3.02.2007

03. Anna de Noailles : "Entre Evian et Thonon ... "

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"Etant enfants, ma soeur et moi, nous faisions presque chaque soir, en été, une promenade en voiture découverte, avec nos parents, sur la route d'Amphion à Thonon. Assises toutes deux sur le strapontin, nous goûtions silencieusement le plaisir fortuit de nous trouver mêlées sans entraves aux douceurs bucoliques et comme jetées en travers du monde végétal. [... ]Enveloppées des nuances vives et puis défaillantes et vaporeuses du crépuscule, apparaissaient les clochers des églises, pareils à des colombiers élancés, les peupliers feuillus de leur racines au faite, les pampres traités contre la moisissure par une chimie heureuse, qui, les teintait du bleu des faïences persanes" (Le livre de ma vie)

L'église d'Evian et le presbytère

02. Anna de Noailles : "Esquisse d'une vie"

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Anna de Noailles : 1876-1933. Née à Paris, de mère grecque et de père roumain, la princesse Brancovan et, par son mariage, comtesse Noailles, Anna allie une exubérance toute «orientale» à une riche culture française. Avec son premier recueil de vers, "Le Cœur
innombrable" (1901), réapparaît une poésie romantique, sincère et personnelle, que les recherches symbolistes avaient fait taire. Ses poèmes sont autant de chants qu’elle dédie à la nature, aux paysages et aux jardins, à la vie elle-même. Dans "L’Ombre des jours" (1902), la «muse des jardins», comme la surnomment ses contemporains, exalte la sensualité et l’amour de la vie. Elle est animée d’une confiance panthéiste en l’univers qui la porte vers toutes les voluptés comme vers des formes pures de l’inspiration. Les quelques touches d’inquiétude que lui inspirent la brièveté de la communion avec la nature vont, à la suite d’un deuil, s’emparer peu à peu de sa poésie. Et l’image de la mort deviendra son thème prédominant. [...]. Dans "Les Vivants et les Morts" (1913) et "L’Honneur de souffrir" (1927), elle dit combien les joies terrestres sont éphémères, et sa détresse se module en de mélancoliques regrets. Son lyrisme devient grave et plein d’amertume, cependant que sa poésie, de plus en plus abstraite et détachée du monde, atteint une sorte de résignation où, comme l’indique son dernier titre, la douleur elle-même transcende l’inquiétude de la mort.
Ce néo-romantisme très personnel se moule dans une prosodie classique, complètement à l’écart des recherches contemporaines; mais, malgré son style conformiste, l’œuvre d’Anna de Noailles garde un charme certain.
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Portrait de la Comtesse de Noailles par la duchesse de Luynes (1886).

01. Paul Schauenberg : "Un nom, un lac, le Léman"

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Dans toutes les langues étrangères, on connaît ce plan d'eau comme lac de Genève, lake of Geneva, lago di Ginevra, Genfersee et j'en passe! Cette pratique n'est pas sans soulever de vives protestations et réactions d'amour-propre chez les Vaudois et autres riverains du lac. Pourquoi donc le nomme-t-on ainsi ? Puisque c'est «Le Léman»! Ainsi dénommé par les anciens géographes.
La question relative au nom authentique de notre lac a été soulevée par le professeur E. Plantamour dans une lettre adressée au Journal de Genève, le 11 mai 1880. Ce savant genevois se moquait agréablement du terme de «Léman» et lui trouvait un caractère à la fois archéologique, pédant et enfantin. Une polémique longue, vive et très nourrie, a suivi cette lettre, que dis-je, cette pierre, que l'astronome avait jetée dans le lac! et qui a soulevé des ondes qui ont pendant longtemps oscillé d'une rive à l'autre ...
Le Grec Strabon a appelé ce lac Lacum Palamenam. Pour Pomponius, c'était le Lacus Lemannus. Pline l'a appelé Lemanus. Ammien Marcellin l'a désigné par Palus nomine Lemannus. Dans l'itinéraire d'Antonin au Ile siècle après J.C., entre Nyon et Orbe, nous trouvons la mention Lacus Lasonio.
La plus ancienne carte de géographie que nous possédons de la région, la carte Théodosienne, dite de Peutinger, dessinée à Constantinople, vers l'an 393 selon certains historiens, en l'an 161 à en croire d'autres, désigne le lac sous le nom de Lacus Losanete. Il semble qu'au cours du Moyen Age, des désignations de lac de Lausanne aient prévalu. Le sieur D'Anglure dans son Saint voyage à Jérusalem nous raconte: «Le lundi, 12e jour de juin 1396, nous passâmes le Rosne au port de Saint-Moris et venismes au giste à Viviers, sur le lac de Lozanne.»
Une ancienne gravure, faite à Venise en 1567, porte «Lago di Losanna ». Le nom de «lac de Genève» apparaît assez fréquemment au XVIe siècle. En 1538, le naturaliste suisse F. von Tschudi a inscrit «Lacus Lemannus, der Losner-oder Jenfersee». Le nom de lac de Genève se trouve inscrit en 1570 sur une carte du Père Ignazio Tanti ainsi que sur la carte manuscrite du syndic Jean Du Villard, dessinée à Genève, en 1581.
Une gravure de Luca Verdelli faite vers 1590 et intitulée «Il vero disegno dellago di Geneva» montre un groupe de galères du duc de Savoie. La Chorographica tabula lacus Lemani, par J. Goulart, de Genève, en 16°9, porte le nom «Lacus lemanus nunc lac de Genève, Helvetiis Genfersee».
Ainsi s'établit progressivement l'usage du mot lac de Genève dans les langues étrangères. Au contraire, le nom de Léman est devenu d'un usage général en Savoie et en France où il a reçu une implication officielle par le nom du département du Léman, donné au pays annexé à la France en 1798 comprenant le Faucigny, le Chablais et le Genevois, soit le Pays de Gex et Genève. Genève était le chef-lieu du département du Léman. Il y a eu l'éphémère République lémanique qui a duré du 24 janvier au 9 février 1798, puis le canton du Léman, appelé aussi «canton Léman» qui dura jusqu'en 1803.
Tant les poètes que les écrivains, genevois, vaudois ou étrangers n'ont mentionné le lac que sous le nom de Léman. C'est également le cas de toutes les cartes officielles. Je cite F.-A. Forel qui a écrit à ce propos : «Un lac est un individu géographique en lui-même et par lui-même. Il a sa vie propre et indépendante de toute action humaine; ses relations avec les cités des hommes transitoires et passagères en comparaison de la durée bien supérieure du lac sont d'importance accessoire. On doit dire le Léman.»

Paul SCHAUENBERG
« Le Léman vivant » Journal de Genève – Gazette de Lausanne.

Source de l'illustration : http://mary-pumpkin.deviantart.com/art/Leman-Lake-81413992