11.12.2007

163. Jean-Jacques Rousseau : "Les montagnes du Chablais".

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Je voulais rêver, et j'en étais toujours détourné par quelque spectacle inattendu. Tantôt d'immenses roches pendaient en ruine au-dessus de ma tête, tantôt de hautes et bruyantes cascades m'inondaient de leur épais brouillard, tantôt un torrent éternel ouvrait à mes côtés un abîme.[…] Ce n'était pas seulement le travail des hommes qui rendait ces pays étranges et bizarrement contrastés, la nature semblait encore prendre plaisir à s'y mettre en opposition avec elle-même, tant en la trouvait différente en un même lieu sous divers aspects.[…]
Ajoutez à cela les illusions de l'optique, les pointes des monts différemment éclairées, le clair-obscur du soleil, et des ombres et tous les accidents de lumière qui en résultaient le matin et le soir. Imaginez la variété, la grandeur, la beauté de mille étonnants spectacles, le plaisir de ne voir autour de soi que des objets tout nouveaux, des ciseaux étranges, des plantes bizarres et inconnues, d'observer en quelque sorte une autre nature et de se trouver dans un autre monde.
Tout cela fait aux yeux un mélange inexprimable dont le charme augmente encore par la subtilité de l'air, qui rend les couleurs plus vives, les traits plus marqués, rapprochant tous les points de vue ; les distances paraissent moindres que dans les plaines, l'horizon présente aux yeux plus d'objets qu'il semble n'en pouvoir contenir, enfin, le spectacle a je ne sais quoi de magique, de surnaturel qui ravit l'âme et le coeur, on oublie tout, on s'oublie soi-même, on ne sait plus où l'on est. (La Nouvelle Héloïse)

Montagnes du Chablais. Source : http://www.ibamo.com/temp/blogcap/photos/2570-DCP_0090.JPG