11.06.2008

326. Anna de Noailles : "Ô lumineux matin".

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Ô lumineux matin, jeunesse des journées,
Matin d'or, bourdonnant et vif comme un frelon,
Qui piques chaudement la nature, étonnée
De te revoir après un temps de nuit si long.

Matin, fête de l'herbe et des bonnes rosées,
Rire du vent agile, œil du jour curieux,
Qui regardes les fleurs, par la nuit reposées,
Dans les buissons luisants s'ouvrir comme des yeux.

Heure de bel espoir qui s'ébat dans l'air vierge
Emmêlant les vapeurs, les souffles, les rayons,
Où les coteaux herbeux, d'où l'aube blanche émerge,
Sous les trèfles touffus font chanter leurs grillons.

Belle heure, où tout mouillé d'avoir bu l'eau vivante,
Le frissonnant soleil que la mer a baigné
Éveille brusquement dans les branches mouvantes
Le piaillement joyeux des oiseaux matiniers.

Instant salubre et clair, ô fraîche renaissance,
Gai divertissement des guêpes sur le thym,
Tu écartes la mort, les ombres, le silence,
L'orage, la fatigue et la peur, cher matin...

Le coeur innombrable

325. Anna de Noailles : "Vous que jamais rien ne délie".

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Vous que jamais rien ne délie,
Ô ma pauvre âme dans mon corps,
Pourrez-vous, ma mélancolie,
Ayant bu le vin et la lie,
Connaître la bonne folie
De l'éternel repos des morts ?

Vous si vivace et si profonde,
Ame de rêve et de transport,
Qui pareille à la terre ronde
Portez tous les désirs du monde,
Buveuse de l'air et de l'onde
Pourrez-vous entrer dans ce port ?

Dans le port de calme sagesse,
Des ténèbres et de sommeil,
Où ni l'amour ni la détresse
N'étirent la tiède paresse,
Et ne font, mon âme faunesse,
siffler les flèches du soleil !

L'Ombre des Jours. 177 -8.

La tombe d'Anna de Noailles, au cimetière du Père Lachaise à Paris

Source : http://www.latribunedelart.com/Etudes/Etudes_2006/Bibesco_102.htm

324. Anna de Noailles : sélection de poèmes

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A partir du message 325 et jusqu'au message 340, je propose une nouvelle sélection de 16 poèmes extraits de l'oeuvre d'Anna de Noailles. Leur thème n'a pas forcément de lien direct avec le lac, les paysages du Chablais, les environs d'Amphion ou d'Evian mais ils permettent d'illuster les sources lémaniques de son inspiration qu'évoque Louis Perche :

"Anna de Noailles enfant vécut à Paris, où ses parents s'étaient établis peu après sa naissance; ils y avaient constitué une salle des aïeux où la petite fille n'avait qu'à ouvrir les yeux pour y retrouver l'Orient éclatant et tumultueux, le culte de la puissance et de la grandeur. Imaginons une fillette précocement sensible, grandissant dans le souvenir d'ancêtres prestigieux que savait magnifier la voix du prince Grégoire Bassaraba de Brancovan. Cette voix au timbre auto­ritaire, il lui arrivait parfois de s'arrêter à la poésie en décla­mant quelques vers classiques. Imaginons la petite Anna déjà pénétrée de la cadence poétique tandis que, pour entendre son père, elle descend l'escalier paré de lourds tapis rouges et s'attarde dans le salon aux sièges dorés [...] Voilà l'en­fant sur le seuil du merveilleux. Pourtant, nous confie·t-elle dans "Le livre de ma vie", le riche décor de cette demeure la "désolait de mélancolie. Tout n'était que pierre écrasante à mon cœur oppressé ... Je n'aimais donc pas l'avenue Hoche, vaste et claire, ni l'hôtel au portail blond et verni qui s'ouvrait sur la voûte sonore où nous nous arrêtions pour prendre le chemin des appartements ... Mais c'est là, pourtant, que je reçus toutes les leçons de ma petite vie, car, dans le jardin du lac Léman, je n'écoutais que les voix de l'univers ».
La nature, c'est vrai, lui avait parlé très tôt, sur les bords du lac de Genève, en même temps que l'histoire. C'est ce qu'elle explique encore dans "Le livre de ma vie": "Le lac Léman m'apportait tout, depuis ce nom d'Amphion, donné par un lointain hasard de terroir à notre rive et à notre demeure. Mon père, au moment de son mariage, avait acquis le chalet élégant, entouré d'orangers en caisse au parfum ineffable, et le jardin bien dessiné, empiétant sur le lac, que possédait le comte Walewski".

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340. Une île.
339. La promesse.
338. Nuit voluptueuse.
337. Nous étions de très petite enfants .....
336. Le premier chagrin.
335. L'ombre des jours.
334. L'image.
333. Ainsi les jours légers .....
332. Exhaltation
331. Syracuse
330. Les journées romaines.
329. Le verger.
328. L'île des folles à Venise.
327. Chant Dyonisien.
326. Ô lumineux matin.
325. Vous que jamais rien ....

323. Marcel Proust : correspondance depuis Evian.

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7. A sa mèreSplendide Hôtel Evian-les-Bains, le 28 ou 29 septembre 1899.Ma chère petite Maman,
[…] Pour ne pas perdre notre temps en choses inutiles, ne me dis pas, tâche de voir si l'on pourrait te garder, même sans prendre tes repas etc. Car c'est pour des raisons dont l'une m'est assez précieuse, mon désir et si j'avais voulu comprendre leur désir, je partirais dimanche ou lundi. Il se peut que de toute façon je sois obligé de déguerpir mardi. Ils y mettent la plus extrême complaisance. Tu aurais donc tort de leur écrire pour qu'ils tâchent de me garder. Tu sais que je n'aime pas les départs et que je mettrai toute l'ingéniosité du monde à garder mon lit le plus tard que je pourrai […]. Mille tendres baisers.

8. A sa mèreSplendide Hôtel, Evian, 2 octobre 1899.Ma chère petite Maman,
Cottet est venu dîner hier avec moi et est resté jusqu'à minuit. En le quittant je me déshabillais à toute vitesse quand je me suis aperçu que je n'avais plus d'allumettes que les soufrées de l'h6tel dont je ne me sers jamais. Premier malheur qui me forçait à aller allumer au loin un papier pour allumer chaque chose : poudre, cigarette, eau pour boule etc.
20 mon valet de chambre avait oublié de fermer les portes de la remise et le loquet était tiré je ne pouvais même pas les mettre contre et étais dans un immense courant d'air. Enfin de deux à trois des domestiques de l'hôtel rentrant de congé (mais j'ai bien rendormi) ont passé par ma remise les portes étant ouvertes, croyaient les chambres vides et j'ai dû deux fois aller les effrayant de mon apparition. […]. Hier je n'ai dépensé que ce tour du lac qui m'a coûté six francs vingt. Mais le départ du garçon qui me servait et de l'homme de l'omnibus - celui que tu trouvais bien - et qui depuis ton départ est concierge, le concierge étant parti presque en même temps que toi et me porte le courrier le matin etc. m'ont obligé à dix à l'un et dix à l'autre. Si je reviens l'année prochaine je donnerai une somme de tant pour les pourboires de façon à ne pas avoir à renouveler pour les départs. […] Mille tendres baisers.

322. Marcel Proust : correspondance depuis Evian.

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5. A sa mèreSplendide Hôtel, Evian-les-Bains, 22 septembre 1899.
Ma chère petite Maman,
Je tâche d'être bref pour ne pas me fatiguer ayant beaucoup à écrire. Si ma lettre t'arrive à temps dis-moi dans ta réponse ce que je dois donner au garçon qui me sert à déjeuner et à dîner, le pâle Raphaël qui sait si peu le français qui vous a servi les derniers jours, lui avez-vous donné quelque chose ? Sans vouloir le transformer en martyr je dois dire par suite de départs qu'il ressert toujours le déjeuner, pour moi seul.[…]
Mille tendres baisers

6. A sa mèreEvian, 24 septembre 1899.
Ma chère petite Maman,
« Un vent avait causé, un vent calma l'orage »,
Nuit longue, pas de fumage ce matin, pas d'oppression, enfin très bien. Je suis tout retapé. Ciel gris, temps froid. Hier soir dîner' servi avec empressement non loin de ma table. Les égards se sont expliqués quand j'ai su qu'il était donné par M. de Neuflize, président des Eaux d'Evian. Ce matin déjeuner des mêmes d'où s'est détaché pour faire la conversation avec moi M. Pierre Girod. J'ai appris par lui que Paul Baignières a de l'asthme à Asnières-sur-Oise et en est embêté. Je le punis involontairement de son ironie en ne lui indiquant pas le Philogyne qui lui ferait du bien mais me ferait du tort. M. Girod ne m'a pas dissimulé que j'avais une mine de déterré. […] Mille tendres baisers.

321. Marcel Proust : correspondance depuis Evian.

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3. A sa mère.Splendide Hôtel et Grand Hôtel des Bains Evian, Lundi 11 septembre 1899.Ma chère petite Maman,
[…] Madame Cottin voulait que je prenne une chambre au premier disant qu'en septembre les pièces d'en bas sont trop froides et humides. Mais ladite chambre est occupée car il y a eu des arrivées, je crois. Du reste je ne veux pas changer mon charmant et commode appartement où d'ailleurs ni les papiers du mur, ni rien ne porte trace d'humidité. […]
Si je changeais et changeais ainsi de serviteur, que devrais-je donner à ceux d'en bas, femme de chambre et valet de chambre ? Si le garçon qui m'apporte le café le matin s'en va avant la clôture que dois-je lui donner ? […] Mille tendres baisers.

4. A sa mère.
Evian, 20 septembre 1899.Ma chère petite maman,
[…] Je n'étais pas ravi ces jours-ci de ma santé mais il y a des sautes de temps et de vent si continuelles que cela suffit il me semble à expliquer une tendance à l'oppression bien infime du reste le matin, et à ne pas énormément dormir. Je suis bien content d'être au Splendide car M. Oulif m'a dit que le jeune Weisweiller avait eu beaucoup d'asthme à un des hôtels d'en bas et qu'il a disparu comme par enchantement dès qu'il a été au Splendide. […]
Mille tendres baisers

320. Marcel Proust : correspondance depuis Evian.

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1. A Constantin de Brancovan.
Paris, 15 août 1899.
Cher Prince,
Je viens vous demander un service. J'ai l'intention, sans être encore pourtant décidé, de rejoindre dans quelques jours ou un peu plus tard mes parents au lac de Genève. Mes parents sont à Evian, mais comme je demande aux hôtels des qualités de solitude et de silence dont les hôtels d'Evian bondés de monde me paraissent dépourvus, je voudrais habiter un coin moins fréquenté. […] Mais ce que je voudrais savoir, c'est pour moi le point important, c'est si l’hôtel à Amphion est assez vide pour qu'on puisse y avoir une chambre isolée, où l'on puisse dormir aussi tard qu'on veut, sans entendre marcher au-dessus de sa tête et dans les chambres contiguës […]. Rappelez-moi au souvenir de vos beaux-frères et croyez-moi votre bien dévoué ami.
PS. Et ce serait très intéressant pour moi de savoir si dans cet hôtel il y a des volets et des vrais rideaux aux fenêtres qui font la nuit dans la chambre, et si les gens de l'hôtel sont aimables et sympathiques. Marcel

2. A sa mère.
Evian, Dimanche 10 septembre 1899.
Ma chère petite Maman,
Une demi-heure après t'avoir quittée, et toi déjà consolée, […] nous sommes allés dîner à la villa Bassaraba. Comme j'entrais dans le pavillon de Constantin pour fumer avant le dîner j'ai entendu des gémissements. C'était la petite Noailles, la poétesse, qui passait en sanglotant de toutes ses forces, en gémissant d'une voix entrecoupée, « Comment ont-ils pu faire cela, comment ont-ils osé venir lui dire, et pour les étrangers, pour le monde, comment a-t-on pu ? " Elle pleurait avec tant de violence que c'était attendrissant et que cela me l'a réhabilitée. […] Mille tendres baisers au père, au frère et à toi mille tendres baisers. Marcel