11.04.2008

318. Anna de Noailles, princesse de Brancovan.

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Jusqu'en 1916, année où son frère Constantin hérite de la propriété et du jardin de son enfance, les Brancovan invitent Henry Bordeaux, Maurice Barrès, Frédéric Mistral, les Polignac, les Chimay, François Mauriac, Marcel Proust qui y séjourne pour la première fois en août 1893, Emmanuel Berl.
« En 1913, Anna de Noailles devait pousser la gentillesse jusqu'à me chercher en voiture à Evian, pour me mener à Amphion. J'étais ému de la voir dans le beau jardin qu'elle avait tant chanté. Elle m'y a présenté à sa mère, et j'ai eu la grande joie d'entendre Mme de Brancovan jouer au piano Schubert et Chopin. Sans effort apparent, elle m'émouvait plus que n'avait pu faire le plus grand orchestre de Munich. Je n'ai pas entendu Paderewski qui logeait à Amphion, à Morges, mais je ne pense pas qu'il ait pu être plus touchant que ne l'était Mme de Brancovan dans ses morceaux préférés. Devant elle, dans son jardin, Anna de Noailles redevenait par instants la petite fille avec laquelle j'aurais pu parler sans être intimidé. Mais bientôt l'éloquence reprenait son jaillissement et faisait refleurir mon angoisse de mal comprendre, de mal répondre, de ne pas me rappeler ses formules décisives et fugaces ».
Anna de Noailles retournera à Evian, séjournera à l'Ermitage, au Royal en août 1911, au Splendide en juillet 1913, à quelques minutes à pied de l'église de Neuvecelle où elle souhaitait que son cœur soit déposé à sa mort. La villa est devenue un lycée.

317. Anna de Noailles, princesse de Brancovan

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« Il y avait plusieurs demeures dans la villa Bassaraba - la princesse-mère habitait ordinairement seule la plus vaste et la plus somptueuse, que l'on appelait le Château. C'est là aussi que l'on se réunissait pour les repas; et la distance des autres pavillons était assez grande pour que, les jours de pluie, à l'heure du déjeuner ou du dîner, l'on dût aller prendre en voiture chacun chez eux les hôtes dispersés ».
Lorsque l'enchantement d'Amphion est ouvert de mai à octobre, Anna habite le Chalet, son frère Constantin un pavillon, leur entourage la Ferme. Les allées du jardin sont remplies de rosiers du Japon, orangers, magnolias, palmiers, cèdres et platanes, les serres de plantes rares. Dans le parc, une pièce d'eau avec des carpes, un bois de sapins, une statue de Diane et un petit port pour le yacht, le Romania. Anna épouse là, le 18 juillet 1987, le comte Mathieu de Noailles.

316. Anna de Noailles, princesse de Brancovan.

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« Etranger qui viendra lorsque je serai morte
Contempler mon lac genevois
Laisse que ma ferveur, dès à présent t'exhorte,
A bien aimer ce que je vois »
Entre Amphion et Evian, le lac et la route nationale du Simplon (RN5), les amis d'Anna de Noailles ont fait élever, en 1938, un temple votif dans le jardin d'Amphion, celui de la villa Bassaraba, là où la poétesse vint pour la dernière fois en septembre 1916.
« Le lac Léman m'apportait tout, depuis ce nom d'Amphion donné par un lointain hasard de terroir à notre rive et à notre demeure. Mon père, au moment de son mariage, avait acquis le chalet élégant, entouré d'orangers en caisse au parfum ineffable, et le jardin bien dessiné, empiétant sur le lac, que possédait le comte Walewski. Trésor négligeable de l'histoire, le comte Walewski était le fils des amours de Napoléon avec la polonaise élégiaque et fidèle qui ne craignit pas de venir s'abattre dans l'île d'Elbe, portée par un voilier périlleux, afin de tendre au captif le front obscurément insigne de l'enfant qu'elle avait eu de lui ».Le père d'Anna, Grégoire Bassaraba de Brancovan d'origine roumaine, achète en 1870 le chalet Irène, fonde en 1884 la Société Nautique d'Evian et fait construire à quelques pas de l'élégant chalet « un château romano-byzantin dessiné par Viollet-le-Duc.
« Ce plaisant bâtiment de couleur blanche et rose était envahi à sa base par les viornes et les troènes, arbustes ténébreux aux floraisons lactées, et sur le treillage des murs s'élançaient jusqu'aux balcons des capucines, fleurs volantes posées sur la plate soucoupe de leur gai feuillage, gosiers dorés que l'heure de midi gorgeait de fraternelle lumière. Le château devait sa dénomination prétentieuse à une tourelle modeste, mais crénelée, qui touchait mon imagination ainsi qu'une romanesque fanfare»

315. Les neuf sources d'Evian.

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La guerre d'alors, interdisant aux buveurs français de fréquenter Baden-Baden, les thermes à la mode, les contraint à se replier sur les stations françaises. On s'aperçut vite, surtout après 1860, dans les milieux d'affaires que les stations thermales pouvaient offrir d'intéressants champs d'activité. Les capitalistes commencèrent donc à procéder à des investissements dans les villes d'eaux.
L'eau Cachat commence à être connue à travers la France. Elle est primée, le 22 octobre, au Palais de l'Industrie de l'Exposition Universelle 1878, entre une œuvre de Charles Gounod et une autre de Meyerbeer : Evian-Cachat. L'eau qui guérit. La station qui rajeunit. Le pays qui réjouit.
Un banquier, directeur du Comptoir d'Escompte de Paris, Gustave Girod, buveur d'eau qui séjourne depuis 1867 dans la Villa du Pré-Curieux sur la route d'Amphion, s'intéresse à la Société des Eaux en 1881. Il y associe deux amis, Alfred André et Edouard Hentsch. L'affaire restera désormais entre leurs mains et celles de leurs familles, banques et sociétés. Le groupe Neuflize, Schlumberger et Cie (ancienne Banque Girod) contrôle la Société, présidée par Alfred André, par son neveu ensuite, le baron de Neuflize, en 1928 par Pierre Girod. Un accord est passé pour le verre des bouteilles, en 1908, avec le groupe Souchon-Neuvesel. Philippe Cruse succède comme président à son beau-père, Pierre Girod. […]

314. Les neuf sources d'Evian.

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Un homme d'affaires genevois, Monsieur François Fauconnet, achète le jardin de Monsieur Cachat et sa source, s'assure du monopole de toutes les sources de la ville, fonde la « Société pour la restauration des bains d'eaux minérales d'Evian », fait édifier le premier établissement thermal pour le service des bains et le logement des étrangers. Charles-Félix, duc de Savoie, qui apprécie l'eau de Monsieur Fauconnet, autorise cet étranger à la mettre en bouteilles, par édit royal du 20 janvier 1826.
« Les avantages que présenterait cet établissement pour cette partie de notre province du Chablais nous ayant déterminé à accueillir favorablement cette demande, c'est pourquoi, de notre science certaine et autorité royale, et sur l'avis de notre Conseil, avons permis et permettons à François Fauconnet »
Il se retire en 1834 et sa société est dissoute neuf ans plus tard. Le 7 décembre 1858, le roi de Sardaigne habilite la Société Anonyme des Eaux Minérales de Cachat, société sarde avec un capital de 400000 lires, devenue en 1869, la Société Anonyme des Eaux Minérales d'Evian-les-Bains, avec un capital de 500000 francs et une approbation impériale du 1er février 1870. Evian est français depuis dix ans.

313. Les neuf sources d'Evian.


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Si le trident de Poséidon avait neuf pointes, c'est du Pays Gavot qu'il serait le dieu. Evian a neuf sources: Cachat, Bonnevie, Guillot, Cordeliers, Clermont, Preciosa, Châtelet, Ducs et Miat. Louis Gilbert, marquis de Lessert et gentilhomme auvergnat atteint de la gravelle, aurait fui ses terres en 1789 pour se réfugier à Amphion-les-Bains.
Des Evianais lui suggèrent de boire l'eau d'une fontaine, celle de Sainte-Catherine, dans le jardin d'un certain Monsieur Cachat. Il la juge « agréable, légère et bien passante,[…] qu'il urine avec plus d'aisance et que ses graviers passent mieux ". S'il arrête, ses douleurs reviennent.
Un médecin de Lausanne, consulté en 1790, le Docteur Tissot, lui trouve des propriétés adoucissantes; un chimiste, Monsieur Tilleman, « un principe alcalin d'une nature particulière ( ... ) et qu'elle a des analogies avec le petit lait". Gaston Bachelard écrira plus tard que l'eau doit être douce comme le lait ... (1). Le succès de la source de Sainte-Catherine est immédiat. Le médecin de Voltaire, le Docteur Tronchin, la recommande à ses malades. Près de 2 000 buveurs sont recensés vers 1810 : "Toutes les vertus de la terre n'existent que par la grâce des eaux.

312. Evian : naissance d'une ville.


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En 1713, au traité d'Utrecht, le duc Victor-Amédée préfère l'empereur germanique au roi français. En contrepartie, il reçoit la couronne de Sicile qu'il échange plus tard avec celle de Sardaigne. En 1715, ce duc devenu roi visite Evian, ville sarde, y découvre du charme, y revient en 1724. En 1742, les armées espagnoles occupant l'état sarde, des compagnies de cavalerie du régiment de Calatrava campent, cinq années durant, dans l'Evian espagnole.
Le Chablais repasse à la Sardaigne jusqu'aux remous de la Révolution française et à l'arrivée des armées du marquis de Montesquiou en septembre 1792. Le Chablais appartient au département du Mont-Blanc et ses communes sont constituées en Assemblée nationale des Allobroges.
Joseph-Marie Dessaix, général d'empire et Thononais, fait une entrée triomphale à Evian en 1814. L'année suivante, par le traité de Paris, la Savoie redevient sarde.
Ses souverains apprécient Evian, fréquentent les sources de la Châtaigneraie à Amphion. Parce que Victor-Emmanuel II et son ministre, le comte de Cavour, cherchent une alliance avec Napoléon III, l'entrevue se déroule à Plombières le 21 juillet 1858, le duché de Savoie et le comté de Nice redeviennent français, annexion confirmée par le plébiscite du 22 et 23 avril 1860 : 130.839 oui et 235 non, 14 abstentions et pas un non à Evian. Par décret du 12 juin 1860, l'empereur accorde au territoire des arrondissements de Thonon, Bonneville et en partie de Saint Julien, la zone franche douanière avec la Suisse. Deux nouveaux départements, la Savoie et la Haute-Savoie. La maison de Savoie perd toute souveraineté. A Evian, avec la chute de l'Empire, le quai Napoléon devient le quai de la Liberté. En 1892, 2 476 habitants sont inscrits sur le registre municipal, en 1982, 6178.

311. Evian : naissance d'une ville.


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Son épouse, la française Bonne de Bourbon, embellit le château d'Evian, construit celui de Ripaille. Mais, au temps de son petit-fils, Amédée VIII, le château brûle et doit être reconstruit. Qu'ils s'appellent Amédée, Pierre, Louis ou Charles-Emmanuel, la bonne ville d'Evian dépend de la bienveillance que lui porte son monarque. Mais comme toutes les cités du sud du Léman, elle va subir les mouvements politiques des états limitrophes.
Les catholiques du pays de Gex, qui fuient les Bernois réformistes, s'y réfugient. Prétextant que l'empereur Charles Quint accapare le duché de Savoie-Piémont, héritage de sa mère, Louise de Savoie, le roi François 1er y campe ses armées en 1536. Le traité de Cateau-Cambrésis, en 1559, rend, entre autres, le Chablais à sa Maison et à son duc, Emmanuel-Philibert, dit Tête de Fer, qui, séjournant à Evian, ajoute aux armoiries de la ville, "Deo et Ducis fidelis perpetuo".
Les occupations françaises se succèdent. Les trois mille hommes d'armes franco-genevois, sous les ordres de Quitry et de Sancy, pillent Evian, l'incendient, la rasent en février 1591, malgré une longue résistance, et occupent ses ruines. "La ville a été toute vidée et les soldats ont vendu les meubles aux deçà du lac, jusques aux clous, aucun enlevans jusqu'aux travaisons, poutres, soliveaux, planchers".

310. Evian : naissance d'une ville.


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Un de ses descendants, le comte Pierre II, surnommé le Petit Charlemagne pour sa fougue à gouverner, veut s'imposer en pays Chablais. En 1249, il commence la construction d'un château en partie haute d'Evian, de fortifications, concède une charte de franchises à la ville et y installe un octroi sur le chemin qui mène aux cols vers Milan. Un de ses successeurs, le guerrier Amédée V, dit le Grand, devenu douzième comte de Savoie, donne aux habitants, au cours d'un séjour dans sa résidence évianaise, libertés et franchises, le privilège du navage, celui de transporter des marchandises sur le lac et de faire du négoce avec les cités de la rive nord.
On construit à l'est de la ville un quartier pour les marchands, la Villeneuve de la Touvière et une chapelle, Sainte Catherine. Amédée VI, dit le Comte Vert, du fait de la couleur de sa tunique dans les tournois, petit-fils de Pierre II, partage son temps, au XVIe siècle, entre sa cour qui siège à Chambéry et ses résidences d'Annecy, de Thonon et d'Evian.

309. Evian : naissance d'une ville.


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Beaucoup de villes, on le sait, reconnaissent comme première origine une source. Le point de départ de Nîmes, par exemple, est tel ; c'est une source fameuse qui existe encore aujourd'hui, que les anciens révéraient et adoraient, fidèles à l'enseignement de Pline l'Ancien. Si les années du bronze ont laissé des vestiges (800-700 avant JC), si les deux rives du Léman ont connu des cités lacustres, si des traces du tumulus ont été repérées à Maxilly, Neuvecelle et Amphion, c'est grâce à Caius Julius Caesar Augustus et à ses armées impériales, qui occupent l'Allobrogie en l'an 15 avant J.-C., que le Chablais devient une terre de la Gaule Viennoise. Valentinien 1er, son premier gouverneur, fréquentait-il des thermes à Amphion, à l'ouest d'Evian ?
Les premiers faits connus sur Evian remontent à Humbert 1er aux Blanches Mains et aux premières années du XIe siècle. Ce seigneur féodal de Maurienne, qui aime séjourner dans les châteaux du Chablais, devient, des mains de l'empereur Conrad II du Saint Empire germanique, premier comte de la Maison de Savoie, et reçoit, entre autres comtés, celui du Chablais. Les berges sud du Léman, adossées à un plateau fertile, sont peuplées. Le bourg d'Evian est mentionné pour la première fois à propos d'un certain Enguerrand.

308. Christian Dupavillon : "Ô royal d'Evian".

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J'ai choisi de reproduire ci-après de larges extraits de cette élégante brochure que mes lecteurs pourront consulter dans son intégralité à la médiathèque Charles Ramuz d'Evian.

309 - 312 : Naissance d'une ville : Evian.
313 - 315 : Les neufs sources de la ville d'Evian.
316 - 318 : Anna de Noailles, princesse de Brancovan.
319 : Marcel Proust à Evian.
320- 323 : Marcel Proust; correspondance depuis Evian.


Visitez : http://www.mediathequeramuz.net/mediathequeramuz.net/