10.31.2008

285. Jean-Pierre Larpin. Anecdotes lémaniques.

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Je propose à mes lecteurs deux anecdotes
extraites de ce très beau livre :
286 - 287 - 288 : la pierre de Meillerie.
289 - 290 : l'eau d'Evian.
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284. Jean-Jacques-Rousseau. 2.

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283. Jean-Jacques Rousseau. 1.

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http://www.memo.fr/dossier.asp?ID=37
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10.30.2008

282. Guy de Pourtalès. 3.


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Le globe rouge de la lune s'élevait lentement sur l'antique paysage de La Pêche miraculeuse: le lac, le Môle pointu, la ville lointaine, la barque d'un pêcheur qui va noyer ses nasses. Existe-t-il toujours ce Christ qui marchait sur les eaux en tendant la main vers celui qui déjà s'enfonce vers l'abîme? Non, le temps des miracles est passé. C'est sur la terre que marche l'homme d'aujourd'hui, sur cette terre mêlée à un ciel de moins en moins mystérieux et qui est pourtant le ciel pour d'autres terres […]. Un grand calme emplissait Paul de se sentir si infiniment petit, de n'être qu'un atome confondu à l'espace. Il l'avait pressenti plusieurs fois déjà, cet apaisement, ce rattachement à l'ensemble dès choses. Voici les joncs, la grève, le bois de pin. ce minuscule pays peuplé de disparus. Quelque chose vit et palpite dans cet univers loyal et ordonné. Mon vrai moi, c'est le monde; mon vrai moi est dans cet arbre, dans ce lac, dans chacune de mes actes, dans chacune de mes pensées. Il n'existe rien où je ne sois pas ! ("Marins d'eau douce" p. 417.)

281. Guy de Pourtalès. 2.

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Le vent était triste. Déjà quelques flocons de neige voltigeaient, hésitants. Ils traversèrent la voie du chemin de fer. La neige commença de tomber plus serrée et le sol blanchissait partout. Le port était rempli de plongeons et de poules d'eau venus se mettre à l'abri du môle et des rochers. Ils nageaient en formation militaire. […] Une famille de cygnes les observait de loin, avec dédain, ainsi qu'un vaste congrès de mouettes, cent petits ventres blancs plantés sur des pattes roses rangés au long de la balustrade du débarcadère comme des porcelaines de Copenhague.[…] Ils s'enlacèrent étroitement au fond du bateau. Des éclairs allumèrent de nouveau le ciel, comme un lointain feu d'artifice et le tonnerre roula sourdement à distance, dans un autre monde. Le bateau dérivait, ils ne savaient où, poussé par un coup de vent qui frisait l'eau méchante. En levant la tête, Paul aperçut, déjà fort loin, le feu rouge du port. Il vit briller sous le falot tremblotant accroché au bordage des yeux pleins d'une vie étrangère qui interrogeaient la sienne, semblaient s'élancer à sa rencontre. Et cette fois il la prit tout entière avec une sorte d'épouvante délicieuse. Le tonnerre gronda plus fort, mais ils n'entendaient rien, ne redoutaient rien. Ils étaient perdus en eux-mêmes. Ils étaient comme deux vagues qui se heurtent pour se fondre en une oscillation uniforme. Ils avaient l'air de se battre, de se dévorer l'un l'autre, mais une espérance les emportait ensemble au fond des ténèbres. ("Marins d'eau douce" p. 247.)

280. Guy de Pourtalès. 1.

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1. Il ne restait à naviguer que les barques aux voiles latines, qui descendaient toutes chargées vers Genève, ou remontaient à vide vers le Haut Lac. Je les regardais s'effacer dans la brume, et il m'arrivai: de me complaire à remuer mon petit passé d'enfant, de rappeler certains jours, certains faits, certaines heures, comme s'ils eussent été plus importants que d'autres, plus rares et plus délectables. J'aimais à m'isoler sur la grève, maintenant déserte, pour explorer et dénombrer ces événements intimes, d'ailleurs sans liens apparents: les noires nuits d'été avec le cri des chouettes; les deux chers vieux visages des grands-parents ; l'angélus sonnant dans le crépuscule, la sonate en la bémol; notre navigation nocturne au large de Lutry ; les solitudes d'Yvoire; les yeux tendres de Mlle Georgine et, au-delà de tous ces souvenirs, mêlé à eux, éclairé par eux comme s'il était leur couleur essentielle, leur climat même: le lac, tantôt immobile et calme avec ses pierres qu'on voit au travers, ses herbes, ses poissons; tantôt boursouflé par les vagues, ennemi, noir et chargé d'une puissance miraculeuse. ("Marins d'eau douce", page 87)
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http://fr.wikipedia.org/wiki/Guy_de_Pourtal%C3%A8s

279. Charles-Ferdinand Ramuz. 4.

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4. Je retourne au lac. . . .
On y est en moins de cinq minutes, et il arrive étrangement Tout le long de la rive, de gros blocs de granit affleurent et on ne les devine qu'aux remous qui se forment à leur extrémité, quand les vagues arrivent. C'est un peu un verre d'eau, ce petit lac, qu'il soit tellement remué, et jusque dans ses fonds et ses dessous, par ces roues mollement battantes dont le bruit se distingue à peine et meurt peu à peu, tout là-bas. On a un peu honte pour lui. On pense aux grandes mers, à l'agitation des vastes Atlantiques, même à ce cours puissant de certains fleuves africains; et ici, c'est si mort, si étroit, si mesuré.
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C'est un pays sans eau. Le village est sur une crête, avec une pente qui descend au lac, et l'autre s'en va, vers Douvaine. Ils n'ont que des puits.
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Ils disent septante et nonante, mais ils ne disent pas huitante. C'est une nuance d'avec chez nous, et elle est amusante. Et amusant aussi le mot de Céline, à qui je demande ces renseignements et qui me répond : « C'est que septante, c'est joli, tandis que huitante, c'est laid ».
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Il y a des labours qui fument et quatre bœufs blancs tirent la charrue et l'homme à côté, tenant l'aiguillon […] à part quoi, presque personne. Des petites filles, assises toutes seules au milieu d'un pré. qui font des bouquets. Je pense à nos campagnes vaudoises, si populaires. si animées. Auprès, ici, c'est l'abandon. Et l'abandon est aussi sur les maisons qu'on rencontre, trop petites, sans écuries, un peu des maisons de banlieue.
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Cette barque est comme abandonnée, ce noir et blanc sur ce bleu foncé, le violet du sable et le jaune des buis, cette solitude et puis ce silence: tout cela ensemble prend pour le cœur un air de mystère et d'exception qui le serre soudain. C'est ainsi que le lac a une si grande variété d'aspects; mais ici, au lieu d'inviter au repos et à la contemplation comme ailleurs, il agite d'une secousse: il donne envie de fuir, au lieu de s'attarder.
(Un coin de Savoie)

278. Charles-Ferdinand Ramuz. 3.

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3. C'était sur la terrasse, ce jour-là,
parce qu'on y était mieux
qu'à l'intérieur, par la chaleur qu'il faisait; c'était derrière les lauriers-roses; lui, entre deux de ces lauriers, l'un à fleurs blanches, l'autre à fleurs roses, vous montrait, de son bras tendu, la dent d'Oche qui est une montagne de chez nous. Au milieu de la chaîne, bordant la rive sud du lac. C'est la plus haute des sommités, avec une forte tête rocheuse qui domine toutes les autres. Joël montrait la dent d'Oche. On a vu la dent d'Oche fumer. Une bonne et brave montagne de chez nous, que Joël montrait ainsi à la petite : « C'est un volcan ». On voyait la dent d'Oche qui fumait: « C'est des îles qui sont des montagnes dont le fin bout seulement sort de la mer; elles fument le jour et la nuit elles sont rouges ». ("L'amour du monde", page 42)
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Ce n'est pas tout à fait la vraie Savoie, c'est celle du bord du lac, et non du grand mais du petit: de Nyon, on le traverse en un quart d'heure, vingt minutes; et c'est Nernier ou c'est Yvoire, et il faut s'enfoncer un peu dans le pays. Point de montagnes, sinon beaucoup plus en arrière, la chaîne des Voirons, bleuissante déjà, et à l'autre horizon, la chaîne du Jura. C'est vallonneux et nu, avec une herbe rare, c'est pierreux, buissonneux; et c'est encore un peu « chez nous », mais avec autre chose; c'est la France, mais en même temps c'est la Zone; alors, ce petit lac, nous le franchissons trop difficilement; trop difficilement, nous autres Vaudois, nous consentons à aller voir, tout près de nous, ce qui se passe. ("Un coin de Savoie", p. 205.)

277. Charles-Ferdinand Ramuz. 2.

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2. Maintenant, c'est l'eau que nous avons épousée.
Et, subissant les vents, nous sommes perdus au large, heureux de n'avoir point à dérouler l'ancre, heureux d'errer, parce que rien n'est doux pour l'homme comme la jalouse rivalité des flots Quand, laissant nos yeux fixés sur le rivage qui s'éloigne, nous nous sentons tristes de ce que nous y laissons et de la solitude qui se fait autour de nous, il suffit que nous nous tournions vers la proue, et là, considérant l'étrave fendre le flot qui se referme, sans garder trace de notre passage, nous nous sentions aussitôt libérés de nos regrets. Nous n'entendrons même plus sonner les heures de la terre, car nous sommes sur l'eau où il n'y a plus de temps. Nous ne parlons pas. La bise souffle par rafales. Le bateau penche, l’eau sombre a des reflets violets. Des lampes s’allument dans les villages, comme au ciel, et nous ne savons plus où commence la terre, et nous ne savons plus où il finit, ce ciel, comme si, s’étant abaissé, et que nous fussions voyageant, de concert avec les nuages, vers cette Vénus qui exhorte aux longues navigations. (Guilbert Guisan, in "Ramuz", page 90)

276. Charles-Ferdinand Ramuz. 1.

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1. Mon pays se tient devant moi,
qui descend du nord vers le sud,
par une pente presque uniforme ; mon pays se tient devant moi, qui est assis devant son lac. Il est assis devant son lac, comme l'enfant devant un livre d'images et accoudé, la tête dans ses mains, il regarde, sur la page lisse, les beaux dessins qu'y font les reflets d'un ciel chargé de nuages ou plus sombre encore de son seul azur. On voit sur l’eau des taches d'huile, elle est un dallage ou un tout, elle est d'écailles, elle est de zinc, elle est bleue, elle est rose.
Ô pays penché en avant, où cherche-t-on ta raison d'être ? Notre œil, pour la trouver, n'a qu'à se laisser aller à ta pente, au bas de quoi ce miroir étincelle ou bien il est mat comme de l'étain. Pourquoi ceux d'avant nous n'ont-ils voulu voir que la barrière de tes montagnes ? Pourquoi n'ont-ils jamais été que des grimpeurs? Quand tout ce qui les entourait ne songeait qu'à descendre, pourquoi eux ne songeaient-ils qu'à monter ? […] L'Alpe était devenue leur centre; nous la mettons à l'horizon: nous mettons au milieu ce qui est au milieu. (« Raison d'être », page 59.)

http://pages.videotron.com/poibru/ramuz/bioramuz.htm

10.28.2008

275. Roch Grey.


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Journal de cinq jours passés à "l'Hôtel Royal" d'Evian.
--------------------------------Sur le quai, la lumière de Sorrento placée à la limite du possible, entre l’Europe habitable, le pôle Nord et le Paradis, sous un ciel bleu de bonbons, de cyclamens s'ils étaient bleus, de lilas dans l'ombre On jette naïvement de petits morceaux de pain aux mouettes, meute effrayante de becs, de voracité et de vitesse ! Les gens pensent que l'oiseau habillé de blanc porte en lui les grâces angéliques d'un lis. La mouette est la cousine toute proche du cormoran, du faucon, de tous ceux qui éventrent les agneaux échappés à la vigilance du pasteur, les petits enfants oubliés sur la colline déserte, dédiée à la mythologie. Le 8 septembre, jour mémorable où le lac vu du quai se transforma en une plaine si immobile que je compris pourquoi Jésus s'engagea à marcher sur les eaux - tapis de cristal bleu aux profondeurs incalculables, incrusté de la nacre de nuages aussi immobiles que lui, boules de neige rougissant de plaisir à se voir dans cette glace inimitable !
Après le coucher du soleil, le bas du ciel se teinta d'or dissous dans du lait, le haut devint énigmatique. Soudain, ce ciel si familier perdit tous les adjectifs qui lui appartenaient depuis toujours, et s'exalta dans l'inédit, en dehors du bleu, trop âpre, trop résolu, attaché déjà à tous les inventaires de l'art et de la nature. Le lac, ligne brusque sur l'horizon, effet glacial d'un phénomène déterminé, étroitement lié à la terre, miroir du ciel soumis à ses lois, jusqu'à l'extinction complète de l'univers. Doucement, le lac perdait "équilibre. Quelqu'un l'abandonnait, quelque chose précisait un état nouveau, état primordial où l'eau, sous le miracle de la succession des événements, se séparait du sol.[…] Le désaccord entre l'eau et la terre, immédiatement, s'accentua, mais la nuit, vivement, intervint, et domina, invincible, toutes les apparences. C'est alors que dans les ténèbres parfaites de la nuit, apparut, comme dans une vitrine, sur le fond de velours noir, la ville-frontière, scintillant diadème, parure inestimable et compliquée : Lausanne! ("Les Trois Lacs, Léman, Bourget, Annecy, page 30 à 32)

http://fr.wikipedia.org/wiki/H%C3%A9l%C3%A8ne_Oettingen

274. Alice Rivaz.

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Une fois Vevey dépassé, il me sembla que le train se détachait des rails. Terre, arbres, maisons, tout ce qui était solide, avait disparu des fenêtres. Nous roulions entre ciel et eau. Il n'y avait plus rien d'autre qu'eux nulle part. Le ciel ne m'avait jamais paru si immense, ni si proche. Il était partout et selon les mouvements du wagon, il se mettait à descendre - ou bien était-ce nous qui montions vers lui ? - à se pencher vers nous, tout bleu de peinture, se mettait à monter vers nous jusqu'au niveau des fenêtres. Je me serais crue en bateau. Puis le lac se mit à jouer à cache-cache avec nous. Je ne le voyais plus, puis il réapparaissait, fragmenté entre des toits et des feuillages où on le voyait briller par de petits morceaux, pareils à des plaques de métal ou de verre brisé. ("L’alphabet du matin", page 240 à 243)
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273. Roger Martin du Gard.


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(A Lausanne, Antoine Thibault découvre la retraite de son frère Jacques)
-------------------------Tous les vieux toits de Lausanne dévalaient vers le lac en un inextricable enchevêtrement de bâts noirâtres dont la buée fondait les contours. […] Du lac, la ville étagée masquait la rive la plus proche et l'autre bord, à contre-jour, n'était qu'une falaise d'ombre derrière un voile de pluie « Ton beau lac, il écume aujourd'hui comme une mauvaise mer » constata Antoine. Jacques eut un sourire de complaisance. Il s'attardait, immobile, sans pouvoir détacher les yeux de ce rivage où il apercevait, dans un rêve des bouquets d'arbres, des villages, et les flottilles amarrées près des pontons, et les sentiers en lacets vers les auberges de la montagne. Tout un décor de vagabondage et d’aventures, qu'il fallait quitter, pour combien de temps ? ("Les Thibault", Œuvres complètes, pp. 1211)

272. Emmanuel Buenzod.

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L'été semblait illimité et notre jeunesse errait dans un bonheur jaune et bleu. Souvent nous allions nous baigner. C'était là-bas où les peupliers reflètent dans le golfe tranquille leur immobilité pensive. Un sentier hésitait contre la rive, tantôt se perdant comme un ruisseau parmi le sable de la grève, tantôt remontant les croupes de gazon ou contournant les haies épaisses. La grève s'étendait, déserte. Nous avions tôt fait de nous déshabiller; nos corps étaient dorés et souples et nous foulions longtemps le sable doux comme un velours, avant de nous livrer d'un seul élan à l’eau tiède ("Le canot ensablé", page 18)

271. Robert de Traz.

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Le train se hâtait dans sa longue glissade jusqu'à Lausanne où la splendeur immobile du lac nous arrachait des cris de .joie. Mais pour nous, après les plaisirs de la montagne, le meilleur des vacances était encore à vivre. Ces derniers jours de vacances se passaient à La Côte. Nous y arrivions en bateau - le Bonivard ou l'Helvétie - et c'était un amusement supplémentaire que cette lente traversée sur un lac peuplé de voiles latines, jusqu'à Rolle où, sous les platanes du quai, nous attendait le break de famille. La Côte de mon enfance, aux journées dorées, j'en rapportais ensuite à Paris une inguérissable nostalgie. Ah ! Ces fins d'été aux journées qui n'en finissaient pas, brûlants à midi, dans les vignes, et qui s'achevaient au crépuscule! Contrée d'aimable bonhomie, de placidité narquoise où chacun jouissant de la vie avec une nonchalance heureuse, la goûtant jour après jour comme une grappe lumineuse, grain à grain savourée, aujourd'hui me promenant entre Nyon et Aubonne, ou bien arrêté sur une haute terrasse, devant l'immense paysage qui oppose son éternité majestueuse et sereine aux tragédies humaines que nous avons vécues. Il m'arrive d'évoquer des fantômes. ("Vacances heureuses ". La Gazette de Lausanne, le 30 octobre 1948)
------------------A propos de Robert de Traz : http://www.memo.fr/article.asp?ID=PER_CON_148

10.27.2008

270. Henri-Frédéric Amiel.


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Temps brumeux, mais le voile grisâtre uniforme tend déjà à s'amincir. Un vague rayon solaire fait porter à ma plume une ombre sur mon papier; le rayon devient plus jaune […] Pourtant le lac, ses rives et le Jura sont encore baignés dans une dissolution de lumière terne, qui suffit à l'être, mais n'a ni grâce ni poésie Telle est la vie, quand les enchantements, les joies el les espérances se sont envolés pour jamais; on existe, on travaille, on meurt, mais adieu le rayon. (19 août 1866)* * * * *
Que m’a dit ce lac d'une tristesse sereine, uni, mat, tranquille, où les montagnes et les nuages reflétaient leur monotonie et leur froide pâleur? Que la vie désenchantée pouvait être traversée par le devoir, avec un souvenir du ciel. J'ai eu l'intuition nette et profonde de la fuite de toute chose, de la fatalité de toute vie, de la mélancolie qui est au-dessus de la surface de toute existence, mais aussi du fond qui est au-dessous de cette onde mobile. (22 septembre 1871)* * * * *
Suivi le profil des montagnes, le contour des rivages, égrené tous les hameaux, les clochers, les villas, gravé dans mon souvenir, les effets d’ombres et de rayons, de vapeurs fuyantes et de rochers sculptés, et des milliers de détails animant chaque site, les steamers, les locomotives, les voitures, le damier des toits d'ardoise reluisant au soleil matinal, le lac de saphir avec les paillettes d’or et le sillage des navires disparus, mouettes et corbeaux, voiles lointaines, gaieté de toute chose, explosion de beauté (Clarens. 22 septembre 1880)

269. Henri-Frédéric Amiel.

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Promenade. Attendrissement et admiration. C'était si beau, si caressant, si poétique, si maternel ! Je sentais que j'étais pardonné. (9 octobre 1880.)* * * * *
Causerie intime avec une vue admirable devant nous. Assis sur le gazon, les pieds appuyés contre le tronc d'un jeune noyer et devisant à cœur ouvert, nos regards erraient sur l'immensité bleue et les contours de ces riants rivages. (14 septembre 1874)* * * * *Il y a de la félicité dans celle matinée. Les effluves célestes baignent complaisamment les monts et las rivages. On se croirait dans un temple immense où toutes les beautés de la nature et tous les êtres ont leur place. Je n'ose remuer tant l'émotion m'oppresse et je crains de faire fuir le rêve, rêve où les anges passent, moment de sainte extase et d'intense adoration. (8 septembre 1869)* * * * *Il y a je ne sais quoi de paisible et de fortuné dans ces rivages, qui me salue et me caresse. La gratitude et presque l'espérance reviennent au fond de mon cœur, à un jet de pierre de l'endroit où j'ai choisi ma dernière demeure. (Clarens, 24 septembre 1873)* * * * *De joie en joie. Erré deux heures dans ce paysage incomparable, patrie des tendresses, sites favoris des belles et nobles mœurs. Partout des sentiers vagabondent sur ces croupes ombragées. On se croit sur un vaste balcon suspendu entre un cirque de montagnes vertes que noie une brume tissée de lumière et d'extase, et l'azur profond d'un lac qui semble descendu sur la terre. (11 juillet 1866)
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http://www.amiel.org/atelier/vie/notices%20biographiques/gagne01.html

268. Jules Michelet.

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Tout le monde a vu, à Genève, l'incomparable élan avec lequel le Rhône, d'un âpre azur, se précipite pour aller en France […] Ici, des vertes collines de Montreux, pleines de sources, je le vois remplir le lac, celte incomparable coupe, d'un riche et profond azur, qui ne doit rien au bleu du ciel. Le ciel change, il ne change pas. Ce qui m'attache à ce lac, c'est moins son extraordinaire beauté. que d'y sentir vivre et battre cette artère puissante du Rhône. Ce qui m'attache à cette terre, c'est moins le charme délicat du golfe si bien découpé, des contrastes gracieux de Vevey et de Clarens et des rochers de Savoie; c'est moins tout cela que de sentir partout des veines de vie, murmurantes, gazouillantes, qui s'agitent sous mes pieds. De là, une jeunesse invincible, répandue sur toutes choses. Ici, la sève est visible. J'en sens, au doigt et à l'œil, le fort mouvement.
Byron a dit un mot très fort sur la vue du lac, mot qui semble contre la Julie de Rousseau: "Ce paysage est trop grand pour l'amour individuel. " Quel amour convient donc ici? La Patrie et Dieu. C'est la vertu singulière de ce lieu-ci, que nulle part plus aisément le cœur ne s'élève d'un amour à l'autre. L'amour individuel, que l'austère Byron reproche à Rousseau, y monte, par un degré facile. A l'amour des grandes choses. Le paysage lui-même semble un escalier colossal, de la femme à la Patrie et de la Patrie à Dieu.

(ln Gabriel Monod, Pour le mariage d'Olga Herzen avec Frank Abauzit, 1900.)

10.26.2008

267. Léandre Vallat


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La Dranse franchie, c'est une contrée plus efféminée, plus orientale, participant de la Savoie, qu'on vient de quitter, et de l'Italie, dont on s'approche. On s'attend moins à voir des clochers que des campaniles, des villas toutes blanches, de petits palais de marbre avec un toit plat, une galerie-portique, des frises pompéiennes.
Au-dessus d’Evian, le lac, entrevu dans le treillis des branches, est pareil à l’œil bleu de Vergognosa, qui regarde entre ses doigts, dans les fresques du Campo Santo de Pise, et la berge aux nuances de chair, étirant son corps de nymphe, s'avance pour étreindre l’eau verte et bleue. On évoque les rives de la Brenta, ces rives si proches, aux cent trente palais de marbre, bâtis sur le gazon ; ce sont des jardins et des labyrinthes, des berceaux de pampres, des retraites profondes, où la nature se fait enjôleuse et complice de l'amour. […]
Alors même que le croissant de la lune devient un "corno ducal" et qu'au ciel apparaît l'étoile de Vénus, marquant l'heure du berger, l'eau ne renonce pas à sa fantaisie colorée; tendue de linon rose, elle s'irise de reflets, se couvre de pierreries, comme les ailes des anges de Benozzo Gozzoli, ces ailes pointues et longues qu'on prendrait pour les grandes voiles carguées.
A Meillerie, les voiles découpées en triangle, couleur de lys ou rie safran, simulent l'essor d'une mouette ou d'un papillon d'or et, suivant que le ciel est d'un bleu de faïence, on pense à quelque tartane pleine d'oranges, voguant sur la Méditerranée.
(La Savoie, pp.33 à 42.)


266. Francis Wey.


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Le lac est un grand attrait; ici nous sommes d'accord. Mais faut-il le traverser et camper au pays vaudois d'où l'on a le spectacle des Alpes et du Mont-Blanc, ou bien rester en Savoie, sur la terre française ? […] Sur le versant vaudois, le sol est maigre et pierreux la pelouse est brûlée, les arbres sont chétifs. Des vignes plates et basses absorbent de longs espaces peu récréatifs pour la vue. […] Si l'on aspire à des promenades lointaines, on n'a derrière soi que des ondulations aboutissant aux revers du Jura, peu réjouissants de ce côté.
Sur la rive Chablaisienne, quelle différence ! La terre substantielle, profonde, la meilleure de tout le périmètre du Léman, abritée par les contreforts alpestres du vent glacé des neiges qui va s'abattre sur l'autre bord, produit les meilleurs fruits, la plus riche végétation, les plus beaux arbres de la contrée. De ces campagnes fertiles, où l'on est mêlé, sans quitter la France, à un peuple doux, on touche aux Alpes, sans les contempler à distance […]. Ne vaut-il pas mieux habiter ce paradis terrestre que de l'apercevoir de loin ? Faut-il, sacrifiant tant d'avantages au spectacle permanent d'un point de vue, s'exiler dans cette populeuse banlieue vaudoise où, si bien qu'on puisse être accueilli, on est sur un sol étranger ?
(La Haute-Savoie, pp. 421-422.)

265. E Guillon et G. Bettex.


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La côte de Savoie tient peu de place dans une promenade littéraire autour du Léman. Aussi bien n'en tient-elle guère dans l’histoire Certes, les Alpes de Savoie ont leur beauté. Elles s'imposent par la majesté tandis que les montagnes vaudoises séduisent par leur grâce. Toutefois, la rive de Savoie n'a ni les formes variées, ni le soleil abondant ni la verdeur épanouie de la côte voisine. Elle reste dans l'ombre, quand l'autre est baignée de lumière. De ces deux rives qui sont comme deux sœurs, il semble que l'une ait eu pour marraine une bonne fée qui l'a comblée de ses dons, tandis que l'autre n'eut personne auprès de son berceau. L'une fut toujours recherchée pour sa beauté; l'autre est restée à l'écart.
(E. Guillon et G. Bettex, Le Léman dans la littérature et dans l'art, pp. 264-265.)

10.25.2008

264. Rémi Mogenet : Julien Gracq et le Léman

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Chronique publiée dans "Le Messager de la Haute-Savoie" du jeudi 23 octobre 2008
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Le lecteur consultera également avec intérêt
le blog hebdomadaire de Rémi Mogenet : http://remimogenet.blog.tdg.ch/

10.11.2008

263. Bachellerie. Une journée au bord du lac.


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1. Le matin.
L'aube a fait pâlir les étoiles, et sous la feuillée, le gazouillis des oiseaux, orchestre matinal, salue le jour qui commence. Tout s'anime. Les monts, titans pétrifiés en leur chevauchée orgueilleuse, précisent leurs formes. Du lac encore endormi, pareille à une gaze légère, monte une buée que tord l'air frais du matin. […] Du rivage, deux jeunes gens, presque deux enfants, contemplent, émus, ce spectacle sublime. Le jeune homme, pressant les mains de sa compagne, lui murmure des choses exquises, troublantes.
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2. A midi.
Les fleurs se pâment, inclinant leur tête, et semblent demander grâce. […] Le lac lui-même, cet éternel agité, parait dormir: grâce à la brume légère qui s'élève à sa surface et masque les côtes voisines, il donne l'illusion d'un océan. […] Le jeune couple du matin, en pleine force à cette heure, échange des regards de tendresse confiante et sereine, et l'homme sourit à la femme radieuse d'une maternité prochaine.
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3. Le soir
Le lac frémit dans son immense coupe de malachite. Pareil à l'oiseau fabuleux qui renaissait de ses cendres, le roi du jour approche du couchant, l'autel enflammé où il doit accomplir son propre sacrifice. L'horizon l'attire comme un aimant. Il s'enfonce peu à peu, mais son agonie est celle d'un dieu: il disparaît, il s'éteint en pleine gloire, dans une fulgurante apothéose. Comme si le soleil se mourait, la fiancée du matin, l'heureuse épouse de midi, la mère honorée du soir se retourna vers le vieillard, son compagnon.
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4. Coucher de soleil vu de Grande-Rive
Il ne resta bientôt plus de cette orgie de lumière, de cette bacchanale de tons, de ce finale échevelé que quelques accords mourants, sous forme de pourpre plaquée à de légères vapeurs à l'ouest. Et cette teinte alla s'affaiblissant encore, passant du carmin vif à l’incarnat, la nuance délicate que révèle la lumière traversant la chair, et qui doit être, s'il faut en croire certains théologiens, l'essence même du corps transfiguré.
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"Au pays évianais. Notes, impressions et souvenirs", pp. 121-124

262. Anna de Noailles : "Mes livres, je les fis ...."

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Texte du poème dont le manuscrit est reproduit dans le message 261
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Mes livres, je les fis, pour vous, ô jeunes hommes,
Et j'ai laissé dedans,
Comme font les enfants qui mordent dans des pommes
La marque de mes dents.
J'ai laissé mes deux mains sur la page étalées
Et la tête en avant
J'ai pleuré, comme pleure au milieu de l'allée
un orage crevant.
Je vous laisse, dans l'ombre amère de ce livre,
Mon regard et mon front,
Et mon âme toujours ardente et toujours ivre
Où vos mains traîneront.
Je vous laisse le clair soleil de mon visage,
Ses millions de rais,
Et mon coeur faible et doux qui eut tant de courage
Pour ce qu'il désirait.
Je vous laisse mon coeur et toute son histoire,
Et sa douceur de lin,
Et l'aube de ma joue, et la nuit bleue et noire
Dont mes cheveux sont pleins.
Voyez comme vers vous, en robe misérable
Mon Destin est venu.
Les plus humbles errants, sur les plus tristes sables,
N'ont pas les pieds si nus.
Et je vous laisse, avec son feuillage et sa rose,
Le chaud jardin verni
Dont je parlais toujours; et mon chagrin sans cause
Qui n'est jamais fini .....
(Les Eblouissements)

261. Anna de Noailles : manuscrit du 12 juin 1903

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"Mes livres, je les fis pour vous, ô jeunes hommes . . . "