème. Au contraire, on observe que tout un paragraphe s'ajoute en diagonale en haut du premier manuscrit, alors que le deuxième montre en tête une ligne écrite à l'envers.

204. La poésie d'Anna de Noailles. 4.

--------------------------------------------
4. Car si véridique que soit la parole, elle n'est que parole et de ce fait infiniment éloignée de la réalité. Tous les essais sont vains pour dire le fond de l'âme, car l'acte de la parole représente en même temps un acte d'aliénation :
« Mes vers, malgré le sang que j'ai mis dans vos veines,
O mes vers assoupis, vous n'êtes pas moi-même,
Vous avez pris ma voix sans prendre mon ardeur,
Les plus longs aiguillons sont restés dans mon coeur
Et nul ne saura rien de ma force suprême !
Ah ! pour vraiment goûter mon ineffable émoi,
Pour connaître mon âme et ce qui fut ma vie,
Il faudrait que l'on m'eût dans les chemins suivie
A l'heure, ô Poésie, où vous naissiez de moi ! »
Voici donc le poète conscient de ses propres limites et des carences de son mode d'expression. Car même si Anna de Noailles nous livre les effusions lyriques les plus authentiquement vécues, elle reconnaît la faille qui sépare le créateur de sa création. Pour véritablement transmettre une sensation, il faut se placer au moment précis où l'inspiration fait naître la Poésie.
Dans cet instant pré poétique, nous nous trouvons dans le domaine du non-dit, où le langage n'a pas encore pris possession du matériau affectif pour en faire un fait littéraire. Il en résulte que la poésie signale nécessairement un écart, elle falsifie la réalité affective, ou, pour le dire avec Platon, elle est mensongère. Cette conscience de l'insuffisance de la parole et de l'incommunicabilité entre l'artiste et son public se manifeste prématurément chez Anna de Noailles qui note dans ses cahiers d'adolescence à l'âge de dix-huit ans :
« Ainsi ne nous cherchez point aux feuilles où nous avons mis nos noms. Vous jugerez nos œuvres selon vous-mêmes mais nous-mêmes vous ne nous jugerez point. Nous-mêmes, c'est ce que nous avons laissé à la vie, c'est ce que les jours en passant ont pris à nos corps heure par heure c'est ce que nous avons abandonné à toute impression, à tout milieu, à toute vue, à chaque pas de notre vie solitaire et muette. Nous-mêmes nous sommes loin de vous à jamais, peut-être dans les régions hautes où vibrent encore en ondes élargies et étendues le son de nos baisers, de nos rires et de nos appels ». (page 70 et 71)

203. La poésie d'Anna de Noailles. 3.

---------------------------------------------
3. Plus qu'un exercice de langue, la poésie a une valeur thérapeutique pour Anna de Noailles. L'action poétique s'impose comme une nécessité vitale qui engage tout son être. En soulageant sa psyché encombrée, la poésie n'est pas un fait extérieur à l'artiste, mais résulte de ses impulsions psychologiques profondes. Pour décharger le surplus de vie et d'émotion, le poète s'exprime au sens étymologique du terme. Il soulage la pression intérieure en écrivant, projette sur l'espace lyrique un flot continu de mots qui le libèrent de ses sensations accumulées. Ainsi, Anna de Noailles a nécessairement besoin d'écrire pour vivre, comme elle l'explique dans une lettre à Tristan Derème : « J'écris des vers un peu tous les soirs, non par devoir et avec acharnement, mais parce que je ne puis pas faire autrement ».
Rainer Maria Rilke note dans ses Lettres à un jeune poète : « Une œuvre d'art est bonne quand elle est issue de la nécessité ». Autant dire que l'authenticité de l'œuvre noaillienne est incontestable. C'est justement ce critère de véracité sur lequel se base Rilke pour fonder un jugement qualificatif. Et il ne fait pas de doute que toute l'œuvre poétique noaillienne est le reflet, aussi véridique que possible, de sa vie intérieure.
Marcel Proust note : « Ce n'est pas du tout que ses poésies ne fussent pas sincères, mais, au contraire, qu'elles exprimaient quelque chose qui en elle était si profond qu'elle n'avait même pas pu y penser, en parler, le définir comme une chose différente de soi ».
Cette intimité profonde entre l'artiste et son œuvre est particulièrement frappante chez Anna de Noailles, qui déclare explicitement: « Je pense que mon œuvre s'est toujours attachée à refléter la vie ». Quand elle met à vif sa vérité intérieure par le chant poétique, elle se confesse à chaque fois qu'elle se dit. En laissant le lecteur lire au fond de son âme, elle annonce ouvertement l'expérience intime de son coeur : « Mes vers sont devant moi pour qu'on sache mon coeur ». Dans la fonction d'un « déshabillage» de l'âme, la poésie revêt à la fois l'aspect d'une confession et celui d'une catharsis, elle est l'écran révélateur où l'être accède à la conscience de soi-même. [...]
Voici le point de vue de Jean Cocteau : « Elle ne craignait pas de dévêtir son âme, quels qu'en fussent les défauts. Elle ne la cachait sous aucun code". Manifestement, le souci de véracité prime sur les effets du langage. Avec une rigueur sans pareille, notre auteur dévoile au public son itinéraire mental et affectif de manière tout à fait réaliste.
A l'intérieur de son œuvre, on décèle le cheminement d'une âme qui se cherche, et qui entretient un rapport étroit avec le lecteur : « En écrivant mes poèmes, dans l'excès du plaisir ou de la souffrance, il me semblait que je dépeignais pour autrui non seulement l'altitude et l'abîme où la vie me situait, mais encore que je leur désignais les lacets du chemin et les raisons qui me conduisaient". (page 69, 70)

202. La poésie d'Anna de Noailles. 2.

-----------------------------------------------
2. Chez Anna de Noailles, le poème se présente comme la résonance parfaite de son paysage intérieur. La versification est si intimement liée à l'aspect littéraire qu'il ne s'agit jamais d'une contrainte obstructive. Loin de là, le système métrique intègre l'expression verbale dans une structure qui répond à l'ordre intime du poète. Ainsi, cette facilité de versification produit une adéquation étroite, chez Anna de Noailles, entre les mots et le mètre.
Là encore, on repère l'aspect véridique de ces vers, dont la mélodie correspond au rythme intérieur de l'auteur. Hegel note à ce propos dans son Esthétique :
« Il est faux que la versification ne soit qu'un obstacle au libre jet de la pensée. La vrai talent, en général, dispose avec facilité des matériaux sensibles. Il s'y meut comme dans son élément propre et naturel, qui, au lieu de le gêner et de l'opprimer, l'élève au contraire et le porte. Ainsi, nous voyons, en réalité, tous les grands poètes, dans la mesure, le rythme et la rime qu'ils ont créés eux-mêmes, marcher librement et spontanément".
[…] En vérité, la personne d'Anna de Noailles est foncièrement poétique. Car c'est involontairement et naturellement que l'expérience poétique se mêle à ses expériences individuelles. Elle est imprégnée de poésie au point que toute son existence se confond avec la création artistique. Anna de Noailles crée en permanence, parce qu'elle vit poétiquement.
Voici les observations retenues par son fils Anne-Jules : «Jamais je ne m'apercevais que ma mère travaillait, et ceta parce qu'elle travaillait sans cesse, seule, quand on croyait qu'elle se reposait, et aussi malgré la rumeur des conversations ». Cette obsession d'une permanence lyrique dans le monde se manifeste déjà à l'âge adolescent, suivant les notes dans un de ses cahiers : « Ne plus rien écrire est une épouvante qui touche à la folie. C'est la conscience perpétuelle d'une fragilité sans secours, d'un agissement sans résultats, d'une fin sans avenir". (page 68, 69)

201. La poésie d'Anna de Noailles. 1.

Cliquez sur l'image pour l'agrandir
-------------------
1. Anna de Noailles occupe une place très privilégiée parmi les auteurs qui ont été profondément inspirés et marqués par le lac Léman. C'est pourquoi ce blog s'efforce de proposer un recueil varié de textes en vers ou en prose illustrant la place occupée par le Lac, Amphion, Evian, Publier, les rivages du Chablais dans l'oeuvre de la Comtesse.
Pour les lecteurs qui voudraient approfondir leur réflexion sur cette oeuvre, son inspiration et ses thèmes, je propose dans les quatre messages qui suivent quelques extraits significatifs de l'ouvrage d'Angela Bargenda " La poésie d'Anna de Noailles".
----------------------------
Angela Bargenda : "La poésie d'Anna de Noailles" . Editions de l'Harmattan Isbn : 2-7384-3682-X

1.27.2008

200. Anna de Noailles et le lac Léman

---------------------------------------------
Le motif du lac est présent à travers toute l'œuvre poétique d'Anna de Noailles, assez triomphal dans les recueils de la jeunesse, «Le Cœur innombrable», «L'Ombre des jours», «Les Eblouissements», plus mélancolique dans «Les Vivants et les Morts», et les compositions de l'après-guerre: «Les Forces éternelles», «Poème de, l'amour», «L'honneur de souffrir»--------------------------------------------Eté, je ne peux pas me souvenir de vous :
Tel est votre secret et telle est votre force
Que dès que je vous vois jaillir de toute écorce
Un radieux effroi fait trembler mes genoux!
[...] Je songe à mon enfance où j'ai tant souhaité
Voir l'eau d'un lac charmant rester bleue dans mon verre!
[…] Le limpide matin est uni comme un lac
Dont le soleil a fait une turquoise chaude.
L'espace est un désert somptueux. Rien ne rôde
Dans l'azur qui sommeille, ainsi qu'en un hamac.
«Le Cœur innombrable»------------------------------------------Je sens un susceptible et poétique amour
Me ramener vers vous, jardin de mon enfance,
Dispensateur de tous les biens que j'ai connus !
Je revois vos rondeurs, vos chemins bien venus,
La rose, comme un fruit d'automne, blanche et blette,
Le froid pétillement argentin des ablettes
Dans un lac, i1e d'eau que baignent des prés verts,
La pureté subtile, infantile de l'air
Où, même aux jours très chauds, on sent jouer, fondue,
La neige, en vif velours, des sommets descendue,
Qui vit l'aconit bleu et le frais arnica […]
Un léger volant d'eau se défait sur la rive
Et couvre, en s'épandant, de sa fraiche clarté,
Mille petits cailloux, chassés et rapportés
Qui font un bruit secret et glissant de rosaire.
« Les Forces Eternelles ».

199. Anna de Noailles et Evian. 2/2

-----------------------------------
De bonne heure, le dimanche matin, sous le soleil de juillet et d'août, nous nous hâtions vers la chapelle du couvent […]. J'ai, pendant mon enfance et mon adolescence, parcouru cette route avec un plaisir si fort qu'il me semble avoir failli mourir de la joie de vivre. Cette joie m'était lancée de tous les points de l'étendue, et, me frappant comme de mille balles argentines, me faisait réellement chanceler de nostalgie céleste et d’ineffable convoitise […].
Dirais-je, qu'en me rendant à quatorze ans, les dimanches de juillet dans un poudroiement de soleil et de poussière, chez les religieuses Clarisses j'étais une enfant dévote, que le service de Dieu uniquement attirait ? Non point. Certes, le dimanche matin me semblait marqué pour la joie, et pour une joie religieuse, mais j'étendais à tous les sentiments cette gravité et cette liesse. Jeunesse, ambition, amour, munificence, paysages infinis, je vous ai possédés au son d'une cloche de couvent dont les vibrations glauques et liquides chantaient tous les départs toutes les constances et sanctifiaient la sublime générosité des désirs.
(Exactitudes)

Dessin de Jean Cocteau : "Je ferme les yeux. J'essaie, Anne, de revoir votre sourire"

198. Anna de Noailles et Evian. 1/2

----------------------------------------
La petite ville d'Evian, en Savoie, au bord du lac Léman, est pour moi le lieu de tous les souvenirs. C'est là que j'ai, dans mon enfance, tout possédé, et, dans l'adolescence, tout espéré. Si le parfum est le plus prompt véhicule pour rejoindre le passé, l'infini, les cieux, je suis ici au royaume de la mémoire. Je reconnais les vives odeurs du lac, légères et mouvementées, où l'on distingue un parfum d'algues et de pêcheries, de goudron éventé, de barques peintes et clapotantes qui font rêver des grands ports et des voyages Là j'ai vraiment connu la joie, visiteuse forcenée, archange tumultueux qui pénétrait en moi avec toutes ses ailes pour m'entraîner, trébuchante de radieux vertiges, vers les régions illimitées de l'espérance […] Quand mon esprit est sans cesse transformé par les arabesques des événements, semblable à la course des nuages, je retrouve toujours pareille, active, satisfaite, honnête, la petite ville rêveuse de mon enfance. Je suis au milieu de ma vie qu'encore le couvent des Clarisses garde dans un matin de mai sa juvénile beauté. […] Ce cloitre modeste, sa joie rustique, sa blancheur de tubéreuse, ses lignes bien entendues qui, contenant l'azur, le silence, la musique, de frémissantes prières et le sol vivace d'un jardin abandonné me dispensaient tour à tour le calme captivant et l'allégresse dionysiaque […]. (Exactitudes)

197. Anna de Noailles : sites Internet.

Source 1: http://nd.edu/
Source 2:
http://www.nd.edu/~cperry/literary_interests/studies.html

Remarque : Comme toute sélection de sites, celle qui est proposée ci-après, réalisée à partir des références d'une université américaine, peut se révéler inexacte dans quelques temps, certains liens cessant de fonctionner. Il convient donc, si nécessaire, de faire appel à la source N° 2 pour vérification et mise à jour.

* Anna de Noailles at the Royal Belgian Academy of French Language and Literature.
* Anna de Noailles on Wikipedia .
* A selection of poems by Noailles, mostly from Le Coeur innombrable (1901) Noailles on France Web.
* Noailles on the Québec site "La poésie que j'aime" .
* "Anna de Noailles et les écrivains de son temps," conference organized by Pierre Brunel, La Sorbonne Paris IV, May 16-17, 2003 .
* Lycée Anna de Noailles in Evian, with biographical information and links .
* Three letters by Noailles to Maurice Barrès, excerpted from Mignot-Ogliastri's edition of the correspondance .
* Proust's 1907 article on Noailles' Les Éblouissements (English translation) .
* Text of the 1996 documentary film on Noailles, "Un siècle d'écrivains".
* Noailles' bust by Rodin, at the Musée Rodin in Paris.
* Noailles on "Evene.fr" .
* Noailles on Prof. Mari O'Brien's site .
* A short study of the poem "La Mort fervente" from Noailles' first collection .
* The poem "L'Empreinte" from Noailles' 1901 collection Le Coeur innombrable .
* The poem "Voyages" from Noailles' 1902 collection L'Ombre des jours .
* An article on Noailles' 1905 novel La Domination, by Remy de Gourmont. On the site of the "Séminaire de l’équipe 'Genèse et autobiographie'," brief presentation by Marie-Claude Fresnel
* Noailles documents at the Institut de France, Paris
* Noailles on "alalettre.com".
* Biographical presentation of Noailles at the Palais Beaumont, in Pau.
* Noailles' room at the Musée Carnavalet, in Paris, with a thematic presentation.
* Noailles' presence in Montreux, Switzerland, where she often resided.
* Noailles' tomb at the Cimetière du Père Lachaise, in Paris - interactive page.

1.26.2008

196. Charles-Ferdinand Ramuz : "Pensée à la Savoie". 3/3.

--------------------------
De tous les villages rangés sur la rive, serrés à la rive comme sont les nôtres et poussés à l'eau par le mont (rien que la place pour la route et la pente, aussitôt, commence), ils se sont mis en marche, un soir, pour les grandes marches d'ensuite et qui auraient pu être les nôtres. Presque rien à changer au grand décor des rochers et presque rien aux personnages. Et celles qui maintenant se désolent sont, elles aussi, tout près de nous. Je me souviens de certaines maisons et de certains petits jardins, et les bonnets noirs ruchés que mettent les vieilles, nos vieilles aussi les mettent. Elles se lamentent avec nos mots, presque, et alors c'est comme si le drame, anticipant là-bas l’événement, allait soudain passer les eaux. Parenté de la chair qui seule situe l'image. Certes il nous est possible, parce que le cœur est grand, de souffrir avec tous ceux qui souffrent, ceux mêmes d'une autre couleur, ceux de l'autre bout de la terre, mais quelle netteté, quelle intensité, quelle précision quand ceux qu'on pleure sont de notre sang !
Par où toucherions-nous de plus près à la guerre que par ceux qui sont nos voisins, de la même race, du même pays, bien qu'un voile bleu soit jeté sur eux, mais qui se déchire?
Et ne faut-il pas leur faire signe, à présent que tous nos garçons à nous sont rentrés, pas les leurs, et que leurs villages, de plus en plus, vont être des villages de femmes et des villages de vieillards ?

195. Charles Ferdinand Ramuz : "Pensée à la Savoie". 2/3.

-----------------------------
Et cependant, il vit, ce pays, à l'heure qu'il est, il souffre, Cela ne suffira pas à resserrer la parenté ? Cette communion qui manque, l'idée de le savoir blessé, ne va-t-elle pas l'établir, réveillant une sympathie ? Et alors reprendront leur sens, pour nous qui admirons surtout « la belle vue » et qui l'admirons un peu trop, la forme humaine de ces rochers, la forme vivante de ce rivage,
Ce n'est pas que rien ait changé en apparence. Toujours le même calme règne sur ce beau visage de lumière et d'ombre, dont le soleil couchant accentue le relief; c'est cette même grandeur de masse, cette tranquille assiette, cette sérénité; le pays de là-bas cache des choses en lui-même, il a cette pudeur du cœur qui donne tant de force à ce qu'elle laisse échapper; pourtant ces choses-là se savent, et nous n'ignorons plus son deuil.
Tous ceux qui sont partis de dedans ces maisons à gros crépi écailleux et lézardé, où des linges de couleur se balancent à la bise, où des femmes sont sur le seuil, tous ces garçons, un paquet sous le bras, les uns chantant trop fort, les autres trop silencieux, et qui étaient pêcheurs comme nous, vachers, laboureurs comme nous, même quelques-uns vignerons chez nous, avec des noms pareils, des figures, un accent pareils, ils sont partis, ils ne reviendront plus. Ils s'en sont retournés au dernier contour, ont encore crié quelque chose et le lac qui porte les voix, qui sait, si tout alors faisait silence, peut-être qu'un écho est venu jusqu'à nous.

194. Charles Ferdinand Ramuz : "Pensée à la Savoie". 1/3.

--------------------------------------------------
Le thème de l’eau qui unit et de la communication interrompue - par la première guerre mondiale - est cher à Charles Ferdinand Ramuz. Il le développe dans un beau texte, peu connu, intitulé « Pensée à la Savoie », publié en 1915 dans « La gazette de Lausanne » et repris à la même époque per le journal d’Annecy « Les Alpes » -----------------------------Texte publié en 3 parties : 194 - 195 - 196-----------------------------Je regarde, ce soir, la Savoie. Les grandes montagnes sont bleues et blanches. Assises l'une à côté de l’autre, dans leurs grosses jupes à plis carrés, elles ont l'air, elles aussi, de vous regarder avec leurs figures éclairées. En haut est cet éclat du teint, en bas, le foncé de l'étoffe. Et dans le lac, à leur pied, leur image se montre en agrandissement, flotte sans cesse déformée, mais plus belle peut-être d'être mouvante, participant à une vie qu'elles-mêmes n'auraient pas. Pays en face de chez nous, pays que je vois tout le temps, pays que j'ai debout devant mes fenêtres et rien d'autre que lui, sauf l’eau dont non seulement les aspects mais même les bruits nous arrivent, qu'ils fassent sauter leurs pierres, qu'ils sonnent pour la messe ou bien qu'à grands coups de maillet, ils réparent le pont de leurs barques - pays en face de chez nous, est-ce qu'on pense assez à toi ?
Bien qu'un peu d'eau nous sépare de lui, qui est si vite traversée, pourquoi faut-il que la pensée ne puisse pas communiquer? Des fois, il nous envoie les troupes de ses effeuilleuses, ou les femmes qui vont au marché vendre des choses dans leurs corbeilles, mais jamais un petit signe, un petit bonjour, un simple geste de la main, et nous à lui, pas davantage. Oubli de ces deux rives l'une pour l'autre, ignorance l'une de l'autre: est-ce d'être toujours assises face à face, d'être obligées toujours de se considérer? Voilà que, prenant ma lunette, je compte dans le port de Meillerie les mâts noirs et serrés, comme un petit bois qui aurait séché; chaque toit se distingue, et chaque façade; ce chemin, je le suis de l'œil, déroulant ses lacets sur les pentes, mille fois; hélas! Jamais personne ne se montre aux fenêtres, jamais personne sur ces chemins.

La Tour de Peilz (gravure ancienne)

193. Dans les journaux : "Parcs et jardins d'Evian". 2/2.

---------------------------------------------------
Le Messager ne pouvait moins faire que d'aller aux renseignements, M. Correvon s'est laissé aller bien cordialement à notre interview. Avec lui, nous lisons sur le plan en partant du Casino : deux cèdres puis un terre-plein, sorte de belvédère et de salle verte, un paysage et un dessin de fleurs encadrant un monument commémoratif aux héros Eviannais de la grande guerre, devant soi la pelouse rnodelée, une partie découpée à la française et un massif de verdure en plantes taillées. De l'autre côté du Casino le motif se répète à quelques détails près.
M. Correvon prévoit, côté Porte d'Allinges, un monument en souvenir du passage des réfugiés et de l'accueil touchant qu'ils reçurent à Evian ; mais, dans ce cadre grandiose, pas de groupe sculpté dans le déjà vu, le banal, c'est-à-dire pas de personnages tenant des drapeaux ou des clairons, la note théâtrale de mauvais goût.
Non, entre les deux cèdres, un beau bloc de granit tiré des contreforts des Alpes chablaisiennes, la belle pierre du Pays, une disposition à la manière antique, c'est-à-dire digne et majestueuse à la fois, des inscriptions simples, le tout s'encadrant dans la verdure, donnant une note bien particulière dans le décor alpestre.
« Un jardin est une oeuvre d'art, nous dit encore M. Correvon, ce n'est pas la première saison qu'il faudra juger, attendez que les végétaux aient acquis leur complet développement, que chaque chose ait pris sa place, le temps consacre peu ce que l'on fait sans lui. » Voilà Evian paré pour la saison. ("Messager agricole", le 24 avril 1920 )

1.11.2008

192. Dans les journaux : "Parcs et jardins d'Evian". 1/2.

-------------------------------------
La création des parcs et jardins. La grande fête estivale qu'est la Saison approche à grands pas et, déjà, les stations soucieuses de recevoir dignement leurs hôtes d'été se mettent en frais de grâce et de coquetterie. Nous parlerons prochainement de chacune des villes d'eaux ou stations climatiques de la Haute- Savoie. Chamonix, Saint-Gervais, Mégève, Thonon, Abondance, Morzine, etc., aujourd'hui c'est Evian qui est en vedette. parce qu'Evian vient de donner l'exemple. Aux dernières élections municipales, le programme des candidats de cette ville comportait : embellissement de la station; la Municipalité élue s'est mise à l'oeuvre et a commencé à réaliser une partie des grands projets demandés par la population, tout d'abord l'établissement de grands jardins publics, sur le nouveau quai. La tâche était difficile, la partie de terrain laissée libre entre le Casino et le Port d'une part, le Casino et la place Porte d'Allinges d'autre part, sont de configurations ingrates.
D'un côté une double rangée de platanes avec des immeubles, de l'autre la grande route, puis le quai et le Lac immense ; le terrain disponible sans axe aucun. Comment créer là un jardin ? c'est-à-dire faire un premier plan harmonisé avec le paysage ; comment parer avec grâce ce quai d'où la vue s'étend splendidement sur le fond du Lac, les Alpes et le Jura ? La Municipalité s'est adressée à un architecte paysagiste de talent, M. Ferdinand E. Correvon, dont les créations de parcs et jardins en France et à l'étranger lui ont valu ainsi qu'à son père, le savant botaniste connu du monde entier, la réputation de maîtres du genre décoratif alpestre. Le grand artiste des jardins paysagers a su vaincre les difficultés et c'est à la fois un chef-d'oeuvre de décoration et d'horticulture que les baigneurs auront sous les yeux en l'an de grâce et de paix 1920.

191. Dans les journaux : Grève générale à Evian".

-------------------------------------------------
Grève générale de nombreux ouvriers du bâtiment qui se trouvent à Evian, occupés à la construction d'importants hôtels ou villas. Une partie d'entre eux sont travaillés par les meneurs du mouvement gréviste de Lausanne. Vevey demandait que le prix de l'heure de leur travail soit porté à 0,70 franc. Encouragés par des brochures envoyées de Paris, les ouvriers plâtriers-peintres et maçons devinrent plus pressants dans leurs revendications. Samedi matin, ils envoyaient un ultimatum aux entrepreneurs de notre ville et à midi 40 à 50 ouvriers, la plupart étrangers, quittaient brusquement le travail... La grève générale a été déclarée, les ouvriers de diverses sociétés d'eaux de notre ville y ont adhéré. Les réclamations portent sur une augmentation de salaire et le renvoi de quelques contremaîtres. Les grévistes, au nombre de 300 environ, ont décidé de ne reprendre le service qu'autant que chaque catégorie de corps de métiers aura obtenu satisfaction. lis sont très calmes aussi bien dans leurs réunions que dans leurs cortèges. (Le Messager agricole, le 20 avril 1907 )

190. Dans les journaux : "A propos du Casino". 2/2.

---------------------------------------------------
Agrandissement du Casino d'Evian : la population éviannaise vient d'apprendre avec joie que le projet d'agrandissement du Casino avec empiètement sur le lac, vient d'aboutir. On sait que le premier projet de ce plan grandiose avait été émis par M. Besson, ancien maire d'Evian et directeur de la Société des Eaux minérales. Il s'agit de l'établissement, en face du théâtre. d'une superbe construction destinée à remplacer le Casino actuel. devenu beaucoup trop petit pour les nombreux baigneurs qui viennent chaque année dans notre station estivale. Le projet nouveau comporte une très grande emprise sur le lac. On remblaierait le lac sur une grande partie du quai de Blonay, ce qui produirait une courbe gracieuse et permettrait au regard de découvrir un horizon plus vaste. Le Conseil municipal. la Société des Eaux minérales et la nouvelle Société du Casino se sont entendus sur les bases suivantes :
La ville d'Evian, au moyen d'un emprunt de 600.000 francs, ferait elle-même l'entreprise. La nouvelle Société édifierait le nouveau Casino-Théâtre, dont le coût serait d'un million. Après l'expiration de la concession, dont le temps est fixé à 60 ans, le Casino deviendrait propriété de la ville. Pendant toute la durée du remboursement et afin de dédommager la ville, la Société des Eaux paierait à la ville d'Evian un intérêt de 5%.
Nous sommes heureux d'enregistrer ce projet grandiose, qui ne peut-être qu'un nouveau gain pour nos commerçants par la venue encore plus grande de touristes et baigneurs, surtout quand le Royal-Hôtel sera construit. Nous nous sommes laissés dire qu'il serait prêt pour 1908 et d'autres hôtels sont aussi en voie de construction. Allons ! Evian deviendra bientôt la saison estivale par excellence. "L'Echo du Léman", le 14 septembre 1907

189. Dans les journaux : "A propos du Casino". 1/2.

----------------------------------
Le casino : Monsieur le baron de Blonay, à Evian, met en vente sa galerie de tableaux, objets d'art et mobilier de son château d'Evian. Cette résolution est motivée par le changement de destination de cet immeuble dans lequel la ville d'Evian a le projet de créer un grand Casino. La vente qui aura lieu le mardi 7 et suivant à midi comprendra, entr'autres : deux magnifiques Pourbus, des A. Courache, un bas-relief romain de marbre, des porcelaines et faïences anciennes et un grand nombre d'autres objets artistiques et fort rares.
"Le Léman", le 5 novembre 1876

Le Casino d'Evian est installé avec tout le luxe désirable dans le magnifique château d'Evian. Il est situé au bord de cet incomparable Léman, à l'extrémité de ce quai qui paraît en être une dépendance créée pour relier au Casino les splendides promenades du port et de Chavanne. Le Casino est appelé à une réussite infaillible et sera une des sources de la prospérité de notre station balnéaire. Monsieur de Sallier, le directeur, n'a rien négligé, il n'a reculé devant aucune dépense pour élever son établissement à la hauteur des casinos les plus renommés de France. Le salon de conversation, de lecture et de jeux sont décorés avec un goût exquis. Un orchestre, sous la direction de monsieur Kling, directeur des concerts de l'orchestre municipal de la ville de Genève, aura bientôt acquis la réputation qu'il mérite. "Le Léman", le 24 juin 1877

L'un de mes oncles à la terrasse du Casino en 1920.

188. Dans les journaux : "Le Léman" du 01 juillet 1883

--------------------------------------------
Evian-les-Bains... si justement nommée par le comte Walewski le jardin d'été de la France est appelée une belle prospérité et à devenir un jour la reine des stations thermales. Le panorama est si grandiose que les premiers touristes qui ont visité nos parages l'ont comparé aux beautés du golfe de Naples et de la rade de Constantinople. La station thermale d'Evian attire surtout l'étranger par l'efficacité thérapeutique de ses eaux ordonnées en traitement à certaines maladies, principalement dans les affections suivantes : états chroniques des voies urinaires, goutte subaiguë et atonique, dyspepsies douloureuses, convalescences difficiles.
Outre les malades, beaucoup de nos aimables habitués viennent goûter le calme et le repos au milieu d'une nature saine et vigoureuse servie par la salubrité de l'air balsamique que l'on y respire. Il en est d'autres qui viennent demander à notre plage quelques-unes des distractions que l'on ne trouve point dans toutes les stations balnéaires. ("Le Léman", 01 juillet 1883)

L'hôtel Royal (gravure ancienne)

187. Julien Gracq : "La rive française du Léman".


---------------------------
Quand je visitai les bourgs de la rive française du Léman je m'attendais à la foule estivante, aux casinos, à la marée du béton. Je trouvai - Evian et Thonon mis à part - des villages presques paysans, silencieux dès que le soir tombait et que mouraient les bruits de la grand-route, des maisons grises et vieilles, un peu délabrées, des guinguettes de pêcheurs à la ligne, et, le long des charmilles au bord du lac, l'odeur même de vase de la Loire par les soirs d'été, montant dans le crépuscule avec le faible bruit du ressac contre les grosses pierres de la berge.

Julien Gracq (1910-2007)
(Carnets du grand chemin, 1992)

1.09.2008

186. Anecdotes lémaniques

-------------------------------------------
Déjà nous sommes hors du port, hissons la voile avec deux ris, capelons les cirés et enfilons les bottes. Ça barde immédiatement, les vagues cognent sans répit. Une légère abattée et nous mettons le cap sur Préverenges au petit largue, il est inutile de casser du bois à la première bordée un peu sérieuse. Une heure plus tard nous voici à la côte suisse, en eau plate mais avec de fortes rafales. Le bateau s'en donne à cœur joie, et le barreur et l'équipage.
Le soleil décline sur le Jura, le Léman prend le bleu foncé des soirs de bise. Nous arrivons devant Ouchy (photo), mais il n'est pas question de rentrer au port sur une pareille lancée. A la barre, Maurice joue avec les grains et gagne à tous les coups. D'un seul bord nous filons jusqu'au Dézaley, anticipant sur le prochain challenge du Cercle de la voile. Les volets rouge et blanc des abbayes de la Ville nous rappellent la capitale et indiquent le moment venu de virer de bord.
C'est alors la rentrée grand largue sur Ouchy et nous prenons la bouée à l'instant où le soleil disparaît derrière le Jura. L'équipage est fourbu, mais heureux. Pour une première sortie, c'est dans le mille. On s'en va «sur les bords de la Riviera» repasser les images de la journée. Il en restera une surtout, que nous emprunterons d'ailleurs à Guy de Pourtalès:
Quelqu'un demandera: « Et l'eau d'Evian »? A quoi nous répondrons en grands seigneurs: « Elle servit ce jour-là à rincer la vaisselle ».

185. Anecdotes lémaniques.

-----------------------------------
Avril avait bien commencé. Les fleurs sortaient de partout, à Ouchy les terrasses étaient pleines, la circulation avait repris de plus belle. Le bateau était fin prêt, coque ripolinée, vernis étincelant. De l'autre côté du lac, la neige fondait à vue d'œil, c'était le moment de faire la première traversée. On ne pouvait plus attendre. Un beau matin ce fut le branle-bas à bord de Néfertiti. A dix heures départ par calme plat, moteur à demi-régime, cap sur Tourronde. Maurice tient la barre, Claude ajuste le petit chapeau bleu, la chaloupe glisse vers la Savoie embrumée.
Bientôt on distingue les détails de la côte blanche de cerisiers: la Grande-Rive, Torrent, Lugrin, sa grande église. Le port de Tourronde est enfin visible, avec sa digue minuscule, mais correctement dessinée par les Ponts et Chaussées. Le lac est bas, il y ajuste le fond et la place pour s'amarrer près de la passe d'entrée. C'est le moment de déboucher le Crêt-Dessous et d'ouvrir «officiellement» la saison, le verre à la main, sans protocole et en toute amitié.
Le père Joseph, constructeur naval en retraite, nous accueille dans son chantier qui sent les copeaux et la vieille marine. Et l'on refait la France, à défaut du monde. Ma foi, elle ne va pas si mal que ça, notre chère voisine: les bistrots sont ouverts, le boucher nous sert le steak avec amabilité et l'épicière nous serre la main avec cordialité: alors vous voilà revenus, que désirez-vous, Messieurs ? Puis c'est le pique-nique sur la jetée, tout attirail déployé. Le lac a repris l'aspect si cher à Bocion, le soleil fait sentir sa présence et le Dézaley encore brun n'en perd pas un rayon.
Au moment du pousse-café on remarque une ligne verte en face, dans le creux de Saint-Sulpice. Pas possible, le morget à ces heures? La ligne s'épaissit rapidement vers l'est, elle épaissit et avance en même temps. C'est la bise qui arrive, suivie du troupeau de moutons blancs. Aux postes d'appareillage !

184. Anecdotes lémaniques

--------------------------------------------------
2. Quelques photos des barques et du port sont quand même visibles chez l'ancien maire, chez les tantes Irène et Eugénie, tenancières du Café du Centre, et dans les hôtels de la Terrasse et de la Croizette, à chaque extrémité du village. Sur la jetée, le coucher du soleil est splendide. Vous portez le regard du Jura aux Rochers de Naye en trinquant le coup de blanc. Au village l'accueil est aimable et tranquille. Le chat noir dort sur la table du bistrot, le grand-père revenu de Lyon raconte ses souvenirs, Madame Eugénie a refait ses frisons. Vingt dieux ! Que l'hiver était long chez nous aussi, vous savez.
Les primevères garnissent le talus du port, les pêcheurs parent les grands filets, on va du bon côté, comme on dit en face. Meillerie est dans toute sa gloire aux petites heures. Elle s'allume dès que le soleil passe par-dessus les Alpes vaudoises. Le moment est venu de monter sur la terrasse de l'église au-dessus du village endormi. On n'entend que le bruit du ruisseau dans le canal de pierre taillée. Lorsque la porte du sanctuaire n'est pas fermée à clef, vous entrez dans l'une des plus belles églises de la côte de Savoie et vous admirez les vitraux illuminés à cette heure, puisqu'ils sont au levant.
Puis vous prenez la route des Etalins, immense carrière remise en activité il y a quelques années. Observant le paysage à trois cents mètres du Haut-Lac, vous convenez que cette région a du cachet et du caractère, surtout si vous êtes de La Côte! Mais il est temps d'appareiller et de songer aux commentaires à l'intention des amis qui ne connaissent pas l'endroit, découvert déjà par Jean-Jacques Rousseau. Vous tirez alors la conclusion, les absents seront mis en tort et les sceptiques changés en pierre.

183. Anecdotes lémaniques.

-------------------------------------------
Quand vous faites le tour du Haut-Lac, le bateau vous emmène tout d'abord à Evian, ville d'eau verte et riante. Puis il longe la côte de Savoie, Grande-Rive, Petite-Rive, Torrent, Tourronde défilent sous vos yeux qui admirent les cerisiers en fleurs, les châtaigniers touffus et séculaires, repèrent les hameaux cachés, Véron, Vieille-Eglise, Les Combes, Troubois et Chez-Busset. Vous doutez un instant de ces récits de carrières sauvages, de ruisseaux en cascade, de forêts impénétrables, à propos de Meillerie. Vous n'en doutez pas longtemps. Brusquement le décor devient sombre, le vert clair vire au noir, la montagne vous écrase, plongeant dans l'eau profonde. Seuls quelques rochers émergent des taillis, perchoirs de hérons cendrés magnifiques et circonspects.
Soudain une échancrure, une église, des maisons grises et un débarcadère. Vous êtes à Meillerie.
Le bateau à vapeur n'accoste qu'en juillet et en août car cette escale n'intéresse presque personne, dit-on à la Compagnie. Seuls les capitaines saluent Monsieur le curé d'un coup de sifflet en agitant la casquette, comme ils le font symétriquement en passant devant le Dézaley de la Ville. Ainsi passent les messages entre la vigne et le Seigneur et ainsi demeure l'esprit lémanique. Mais les perles rares se découvrent au printemps. Vous atteignez donc Meillerie dès avril, à la voile ou à moteur.
Du large on entend les ruisseaux dévaler de Mémise, grossis par la fonte de la neige. Les bois sont encore bruns, le port encore désert. L'entrée occidentale du port, l'ancienne sortie naturelle des barques, a été bouchée pour diminuer le clapot. Il s'agit de permettre aux «caravanes flottantes» d'aujourd'hui de passer la nuit aussi tranquillement que dans un parc à voitures. Ainsi gagne-t-on en confort ce que l'on perd en nautisme. L'époque a ses raisons que la navigation ne connaît pas. Tant pis pour André Guex et ses Mémoires du Léman !

in "L'air du temps : Anecdotes Lémaniques", Cabedita editions, 1991.
pour les numéros 183 à 186.

182. Anna de Noailles : un portrait.

-----------------------------
Source : document ville d'Evian