3.06.2007

38. A propos de la littéraure en Savoie. 1/2.

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Extraits de l'ouvrage "Savoie", dans la collection Encyclopédies Régionales,
par Jacques Lovie, Paul Dufournet, Alain Boucharlat, Victorin Ratel, Louis Terreaux, Pierre Préau.

Editions Christine Bonneton. Le Puy 1982
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1. A propos de la littérature en Savoie.

Lamartine en subit l'influence profonde. Sans le Léman et Rousseau, Le Bourget eut-il connu la fortune ? Un siècle et demi plus tard, le lac genevois inspirait une femme de génie marqué encore par le romantisme :

"Etranger qui viendras, lorsque je serai morte,
Contempler mon lac genevois,
Laisse que ma ferveur dès à présent t'exhorte
A bien aimer ce que je vois !"

Cette femme, c'était la Comtesse Anna de Noailles. Elle était née d'un prince roumain, qui avait fait construire une maison à Amphion, entre Evian et Thonon. Anna Brancovan y passa les étés de son enfance. Le paysage lui fit ce coeur profond, si sensible, si grand, que l'Univers y fond :

"Enfance au bord d'un lac ! Angélique tendresse
D'un azur dilaté qui sourit, qui caresse,
D'un azur pastoral, d'un héroïque azur
Où l'aigle bleu tournoie, où gonfle un brugnon mûr !
L'horizon était beau comme une mélodie...
C'est là que j'ai connu les bonheurs de l'été.
Quel échange d'amour, de prouesses, de joie,
Entre les coteaux verts et les cieux de Savoie !
Harmonieux élans ! Confiante douceur !
Les alcyons légers semblaient jaillir du coeur
Pour presser le flot tiède où leur vol blanc se pose.
Oh ! mon pays divin, j'ai bu toute ta sève.
Je t'offre ce matin un brugnon rose et pur,
Une abeille assoupie au bord d'un lis d'azur,
Le songe universel que ma main tient et palpe,
Et mon coeur, odorant comme le miel des Alpes."

37. Charles Ferdinand Ramuz : "Chant de notre Rhône". 4/4.

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Alors je me rassieds [...] réinvoquant ces lieux, de nouveau ces villages sont nommés un à un, cette Savoie d'en face et les montagnes de Savoie, notre Lavaux, notre Jura, notre La-Côte; les villages de là-bas à noms de Saints et les nôtres aussi à noms de Saints : Saint-Gingolph, Meillerie, Evian, Saint- Paul, Thonon, Nernier, Yvoire; Nyon, Rolle, Saint-Prex, Morges, Lausanne, puis Cully, puis Saint-Saphorin, puis Vevey, Clarens, Villeneuve [... ] ces villages entiers mirés, quand ils pendent dans le néant comme à un fil les jours de brume, ces taches jaunes, ces taches brunes, ces taches rouges; ceux d'autour du miroir nommés d'abord et désignés; et puis ceux d'en aval, et alors viennent les grandes villes, viennent Genève, puis Lyon; puis de nouveau des villages et des bourgs comme ceux d'ici, par une étrange ressemblance et une étrange symétrie, ces rochers roux du Villeneuve de là-bas (non plus le nôtre) et leurs ruines, Orange, Avignon, Arles, les vignes de là-bas (toujours ce torrent de montagne, toujours le galop du taureau), et enfin, près de l'embouchure, cette Crau qui répète les déserts rocheux de la source, parce que le vieillard revient à son enfance et il faut que le cercle soit complètement refermé. O Méditerranée d'alors, n'est-ce pas qu'il convient que tu ressembles au berceau même ? (Chant de notre Rhône)

36. Charles Ferdinand Ramuz : "Chant de notre Rhône". 3/4.

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Alors regarde, regarde encore, regarde tant que tu peux. Un bateau à vapeur fait une grosse fumée, le canot à rames est au milieu d'une espèce de tache d'huile. Au milieu d'une tache d'un gris luisant est le tout petit canot noir, les peupliers au bord de l'eau penchent de côté par un effet de perspective. Le lac monte devant vous comme la pente d'un pâturage, les perspectives des murs basculent, cette barque à voile est en haut d'un toit, cet autre toit pend dans rien du tout. Ici est notre Méditerranée à nous ; ici est une petite mer intérieure avant la grande. Du haut du mont et du point de cet arc qui est le point de sa concavité la plus marquée, les lieues vous sont offertes dans les trois dimensions; on peut dresser le mètre après l'avoir posé à plat ; ce n'est pas la place qui manque. L'immense ciel, qui se creuse au-dessus de vous, il se creuse aussi au-dessous de vous. C'est comme un grand oeil qui regarde et dans quoi aussi on regarde, et on cherche dedans un regard en réponse au sien sans point en trouver dans sa profondeur. (Chant de notre Rhône)

35. Charles Ferdinand Ramuz : "Chant de notre Rhône". 2/4.

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Je regarde tout le temps le Rhône. Ici à présent est son berceau. je regarde bouger le berceau, avec ses rives en bordure. La savoyarde, la vaudoise : je regarde bouger le berceau entre les deux rives rejointes du bout qui donnent au berceau sa forme, et inégalement elles sont mises en vis-à-vis. L'ouvrage n'est pas tellement régulier qu'il ennuie, le bon ouvrier n'ennuie pas, le bon ouvrier ne fait pas trop égal, le bon ouvrier s'amuse à des différences. La savoyarde, la vaudoise.
Tu ne peux pas te plaindre de l'Ouvrier, ni te plaindre de son ouvrage, n'est-ce pas ? ô toi qui es là, et déjà tu remplis la couche que tes parents t'ont préparée, cette Savoie et ce Pays de Vaud, maintenant que tu es couché, ô Rhône, la Savoie à ta gauche, le Pays de Vaud à ta droite, celle-là poussant du pied le berceau qui penche vers nous, et nous du pied le repoussant, qui penche à nouveau de l'autre côté. La Savoie à ta gauche, le Pays de Vaud à ta droite, tu as un temps à tes côtés, ici, quelque chose comme tes parrain et marraine, et soucieux de toi ils te bercent en mesure quand, en effet, par les beaux jours, on voit cette surface s'incliner toute dans un sens, puis s'incliner dans l'autre sens. Pays doux et grands, pays bien de toi, et dignes de toi. (Chant de notre Rhône)

34. Charles Ferdinand Ramuz : "Le chant de notre Rhône". 1/4.

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"Là-bas, le Rhône naît du glacier : voilà d'abord son origine. C'est cette grande vallée pierreuse, avec un versant privé de sa chair sous une peau peinte et repeinte, cuite et recuite par le soleil, où si souvent on s'est tenu, à l'ombre de l'un ou l'autre de ces pins qu'il y a, l'ombrelle des branches mal ouverte et un peu de travers, en peinture vert foncé sur une peinture bleu foncé ; et on l'a contemplé de là, dans le fond de cette vallée, quand il coulait encore blanc comme sont les eaux du glacier qui sont des eaux comme du lait. Sur ce fond plat était la route, sur ce fond plat était la véritable route, sur ce fond plat était la voie ferrée ; sur ce fond plat était cette autre fausse route, plus large, plus tortueuse, avec ses volontés, beaucoup plus large, avec ses fantaisies, prenant en travers de la plaine tout à coup, puis faisant un détour, puis de nouveau serrée tout contre la montagne, comme si elle cherchait l'ombre, puis de nouveau allant droit devant soi. Ferdinand RAMUZ (1878-1947), Le chant de notre Rhône