10.08.2007

151. Henry Bordeaux : "A Amphion"


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Le lac Léman a connu la présence d'une autre femme, une femme d'un génie incomplet et romantique, et c'est la comtesse Anna de Noailles. Je me souviens, dans mon adolescence, d'avoir remarqué, dans une rue de Thonon, ma ville natale, deux petites filles en robe claire que leur démarche sautillante de gazelle et leurs yeux étranges me firent prendre pour des étrangères, et peut-être, sans le luxe de leurs toilettes, pour ces Egyptiennes dorées qui sortent des roulottes et disent la bonne aventure.
Comme je m'informai, on me répondit : Ce sont les petites princesses Brancovan ! Elles passaient leurs étés, et parfois leurs automnes, dans une villa que leur père, un prince roumain, avait fait construire à Amphion, entre Evian et Thonon, et qui reflétait dans les eaux du lac ses couleurs roses.L'une d'elles, plus tard, devait être Anna de Noailles et déjà ses grands yeux absorbaient les paysages qui la devaient, si jeune, inspirer". Car elle a chanté les pays de son enfance dans Les Eblouissements et Les Forces Eternelles. Le lac Léman, devant le rivage où se baigne la villa d'Amphion où elle est née ne reflète pas que des murailles roses dans la verdure. Une petite fille s'est penchée sur lui et l'eau, pieusement, a gardé son image"( Portrait de la Savoie par ses écrivains)

10.07.2007

150. Elisée Reclus : "Le Rhône valaisan".

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Élisée Reclus naît, le 15 mars 1830. Il prend une part active à la Commune de Paris en 1871. Arrêté les armes à la main, il est condamné à la déportation en Nouvelle- Calédonie. Mais, grâce au soutien de la communauté scientifique, sa peine est commuée en dix ans de bannissement. Il rejoint alors son frère Élie en Suisse et participe activement à la Fédération Jurassienne. Après la Suisse, c'est à Bruxelles qu'Élisée s'installe. Très actif, il contribue à la fondation de la première université laïque de Belgique. Auteur prolifique, Élisée Reclus participe à de nombreux journaux. Mais il est surtout l'auteur de l'extraordinaire "Géographie Universelle", et de "L'Homme et la Terre", ouvrages de géopolitique dans lesquels il analyse le rapport de l'homme et de son environnement. Élisée Reclus meurt le 4 juillet 1905.
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Les riches visiteurs étrangers, Anglais, Russes, Américains, Français, ont fait la prospérité des villes d’hôtels, Montreux, Clarens, Vevey qui formeront bientôt une cité continue sur la rive septentrionale du Léman, en face de la bouche du Rhône valaisan […] La splendeur du lac et du cercle de montagnes qui s’y reflète, la dent de Morcles flamboyante aux rayons du soleil couchant, un climat plus doux que celui des pays voisins ont fait de ce coin abrité de la Suisse un des lieux les plus aimés des voyageurs, un de ceux où ils s’arrêtent le plus longtemps : par leur population cosmopolite, Montreux et Vevey sont devenus la propriété du genre humain. Elisée Reclus (1830-1905)

149. Anna de Noailles : "Trois extraits en prose".

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1. Ce mois de cristal est le plus beau qui soit, au bord du lac Léman. L’été finissant traîne ses caresses ensoleillées sur les praires encore en fleurs, qui soupirent de satisfaction. Les rayons plus vifs du matin amollissent l’onde en sa profondeur, jusqu’à tenir immobile et presque oppressée la vive et preste truite. Les oiseaux, pris de vertige, tournoient sans discernement, dans une confusion bleuâtre, se trompent d’élément, pénètrent les vagues, d’où ils rejaillissent, si bien qu’on croit voir une hirondelle qui nage, ou une ablette. (Histoire de ma vie, p. 91)
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2. Petite fille, j’ai goûté des moments de paradis à Amphion, dans l’allée des platanes étendant sur le lac une voûte de vertes feuilles ; dans l’allée des rosiers, où chaque arbuste, arrondi et gonflé de roses, laissait choir ses pétales lassés sur une bordure de sombres héliotropes ; je respirais avec prédilection le parfum de vanille qu’exhalaient ces fleurs exiguës, grésillant et se réduisant au soleil, commun charbon violet. (Le livre de ma vie, p. 91.)
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3. Je revois la véranda du vieux chalet d’Amphion qui tressaillait le soir aux cris élégiaques des hirondelles, dont le vol, en sombres et légers coups de couteau poignardait un azur poudré de rose, flamboyant et puis voilé, sur lequel se détachait la danse silencieuse, aux angles aigus, des chauves-souris. (Ibid., p. 135.)

148. Charles Ferdinand Ramuz : "Journal".

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Nous autres, nous avons le lac. Il est vaste, il a l’air d’une perle au fond de sa coquille. Les montagnes et les collines qui le bordent s’élèvent de toute part, avec fougue ou avec mollesse et, sans jamais l’enserrer étroitement, le retiennent néanmoins prisonnier. Mais sa captivité est trop ancienne pour qu’il se souvienne encore du temps où il errait sous la figure du glacier ; maintenant, il ne conçoit rien d’autre que son immobilité, il joue entre ses rives définitives ; il est heureux dans son cachot. La troupe de ses vagues lui donne l’illusion du changement ; il modèle à son image les vagues qui se penchent sur lui ; il se sent si bien de vivre que sa vie débordante se mêle autour de lui à la vie des hommes. Nous qui habitons sur les rives du lac, nous savons qu’il est cause de beaucoup de nos joies. (Journal, mars 1902)
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Voir aussi messages 34, 35, 36, 37
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147. Charles François Landry : "Vaud et Valais".

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Charles-François Landry (1909-1973) écrivain suisse né à Lausanne vit d'abord dans le sud de la France avant de s'établir sur les rives du Léman. Enfant battu, il se réfugie dans la nature et la solitude. Dès le collège il marque un goût prononcé pour l'écriture. C'est à vingt ans qu'il publie son premier recueil de poèmes Imagerie. Charles-François Landry se fixe définitivement en Suisse et réussit à vivre tant bien que mal de sa plume. Il dépeint les paysages et les mœurs de la Provence ou de la campagne vaudoise avec talent. Landry met en scène des gens simples aux prises avec les difficultés de la vie. La beauté du monde et des êtres le fascinent, ses œuvres sont imprégnées d'une poésie prenante et familière.
Charles-François Landry regagne la Provence vers la fin de sa vie mais c'est à
Rivaz qu'il décède le 23 février 1973. (adapté de l'encyclopédie Wikipédia)

Vous le découvrez à l’aube, frais comme un enfant, souple comme une fleur ; il est alors couleur de glycine, pulpeux, enchanteur. Là-bas, sur l’autre rive distante de quatorze kilomètres, des villes et des villages sont comme des cailloux lavés par la rivière et nacrés […]. A peine si, de très haut dans le coteau vertigineux, vous liriez une ride sur le miroir ancien du Léman ; il se présenterait à vous presque noir à la rive, puis ensuite tout parcouru par des millions d’éclats de rire, avec des taches sombres qui sont, sans que rien n’explique le mystère, des endroits de calme absolu […].
Deux heures passent. Quelle est cette rumeur ? C’est un coup de vaudaire, vent sauvage venu du Valais, qui soulève en vagues de deux mètres une eau féroce, rugissante, jetant et reprenant ses volutes qui roulent, semble-t-il, des cristaux de Venise se brisant à bruit de galets, crachant une écume jaune, toute mêlée d’épaves moulues, bois noircis d’eau, et quelquefois rejetant au sable les oiseaux d’eau, si élégants, tués par le désastre […]. Peut-être faudrait-il dire que le Léman est fait de trois lacs […]. Là-bas, vers Genève, ils ont cette mare plus que propre, une mare désinfectée, mais une mare cependant, et qu’ils appellent Petit Lac […]. Ce n’est pas sérieux, malgré les arbres séculaires, dans des propriétés encore plus anciennes ; les rives sont basses et trop civilisées […]. Ce morceau du lac Léman est donc aussi naturel que des fleurs artificielles. Ensuite vient un lac dont il faudrait bien de la ruse pour cerner le doux climat, car cette nappe immense est à la fois le lac Léman de Mme de Noailles qui le voyait d’Amphion et le vieux lac de Lausanne qui fut une ville de pêcheurs romains […].
Et puis passé Lausanne, il y a un troisième lac. Un lac incroyable parce qu’il est tout à la fois un lac de montagne et parce qu’il est aussi un lac classique, un morceau de l’antique mer grecque. Il faut le voir, ce lac terriblement libre, car il supporte d’être désaccordé. Dans un paysage de forêts foncées, vertes et noires, le Léman peut mettre, pour une heure, une note d’absinthe, qui ne se rattache à rien. Aucun peintre n’oserait, ni Hodler, ni Valloton, fixer ce vert de fluor…
(Merveilleux Léman, pp. 5-6.)

Source : http://www.fondation-ramuz.ch/index.php?page=la_fondation

146. Bernard Clavel : "La lumière du lac".

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Né à Lons-le-Saunier en 1923, Bernard Clavel quitte l'école à quatorze ans pour faire un apprentissage de d pâtissier. Il gardera de ces deux ans un très mauvais souvenir. Dès son adolescence il peint et écrit, en pensant qu'un jour il pourra se consacrer totalement à son art : l'écriture. Bernard Clavel détruira plusieurs romains et de nombreux poèmes avant la publication en 1956 de son ouvrage "L'ouvrier de la nuit". Il publie près de 90 livres en 40 ans traduits dans une vingtaine de pays. Bernard Clavel a reçu plus d'une vingtaine de prix littéraires, dont le Prix Goncourt pour "Les Fruits de l'hiver". En 1971, il est élu à l'académie Goncourt. Il en démissionne en 1977.
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La brume de lumière était toujours là. D’un jaune paille très tendre, elle se mêlait à des gris où se devinaient déjà les montagnes de Savoie. Bisontin les guettait. Il guettait le combat qui allait se livrer entre l’ombre et la lumière. Il eût aimé regarder partout à la fois devant lui, où se creusaient des puits bleutés au fon desquels apparaissaient de manière fugitive des neiges et des terres mauves ; à sa droite où la masse des brouillards semblait s’épaissir et s’avancer vers lui ; à sa gauche où l’eau brasillait, fumait, accrochait le feu d’un soleil encore invisible mais déjà présent. Le cœur de l’incendie explosa soudain et de longues flammes vinrent lécher la rive, jusqu’à ses pieds […]. Toutes ces lueurs et ces ombres mêlées entraient en mouvement et c’était un peu comme si le lac tout entier se fût mis à fumer, comme une soupe sur un grand feu […]. La première chose qu’ils découvrirent avant même d’atteindre la maison, ce fut le lac. Bisontin le reçut en plein visage et en plein cœur, dans toute sa grandeur d’hiver. Il était là, à la fois proche et lointain, poli par la bise et le soleil qui s’unissaient pour lui donner plus d’éclat encore qu’à la neige. Il était une nappe d’or pâle entre ces montagnes d’argent où se dessinaient des coulées bleues immobiles. Tous ces ruisseaux figés charriaient des cendres lumineuses jusqu’au lac qui les métamorphosait en paillettes de feu. "La lumière du lac", pp. 131-135

10.06.2007

145. André Guex : "Voiles et carènes".

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Né en mai 1904, André Guex entreprend des études de lettres l''Université de Lausanne. Très jeune, il s'initie à la voile et à l'alpinisme. Ces passions pour le lac et la montagne feront toute sa vie l'objet de son attention d'écrivain. Il commence par enseigner au Gymnase classique de Lausanne, puis il voyage en Finlande et en Grèce.
Trois lignes de force se dégagent dans la vie d'André Guex: l'enseignement, l'écriture et la vie. La reconnaissance spontanée du mérite intellectuel, voire de la supériorité des livres, a marqué out son enseignement. L'écriture, quant à elle, doit témoigner des efforts, des risques et des conquêtes des hommes. La vie enfin, il l'a explorée en navigateur et en alpiniste: le Léman et le Valais sont au coeur de ses expériences d'homme du lac et de la montagne. En 1983, André Guex reçoit le Prix des écrivains vaudois pour l'ensemble de son oeuvre. Il décède en avril 1988.
Source :
http://www.unil.ch/bcu
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Si lointains, ces premiers souvenirs du lac, perdus sur la frange des grèves entre le Rhône et le Grand Canal, au pays des grenouilles, du sable et des roseaux. […]. Le rebat posa ses plaques bleues sur l’eau et nous emporta doucement vers le Rhône, froissant l’eau comme un papier de soie sous l’étrave. Depuis ce temps, j’ai vu bien des vagues et entendu siffler le vent dans bien des gréements dont quelques uns ne valaient pas cher ; jamais je n’ai retrouvé à ce degré l’angoisse délicieuse de l’Aventure, et quand les peupliers de la plaine vinrent à notre rencontre, nous crûmes approcher de je ne sais quelle île[…]. J’ai recherché et retrouvé une nature intacte, inaltérable, une vision identique à celle des premiers hommes qui vécurent dans ce pays. Tout près, leurs travaux ont façonné le rivage, comme pour se venger d’un espace qui échappait à leur cadastre ; ici les arbres, les roseaux et le sable vivent à leur guise leur vie d’arbres, de roseaux et de sable. Bien mieux que dans les livres, j’ai appris là ce que c’était la lumière, l’étendue, la transparence, la profondeur et peut-être, ce que j’étais moi-même. « Enfances », in Voiles et carènes, pp. 20-22.

144. Henri Bordeaux : "J'ai bien mérité de la Savoie"

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Né à Thonon-les-Bains, le 25 janvier 1870. Fils d’avocat, Henry Bordeaux perpétua la tradition familiale et fit des études de droit, à Paris. Licencié ès lettres et en droit, il s’inscrivit en 1889 au barreau de Thonon. Après avoir exercé pendant quelques années à Paris, puis dans sa ville natale où l’avait rappelé la mort de son père, il choisit à partir de 1900 de se consacrer aux lettres, et entama une brillante carrière de romancier. Ses nombreux romans, parmi lesquels on compte notamment Le Pays natal (1900), La Peur de vivre (1902), La Petite mademoiselle (1905), Les Roquevillard (1906), Les Yeux qui s’ouvrent (1908), La Croisée des chemins (1909), La Robe de laine (1910), La Neige sur les pas (1911), La Maison (1913), La Résurrection de la chair (1920), La Chartreuse du reposoir (1924), La Revenante (1932), s’inscrivent dans la lignée de ceux d’un Paul Bourget, à qui il écrivit : « Il me semble que si, quelque lien rattache mes romans les uns aux autres, ce lien serait le sens de la famille ». Les romans d’Henry Bordeaux, qui pour la plupart ont pour cadre sa Savoie natale, sont en effet un hymne sans cesse renouvelé à la famille et aux valeurs traditionnelles, religieuses et morales, dont elle est la garante. On doit également à Henry Bordeaux, des recueils de contes et nouvelles, et plusieurs essais critiques. Henry Bordeaux fut élu à l’Académie française, le 22 mai 1919; il devait siéger à l’Académie française pendant plus de quarante ans et en devenir le doyen d’âge et d’élection. Henry Bordeaux est mort le 29 mars 1963.
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Si j’ai bien mérité de la Savoie en laissant battre son cœur au cœur de mes livres, j’ai choisi l’endroit où je désire que soit honorée ma mémoire, non par un monument, mais par une lecture ou un souvenir. C’est un jardin solitaire, au bord du lac, au pied de Thonon, proche du village de Rive baigné par les eaux que mollit une jetée […]. Au printemps, les rossignols y chantent et s’appellent à une longue distance. L’automne, les feuilles mortes s’y amassent et crissent sous les pieds, en se soulevant comme des vagues. A travers les branches on voit, le long du quai, glisser, comme des cygnes, les bateaux blancs qui s’en vont aux villes étrangères […]. Oui, dans ce parc abandonné sous ma ville natale, pensez à moi, vous qui m’avez aimé, ne fût-ce qu’une seconde, pour une phrase, pour un frisson, pour un paysage, pour un visage de femme, pour votre jeunesse, pour le goût et la force de vivre que vous avez retrouvés en me lisant.

143. Hermine Asaky : "Un attendrissement aussi doux ..."

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Hermine ASAKY fut la seconde épouse d'Edgar QUINET. Cette roumaine vécut avec son mari à Amphion et surtout à Veytaux, près de Chillon, de 1858 à 1870.
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Après la France, nul lieu sur la terre ne me causa un attendrissement aussi doux que le lac Léman, vu pour la première fois dans la matinée du 5 septembre. Nous étions là, en face de ces eaux bleues, de ces montagnes légèrement voilées, vaporeuses, sur lesquelles flotte je ne sais quelle magie. Ce lac réunit à tous les genres de beauté visible ce charme inexprimable qui saisit le cœur et l’imagination. Les plus beaux génies de la terre semblent avoir choisi ces bords pour leurs rendez-vous éternels. Le golfe mystérieux de Chillon était voilé par des nuages bronzés. Cette contemplation silencieuse est tellement absorbante que nous quitterons Lausanne sans avoir vu autre chose que le paysage en face de nos fenêtres. [...] Le temps fut magnifique tout ce mois de septembre et d’octobre, le ciel d’un bleu pur, le miroir du lac aussi brillant que le ciel, bleu comme la Méditerranée, nous enveloppant de toutes parts. Quel silence, on n’entendait que le clapotement des vagues expirant sur la grève : en face de nous, les montagnes de France ; sur l’autre rive, Lausanne dont on voyait le soir les lumières. Pour tout mouvement dans ce tableau tranquille, quelque voile de pêcheur qui passe et repasse, serrant de si près le rivage que l’ombre se projetait sur notre livre, quand on lisait sur la galerie. Pas un souffle dans l’air. Nos châtaigniers ne remuaient pas une feuille ; les eaux étaient d’une transparence d’émeraude et de saphir.

142. Anna de Noailles : "Le paradis d'Amphion"


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Le paradis d'Amphion
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Etranger qui viendra lorsque je serai morte,
Contempler mon lac genevois,
Laisse que ma ferveur dès à présent t'exhorte
A bien aimer ce que je vois.
Au bout d'un blanc chemin bordé par des prairies
S'ouvre un jardin odorant;
Descends parmi les fleurs, visite je te prie
Le beau chalet de mes parents [...]
C'est là que j'ai connu, en ouvrant mes fenêtres
Sur les orchestres du matin,
L'ivresse turbulente et monastique d'être
Sûre d'un illustre destin [...]
Maintenant, redescends et vois sur le rivage
Une jetée en blanc granit :
Il n'est pas un plus pur, un plus doux paysage,
Un plus familier infini [...]
Laisse que ton regard dans les flots se délecte
Parmi les fins poissons heureux,
De là on voit, le soir, comme d'ardents insectes
S'allumer Lausanne et Montreux.
Peut-être a-t-on mis là, comme je le souhaite,
Mon coeur qui doit tout à ces lieux,
A ces rives, ces prés, ces azurs qui m'ont faite
une humaine pareille aux dieux
(in "Les Forces Eternelles)

141. Henri Warnery : "Tableau du lac".

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Tableau du lac

Là tout d’un coup, un large horizon se déroule,
Tout un vague pays par la brume irisé
Qu’enserre le Jura de sa lointaine houle ;
Et le Léman, comme un saphir immense luit,
Plus caressant entre ses rives indécises,
Plus divin que la voûte adorable des nuits.

Henri Warnery (1859-1902) est un poète suisse de langue française né à Lausanne. Il y étudia la théologie avant de devenir professeur de français au collège de Constantinople. "Sur l'Alpe", chante la montagne avec une fraîcheur et une intensité d’impression remarquables . Henri Warnery obtint le prix littéraire Rambert en 1903 pour "Le Peuple vaudois".

140. Henri Frédéric Amiel : "Jour à jour" .

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Jour à jour

Le spectacle des coteaux de Montreux :
Entre le clair miroir du lac aux vagues bleues
Et le sombre manteau du Cubly bocager,
Dévale, ondule et rit, à travers maint verger
Sous les noyers pleins d’ombre un gazon de deux lieues.
C’est ici, c’est Charnex, mon nid dans les halliers […].
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Orphelin dès l'âge de 13 ans, Amiel (1821-1881) est élevé par son oncle à Genève. Après de brillantes études, il voyage et découvre particulièrement Berlin où il restera pour étudier. Lorsqu'il rentre à Genève, il présente une thèse qui lui vaut le poste de professeur en esthétique et en littérature française à l'Université. Il est l'auteur de quelques recueils poétiques, de ballades historiques ou d'études, notamment sur Germaine de Staël ou Rousseau. Le talent de cet homme se révèlera après sa mort, avec son journal de 17000 pages, commencé dès l'année 1839.

139. Eugène Rambert : "O vieux Léman"

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Eugène Rambert (1830-1886) nait près de Montreux. Après avoir fait des études de théologie, il est successivement professeur à l’Académie de Lausanne et à l’École polytechnique de Zurich. Il revient en 1881 à Lausanne, où il meurt cinq ans après. Connu surtout comme prosateur, Eugène Rambert est aussi un poète fort remarquable. Il est avant tout un poète national. « Toute sa poésie n’est qu’un hymne, un chant d’amour pour la Suisse...
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O vieux Léman, toujours le même,
Bleu miroir du bleu firmament,
Plus on te voit et plus on t’aime,
O vieux Léman
Je n’ai rien vu qui te ressemble,
Rien qui soit beau de ta beauté,
Qui mêle ainsi, qui fonde ensemble
La douceur et la majesté[…].
On donnerait gloire et richesse,
Tout ce qu’on a pour te revoir,
Pour voir surgir la silhouette
De la dent d’Oche ou de Jaman,
Pour voir plonger une mouette
Dans une vague du Léman […]

138. Anna de Noailles : "La côte est de feux bleus ..."

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La côte est de feux bleus et verts éclaboussée,
Genève lumineuse et paisible ce soir,
Dort dans les eaux du lac, mouvante et renversée
La demi-lune arrive au haut d’un mont s’asseoir,
Evanouissement de l’air mourant et fade
Qui tombe déplié sur les flots las et mous ;
Un bateau attardé vient coucher dans la rade,
On entend un croissant, puis décroissant remous
Des passants vont
Ecoutant l’endormant clapotement de l’eau,
Dans la nuit large et plate où les molles voitures
Font un bruit essoufflé de pas et de grelots
Un peu de vent descend des collines voisins
Par moment, et s’enroule aux arbres fatigués
Il flotte doucement une odeur de cuisine
Aux portes des hôtels ouvertes sur les quais
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137. Charles-Ferdinand Ramuz : "C'est à l'eau qu'on doit le vin"

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Quand on sort du tunnel de Chexbres, on est d’abord dans l’éblouissement. On vient de quitter la lumière adoucie et terne qui est celle des pays trop verts qu’assombrissent les sapins : on est, tout à coup, entre deux nappes bleues dont l’une est en haut, l’autre en bas, et en face de vous est une espèce de mur bleu, d’un bleu plus pâle et transparent, qui est les Alpes de Savoie. On est sur le flanc d’une immense conque dont les parois sont revêtues d’azur et l’intérieur en est occupé par une espèce de brume blonde dont on ne sait d’où elle vient, étant partout. Car ici, est-il dit, nous avons deux soleils, et c’est à l’eau qu’on doit le vin.
Qu’est-ce qui vous envoie cette chaleur à la figure ? Elle vous cuit la figure. Les saisons qui ailleurs descendent du ciel, ici c’est du lac qu’elles montent. Il s’agit que les yeux habitués au nords s’accoutument au midi, car c’est le Rhône ici, et le Rhône glorieusement descend à la Méditerranée, ouvrant un chemin que les hommes ont remonté jusqu’à la source du fleuve.
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Brume sur le port de plaisance d'Evian

136. Léandre Vaillat : "La Savoie"

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Il en est de ces rives comme des montagnes. La lumière, qui divinise toutes choses, confond les méandres, de même qu’elle dissimule l’âpreté des ravins et des pics. Elle les unit en lignes harmonieuses et molles, qui forment un lointain élyséen et bleuâtres, tel qu’en montrent les tableaux de Breughel, une faucille d’argent. Mais l’eau diversifie et sculpte la côte, et par un travail incessant, crée avec la complicité lente des matières qu’elle roule et des essences qu’entraîne le vent, de nouveaux paysages. Elle creuse les inflexions douces des baies tranquilles ; elle égalise au pied des taillis couleur de bronze une grève de galets blancs ;elle effile des pointes, aiguës comme la proue d’un navire, au-dessus desquelles se balancent des peupliers aux disques trembleurs, et suivant qu’elle rencontre le granit ou la terre substantielle et profonde brise en lames heurtées ou en ondulations caressantes […]. Les formes naturelles ont une mesure qui fait songer aux sites apaisés de l’Ile-de-France ; les montagnes elles-mêmes dissimulent leurs rehauts et leurs angles sous la verdure des spins et de la mousse et ce n’est qu’en s’éloignant au large qu’on les découvre, rangées comme une assemblée de prélats, au-dessus des coteaux qui leur servent de soubassement ; ainsi les yeux éblouis par le miroir des eaux se reposent avec une sécurité délicieuse sur un premier plan paisible et s’élèvent, par degrés, jusqu’à une nature exceptionnelle et presque monstrueuse. La chaîne des monts et des collines, s’abaissant jusqu’aux petits golfes, dont les pentes sont couvertes d’un trésor céréal, semble vraiment déposer son offrande […].. Un bois sombre alterne avec un champ de lin en fleurs : sa nuance azurée rejoint le lac, qui retrouve le ciel.
(La Savoie, pp. 6-7.)

Léandre VAILLAT : critique parisien, auteur d'une histoire de la danse, qui a grandi à Publier

135. Rodolphe Rey : "Le charme de Vevey".

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Le charme de Vevey vient du lac, sinueux et élégant vers Genève, majestueux et ample du côté de Lausanne. Que de nuances fugitives et délicates, quelle mobilité, dans ses aspects suivant la saison, l’heure du jour, le rayon de soleil, le nuage qui passe, la brise qui s’abat sur les eaux. Le matin, une brume argentine flotte à sa surface et ouate ses rives ; sous cette douce étreinte, l’eau dort, immobile. Le soleil, en montant, boit la vapeur ; le miroir des eaux reflète alors les rives avec leurs détails variés ; vieux castels, hameaux, bois touffus, pâturages, pics chenus, glaciers aux reflets nacrés ; c’est comme un second paysage, immergé et sommeillant, agité çà et là d’un léger frisson. L’onde sonore vibre au moindre bruit et renvoie le cri vainqueur du coq, l’aboiement du chien de berger, le chant du laboureur, la lente mélopée des cloches des villages savoyards, le bruissement de la rame du pêcheur, le croassement de la mouette qui trace ses orbes à la surface de l’eau et la fouette d’une aile rapide. Que de charme dans ces bruits confus, incertains, qui sont comme la voix de la contrée ! Mais le vent se lève et cette sonorité cesse, la surface du lac se ride ; une teinte d’un bleu indigo se répand sur ses eaux ; d’autres fois, ce sont des scintillations, des stries, des sillons lumineux, des surfaces crispées, d’autres immobiles et comme huileuses. Sur le soir, le calme se fait, et par lentes vibrations, le lac entre dans un repos solennel. (Genève et les rives du Léman, pp .224-225.)
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Vignobles, sur le coteau de Lavaux, entre Montreux et Lausanne

134. Francis Wey : "Au bord du lac, vers Yvoire".

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Entourée de vergers, de prairies, de châtaigniers, de noyers énormes et touffus, la route permettait d’entrevoir parmi les splendeurs d’un pays de cocagne, quelques manoirs enfouis dans des corbeilles, certaines échappées sur le lac, et des pics surmontant des dômes de verdure […]. Le bruit de la vie champêtre renaissant aux parfums réveillés de la mousse et des bois, avec les cris des oiseaux, le carillon des génisses et les chansons des pâtres ; tel était l’aspect de cette contrée arcadienne qui m’accueillait, trempée et riante, comme l’enfance au milieu des larmes. Les hôtes éparpillés des fermes vous saluent au passage, figures épanouies, voix cordiales ; les enfants aux yeux étonnés tirent des révérences. L’animation vous environne, la solitude apparaît dans les clairières. Sur les eaux du lac, entrevues à ma gauche, des bateaux à vapeur estompant de leurs fumées l’atmosphère, me rappelaient que le monde n’était pas loin.
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Nous revînmes nous asseoir devant la maison, au bord du lac, sous les orangers, au milieu des résédas, des héliotropes et des roses qui enivraient de leurs parfums le vent apaisé par les rayons de l’occident[…]. Des têtes blondes jouaient autour de nous, l’oreille d’un gros épagneul assis offrait à ma main une contenance ; et comme devant cette baie circulaire ouverte de la pointe d’Yvoire à celle de Ripaille, le lac se prolonge à l’infini, dans les vapeurs du soir, cette laborieuse journée de dix-huit heures dont j’avais vu l’aurore au revers des montagnes, où j’avais essuyé la tempête sur les Alpes, et l’isolement partout, pour moi, finissait en famille, sous un ciel ausonien, au bord de la mer…
Francis Wey (1812-1882)
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Promenade au bord du lac, à Evian

133. Francis Wey : "En pays de Gavot"


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Ce pays qui borde mon lac si bleu n’est à vrai dire que le cadre d’un miroir ; mais l’ornementation en es si riche qu’elle cause un perpétuel étonnement. Aperçu du milieu des eaux, ce terrain aux cultures entremêlées d’arbres comme on n’en voit nulle part et dominé par des montagnes, fait l’effet d’un simple coteau, comme ceux de la Seine en Normandie ; mais, dès qu’on veut gagner le plateau par les châtaigneraies du pays de Gavot qui a Evian pour chef-lieu, on est tout surpris d’avoir à monter deux ou trois heures à travers un jardin d’Armide. Partout, la végétation se développe sur des proportions énormes. Des arbres morts, plantés avec leurs rameaux au long du rivage, servent de tuteurs aux vignes, qui vêtissent ces crosses de leurs pampres, et font pleuvoir, du sommet, des cascades de raisins. (La Haute-Savoie, Récits d’histoire et de voyage)
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Evian, les fontaines musicales.

132. Joseph Dessaix : "Ce qu'il est beau mon pays".

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Joseph Dessaix est un auteur savoyard, né à Allinges (Haute-Savoie), le 7 mai 1817 et mort à Évian en 1870 d'une angine de poitrine. Il était le neveu du général Joseph Marie Dessaix de l'armée de Napoléon. En 1848,il commence une carrière politique en tant que républicain, fédéraliste et ardent défenseur de l'unité italienne. Il est emprisonné durant deux ans, sans jugement, pour avoir écrit une satire contre le roi Charles-Albert. À sa sortie, il tue en duel un adversaire politique et doit s'exiler.
De retour en Savoie, il est emprisonné, mais une vaste campagne de pétitions pousse le roi Victor-Emmanuel à le gracier. Dès lors, il va se consacrer à des travaux littéraires, et en particulier à son encyclopédie consacrée au Duché de Savoie « La Savoie historique pittoresque » en deux volumes (1854). En 1855, il fonde à Chambéry, la Société Savoisienne d'Histoire et d'Archéologie, dont il devient le premier président, puis devient historiographe officiel du percement du tunnel du Fréjus au côté de Germain Sommeiller. En 1856, lors de la fête donnée en l'honneur du statut constitutionnel de 1848, il présente un chant nommé « La Liberté » qui évoque la Liberté en tant qu'allégorie vivante qui chassée de France se réfugie dans les montagnes de Savoie où elle trouve le soutien du peuple des Allobroges qui va aider moralement tous les peuples du monde qui aspirent à la liberté.
Très vite ce chant va connaître en très grand succès à travers tout le duché de Savoie et même à Genève et à Lausanne, et va être plus connu sous le nom de Chant des Allobroges, devenu l'hymne de tous les Savoyards. (
Source : Encyclopédie Wikipédia)
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C’est qu’il est beau, mon pays, et rien ne l’égale. Il faut le voir dans une tiède soirée d’été, quand pas un souffle d’air ne fait bruire la feuille. Tenez : le soleil s’incline à l’horizon, il dore la crête des monts helvétiques, ses derniers rayons semblent découper dans le feu leurs bizarres dentelures en teignant de rouge les vapeurs aux figures fantastiques qui nagent dans les airs. On dirait, là-bas, une immense incendie qui embrase l’atmosphère, et cependant le roi du ciel a disparu et la nature peu à peu s’enveloppe de ce voile plein d’ombre et de silence, précurseur de la nuit. Déjà quelques points d’or cloués au firmament scintillent aux dernières limites de la vue, le cristal des eaux en reçoit l’image qui tremblote sur la mobile immobilité, les étoiles du ciels se sont donné rendez-vous sur l’élément liquide, et elles rivalisent d’agilité en glissant sur le miroir de l’onde. Mais bientôt vient la lune, son disque paraît avec lenteur et majesté derrière la cime des montagnes ; à mesure qu’il s’élève, les étoiles pâlissent, le ciel passe au bleu clair, les ombres s’effacent, sa tiède lueur glisse à travers la feuillée, et ses reflets, dans l’immense horizon qu’ils argentent, soulèvent sur la ride des ondes d’or. L’eau électrisée, attirée par une puissance qui la magnétise, semble pétiller, et l’âme elle-même s’enivre, sous la douce influence de l’astre des nuits.

131. Joseph Dessaix : "La féérie du Léman".

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Dans les temps calmes, le Léman présente l’aspect féérique d’une glace immobile, aux reflets changeants, et la lumière y produit, à chaque heure, des accidents de vue étranges. Un rayon de soleil qui colore une rive et déshérite l’autre, un nuage qui passe, tout contribue à varier le spectacle étonnant de cette magnifique goutte d’au. En hiver, dans les grands froids, d’après l’expression populaire, « le lac fume » ; vue du bord chablaisien, cette vaporeuse fumée, qui sort du sein des eaux, masque quelquefois la rive vaudoise ; alors, c’est une mer sans rivage ; l’œil croit se perdre dans l’immensité ; on ne voit plus que le ciel et l’eau. Puis lorsque tout à coup, dans un endroit donné, se fait une éclaircie, le regard plonge et semble découvrir des rivages inconnus. Mais il faut se hâter de jouir d’un spectacle aussi ravissant, car, au moment où vous croyez saisir les délicieux contours du magique paysage, la main d’une fée en a brisé l’image, sa baguette l’a touché pour tout évanouir. Un souffle qu’on aperçoit à peine dans l’air ride et frange en losanges la surface de l’eau, les vapeurs semblent rentrer dans le profond, les petites nues disparaissent et fondent on ne sait où, puis le miroir redevient calme et tranquille pour montrer, échelonnées sur son encadrement, des groupes de petites villes qui y brillent comme des émeraudes et qu’on semble toucher du doigt. (La Savoie historique, pittoresque, statistique et biographique p. 79)

130. Charles Lenthéric : "Le Léman".

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Ingénieur, géologue et archéologue éminent, Charles Lenthéric (1837-xxxx) est un homme de terrain. Responsable du canal de Beaucaire, il fouille la Camargue, le delta du Rhône et ses pièges . Elève de l'École Polytechnique, Inspecteur général des Ponts et Chaussées, il publie de nombreux ouvrages de géographie économique et historique, en particulier sur le Rhône et les côtes françaises.
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L’annexion de la Savoie, qui a donné à la France toute la côte méridionale du Léman, en a fait presque un lac français[…]. Il n’a certes ni le charme séduisant des lacs de l’Oberland bernois, ni la sombre majesté du lac des Quatre-Cantons, ni la grâce exquise et tout italienne du lac Majeur et du lac de Côme : à vrai dire, si l’on en retranchait la partie profonde qui s’étend de Vevey à Villeneuve, et du Bouveret à Meillerie, où la nature alpestre commence à se montrer dans sa sévère grandeur, ce ne serait qu’une immense pièce d’eau sans caractère, d’un dessin correct, un simple épanouissement du Rhône à peine digne de fixer l’attention du voyageur que bien d’autres merveilles attirent dans la région des Alpes et dans les plaines de la Lombardie. L’enthousiasme de Voltaire et de Rousseau nous paraît donc aujourd’hui et à fort bon droit très exagéré, et surtout un peu démodé. (Le Léman, p. 85.)
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Montreux; les grands palaces.

129. Guy de Pourtalès : " Les hommes d'Yvoire".


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Guy de Pourtalès, né à Berlin le 4 août 1881 et mort à Lausanne le 12 juin 1941, est un écrivain suisse romand.
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Ce sont de tout autres hommes, ceux d’Yvoire. Ils ont de grosses voix sombres et ils parlent patois. Puis il y a la religion avec ses différences, les églises et leurs belles peintures, les figures de saints, la messe, les paroles latines et les croix plantées sur le bord des chemins. Mais quelque chose de plus grave, d’un peu farouche, comme leur pays […]. J’en avais conclu qu’ils étaient plus modestes et plus silencieux, parce que plus pauvres […]. Des siècles de pauvreté leur ont façonné une âme un peu rude et méfiante, mais peut-être, en définitive, plus sensible et moins vulgaire que l’âme des races mieux fortunées […]. Les vieux s’en vont et les jeunes les remplacent et ceux qui les remplacent ressemblent aux anciens. Ils ont tous cette pareille insouciance des choses, du temps et des écus […]. La nuit, le vieux village s’endort paisiblement. Une fois le bateau de sept heures parti, les lampes s’allument dans les maisons, une ou deux sur le port, quelques autres au long des ruelles. Le lac devient gris, puis noir, et au large, les lanternes amarrées aux bouées des filets sont comme des étoiles tombées dans le lac. Partout du sombre et du silence, comme on n’en connaît pas chez nous.
Seulement le « Café de la Marine » reste ouvert ; on y entend rouler la grosse boule de bois des joueurs et quelquefois on y voit un bacouni, les coudes sur la table, qui sommeille devant sa chopine vide. (Marins d’eau douce).
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Aux commandes d'un bateau de la CGN, entre Morges et Yvoire

128. Gabriel Bonnoure : "A propos de la poésie d'Anna de Noailles"


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Le vieil Hugo pensait sur les femmes à peu près comme Thalès de Milet :
Thalès n'était pas loin de croire que le vent
Et l'onde avaient créé les femmes...
Madame de Noailles vérifie cette hypothèse sur la syncrasie féminine. Sa poésie appartient à la nature liquide et aérienne. Qu'on ne cherche pas en ses livres la terre rouge de la Genèse, ni le magnétisme tellurique, ni le Feu artiste qui sculpte la forme et produit l'essence. Elle n'a même pas l'idée de cette recherche savante ou de cette ivresse magique qui font d'un Rimbaud ou d'un Baudelaire les égaux de Dante et de Milton. Sa fougue même n'est pas celle de la passion, c'est une fureur d'abondance et de coquetterie.
Le mouvement de ses odes rappelle les vains bondissements de l'onde avec le poudroiement des gouttelettes dans le soleil : Iris dans la cascade et sous la pomme de l'arrosoir. Les lois de l'équilibre des fluides expliquent ces déferlements et ces bonaces pâmées, ces volutes brillantes « toujours recommencées », cette abondance, cette mollesse, ces échecs de la strophe qui jamais ne découragent la strophe suivante, comme la vague n'est jamais lasse d'avoir vu la vague précédente mourir sur le récif. Des adjectifs inanes se balancent comme l’écume amassée par le flot et que disperse l’aquilon.
Suprême réussite de ce «style coulant» haî par Baudelaire

Je sais que l'air est lent pendant ce mois d'azur
Et tout tremblant d'abeilles noires
Et que l'univers est, si liquide, si pur !
Une belle eau qu'on voudrait boire
.

Négligeons le second vers versé là uniquement pour remplir la strophe jusqu'au bord. Les trois autres ouvrent la voie osmotique qui permet à l'onde de rejoindre l'onde et mêlent aux eaux amères du vieil univers l'eau parfumée de cette inspiration. Car l'eau qu'épanche la coupe de ses hymnes éclatants est toujours parfumée, par grâce coquette, par caprice feint, par tour d'enfant gâté. Pourquoi ne dirais-je pas que les abeilles sont noires puisque je suis irrésistible ?
Si le devenir impitoyable a pour effet de faner avec rapidité la musique et l'esprit même des plus brillantes époques au point que la génération postérieure ne voit que niaiserie dans ce qui causa l'ivresse et le rire de ses aînés, un semblable destin échoit à toute poésie qui n'est pas immortellement préservée contre le temps par une grande force de conception et d'expression. Nombreux sont les poèmes de Mme de Noailles qui révèlent aujourd'hui comme un bain chimique la sottise de la sensibilité d'avant-guerre, celle des admirateurs d'Henri Bataille, celle, il faut bien le dire, de quantité de lettres de Marcel Proust, le peintre des Guermantes ayant commencé par être l'un de ses propres héros.

Ah ! si, tiède d'azur, la terre occidentale
Est paisible en été,
Les langoureux trésors que l'Orient étale
Brûlent de volupté.

Tolède, Stamboul et les nigauds du « grand tourisme » littéraire. Si je considère ce sentiment de la Grèce et de l'Orient auquel Madame de Noailles a demandé tant de parfums, de baumes et d'éblouissements, j'y cherche en vain cette grâce dont un Chénier a su parer sa délicate Hellade. Je n’y trouve que banalité, fadeur et vulgarité roturière. Trop de vers langoureusement ourlés le long d'un Bosphore d'aquarelle, trop de rahat-loukoums vendus dans le passage des Panoramas. Notre société, hélas ! n'est plus une de ces sociétés comme on en a vu à telle époque privilégiée où l'air du temps, une certaine beauté générale pouvaient donner aux « poetae minores » l'occasion d'accéder aux honneurs de la Muse, où le commun était encore assez rare pour défrayer la poésie. Faute d'avoir su distinguer la poésie et la mode, l'auteur du « Coeur Innombrable » a versé dans un romanesque d'affiches de gare propre à flatter la précieuse sensibilité des passagers de première classe des Messageries Maritimes.
Madame de Noailles ne sera jamais du nombre des nobles dames ayant l'intelligence d'amour. Elle n'a aucune espèce d'imagination. Ce défaut lui interdit les grandes inventions de la spiritualité, la bannit du monde idéal et surnaturel. Sa poésie est toute adhérente au fait : elle chante les ébranlements d'une sensibilité serve de la nature. C'est au ras du sol et couchée sur la Terre, gardienne des morts, qu’elle a jeté quelques beaux cris et trouvé de déchirants accents.
A bien voir, que ferait ici l'imagination, sinon d'émousser le choc de l'irrévocable événement, de pallier le visage de la fatalité et par là d'affaiblir la source de cette éloquence insistante, acharnée, anxieuse :

Entends-moi, je reviens d'en haut, je te le dis,
Dans l'azur somptueux toute âme est solitaire
Mais la chaleur humaine est un sûr paradis ;
Il n'est rien que les sens de l'homme et que la terre.

Poésie de la sensation immédiate, où rien ne concerne l'homme idéal, où tout exprime la femme vêtue de sa seule chevelure, sans défense, sans recours contre l'univers inexorable. Madame de Noailles a donc, en dépit de ses coquetteries despotiques et de ses fatuités ridicules, un mystère pathétique qu'elle atteste presque sans s'en douter. Ses premiers recueils expriment l'affinité occulte, mais apparente en Orient, de la femme et des jardins, de la femme et des végétaux. Dans les vers désespérés de ses derniers livres luisants et noirs comme le cœur de l'anémone, elle renouvelle la prodigieuse faculté de répétition, les redoublements infinis des pleureuses d'Adonis. Par là, cette poésie, événement parisien, finit par se découper en silhouette, sur le fond d'augustes origines. Et il n'est pas rare que çà et là, entre le flux et le reflux de ces développements et dans le flot de cette fatale éloquence, un vers se balance avec une séduisante mollesse, mélodieux comme le bonheur nu de vivre, plume d'alcyon sur l'eau bleue d'une baie sicilienne. Mai 1931

Anna de Noailles, par elle-même.. Collection de la ville d'Evian.

127. Benjamin Valloton : "Ceux de Barivier".

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Barivier n’était guère à la mode. Son débarcadère, quelques planches clouées sur quelques pieux, voyait aborder presque en vain les bateaux à vapeur grouillants de foule et ronflants d’orchestres. Il n’en débarquait que des femmes en bonnet rond, panier au bras, qu’accompagnait une odeur de fruits, de fromage et de poisson […] En juin pourtant, des écoles vaudoises traversaient Barivier derrière un drapeau vert et blanc. De retour avec le soir, fleuries et traînant le pied, elles dépouillaient l’épicerie ; elles raflaient les cartes postales illustrées ; elles assiégeaient la gargotte où s’épongeait une bizarre hôtesse à court de limonade […] Inassouvies, les écoles se groupaient sur la berge. L’instituteur battait la mesure. Et les petits Barivois qui ne savaient que siffler, s’émerveillaient de ces chants à quatre parties qui célébraient le Créateur, l’Alpe, la Liberté. Fouettant l’eau de ses roues, sonnant sa cloche pour dire : me voici ! le bateau s’empressait, s’immobilisait un instant. Le radeleur recevait la corde dans le creux de son bras gauche, en entourait un pilotis, poussant la passerelle, la retirait, renvoyait la corde. Sur l’eau empourprée, le vapeur fuyait et il avait disparu derrière la pointe de la presqu’île que parvenaient encore, flottant dans la douceur du soir, les chants qu’écoutaient les petits Barivois coiffés d’un béret et vêtus, en tout et pour tout, d’un pantalon serré à la taille par une ficelle.(Ibid. pp. 11-12)
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Fac-similé des pages du Guide du Léman de Paul Guichonnet, dont est extrait ce texte.

126. Benjamin Valloton : "Barivier village de Savoie".

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Barivier, village de Savoie, fier de l’être, s’appuie sur la grève du Léman, grève de sable doux, ourlée de buissons ronds. Dans la clarté des matins, les bateaux de pêche griffent l’eau du port de leurs rames, larguent les voiles, impatients de gagner l’espace ; ils ne seront bientôt plus qu’un point noir ou qu’une tache blanche, sur le dos de l’horizon bleu. Le soir venu, Barivier mire dans son lac ses façades badigeonnées de couleurs crues, tout cela riant et se mouvant au gré du vent qui passe, vraies figures aux yeux des fenêtres. (Ceux de Barivier, pp. 11-12)

125. Jacques Chessex : "Montreux".

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Montreux est une île épouvantable […] Je rêve de punitions publiques, de saintes fureurs qui feraient tomber ces arrogances et jetteraient dans la rue, sous les yeux des Montreusiens incrédules et terrorisés, les maharadjas, les potentats, les armateurs grecs, les propriétaires de pipe-lines et de mines de cuivre, avec le harem caquetant de ces nobles étrangers dont l’urine nourrit nos perchettes et les chèques abêtissent cette rive. Montreux ! Honte d’une côte qui descendait, chênaies et vignobles, jusqu’au mare nostrum lémanique ! C’est la douleur qui pointe sous la colère. Toute une vie vraie a été trahie par le frelaté. Une peau stupide et vaniteuse a poussé sur la vieille figure du pays. Une vieille figure qui ne vieillissait pas ! Qui renaissait, nature et culture ![…] Devant le chaud palace dans la brume, les chauffeurs à casquette marine font les cent pas entre les buissons d’hortensias, de lauriers-roses et de palmiers. Des bouffées de tango tombent des fenêtres Renaissance. La lune flotte sur le Léman où dansent de petites lumières, lune jaune comme un cendrier où secouer un havane au-dessus d’une épaisse encre de Chine, jusqu’en Savoie. Là-bas, en France, sont les opaques forêts, les sentiers de bûcherons sous les cascades plumeuses, les dents de scie d’un sommet dans la nuit pure et froide. (Portraits des Vaudois)

124. Alphonse de Lamartine : "Pour moi, cygne d'hiver ...".

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Encore mal éveillé du plus brillant des rêves,
Au bruit lointain du lac qui dentelle tes grèves,
Rentré sous l’horizon de mes modestes cieux,
Pour revoir en dedans, je referme les yeux,
Et devant mes regards flottent à l’aventure,
Avec des pans du ciel des lambeaux de nature [...]
Pour moi, cygne d’hiver égaré sur tes plages,
Qui retourne affronter son ciel chargé d’orages,
Puissé-je quelquefois, dans son cristal mouillé,
Retremper, ô Léman, mon plumage souillé !
Puissé-je, comme hier, couché sur le pré sombre
Où les grands châtaigniers d’Evian penchent l’ombre,
Regarder sur ton sein la voile du pêcheur,
Triangle lumineux découper sa blancheur ;
Ecouter, attendri, les gazouillements vagues
Que viennent, à mes pieds, balbutier tes vagues,
Et voir ta blanche écume, en brodant tes contours,
Monter, briller et fondre, ainsi que font nos jours !

123. Albert Richard : "Combien mon lac est doux".

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Combien mon lac est doux, quand, paisible, il sommeille !
Qu’il est majestueux alors qu’il se réveille ;
Indocile et fougueux à la voix des autans !
Comme un taureau furieux que son rival irrite,
Il murmure, indigné, frémit, se précipite,
En poussant vers le ciel de longs mugissements […]

122. Henri Durand : "Léman, roi de nos lacs"

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Léman, roi de nos lacs dont le bord magnifique
Sous le pied des grands monts courbe son arc magiques,
Miroir de notre amour, je veux chanter encor
Ton onde où le soleil baigne ses ailes d’or.
Caps perdus dans l’azur, harmonieux rivages,
Où la brise de mai tremble dans le feuillage,
Neiges que le couchant sait allumer deux fois,
Nobles cimes des monts tout drapés de grands bois
Qui dans les eaux mirez vos colonnes d’albâtres […]

121. Le Doyen Bridel : "Des remparts de Genève aux rochers du Valais".

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Dans le port d'Yvoire

J’embrasse d’un coup d’œil cette plaine profonde
Que le Léman superbe a couvert de son onde ;
Des remparts de Genève aux rochers du Valais,
Il charme et trompe l’œil par ses brillants reflets.
La barque, au gré des vents, glisse et laisse une trace
Qui sillonne des eaux la mobile surface.
A gauche, dans le fond, grossi par cent torrents,
De la Fourche [la Furka] le Rhône arrive dans nos champs,
Las des nombreux détours du beau vallon qu’il laisse,
Au Léman qu’il blanchit mêle son onde épaisse.
A droite s’échappant du lac à flot pressés,
Il s’élance à travers des rochers entassés,
Et bientôt des Français arrosant les campagnes
Il leur porte en tribut les eaux de nos montagnes ;
Ainsi je vois ce fleuve, aux deux bouts du bassin,
Entrer dans le Léman et sortir de son sein ;
Mon âme est dans mes yeux et j’admire en silence
Du lac jusqu’aux glaciers l’amphithéâtre immense
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Extrait du "Léman" long poème idyllique et descriptif publié en 1782.
L'auteur écrit : "Suisse, je veux chanter la Suisse. Mes acteurs seront les Suisses.
Libres, ils parleront comme des hommes libres. Ils seront pauvres mais héroïques et sages".

120. Juste Olivier : "Ô bleu Léman".

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En quittant la rade d'Evian
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O bleu Léman, amours de tes rivages
Miroir du ciel où tremblent les nuages
De ma patrie ô suprême beauté,
Je n’entends plus ton murmure enchanté ;
Voici des flots ; mais leur vague étendue,
Leur pâle azur assombri par les bois,
Leurs humbles bords, leur incertaine voix
Que disent-ils à mon âme éperdue ?
O bleu Léman, toujours grand, toujours beau
Que sur ta rive au moins j’aie un tombeau [...]

Juste OLIVIER (1807-1876) : Le canton de Vaud (1831)

119. Juste Olivier : "Comme un tissu léger ...".

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Juste Olivier est un écrivain, poète, romancier et érudit suisse, ami de Sainte-Beuve. Il est surtout connu pour ses descriptions minutieuses de la paysannerie vaudoise, et plus particulièrement de la région nyonaise. Avec son frère Urbain, il écrivit de nombreux romans situés au cœur de la vie rurale de son temps. (in Wikipédia)
---------------------------------Comme un tissu léger, le Léman est étendu dans la plaine, roulant au pied des monts son azur, où le vent du midi brode de petites lames d’argent. Rafraîchie par la neige qu’elle a traversée, cette pure haleine badine dans la lumière et la chaleur du jour. Les Alpes croisent avec grâce et fierté deux de leurs bras autour du roi des lacs confié à leur garde. Elles s’inclinent devant lui, tantôt gravement, tantôt avec un sourire, mais toujours avec amour. A l’orient, immobiles de toute leur hauteur, elles fuient au couchant dans des poses variées, par une dégradation harmonieuse. Elles se rencontrent dans une ligne correcte et suave, et finissent en s’abaissant, mais sans se perdre tout à fait dans un lointain vague et profond. [...]
De son côté, le plateau, ceint de l’écharpe bleue du Jura, apporte joyeusement ses prés, ses champs, ses vignes, ses cités, ses vergers et ses villages. Là, il descend au large sur une pente insensible, tandis que par ses golfes nombreux, le lac remonte pacifiquement contre lui. Ici il se soulève et bientôt jette un rivage escarpé, mais que l’onde cisèle encore. Et voici que, par un détour capricieux, le lac se montre au fond d’un gouffre, sous l’arc étroit des rochers qui se tendent devant ses flots ; ailleurs, entre la pente aride et ses eaux foncées, il n’y a plus que l’abîme des airs sur l’abîme de sa profondeur.
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Le port de Saint-Gingolph

118. Léon Tolstoï : "Le pays de Clarens".

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Au lendemain de la guerre de Crimée et des massacres de Sébastopol, Tolstoï (1828-1910) passe deux mois à Clarens. Il écrit à l'une de ses tantes :

« Je n’essaierai pas de vous décrire la beauté de ce pays, surtout en ce moment, quant tout est en feuilles et en fleurs. Je vous dirai seulement qu’à la lettre il est impossible de sa détacher de ce lac et de ses rivages, et que je passe la plus grande partie de mon temps à regarder et à admirer en me promenant, ou bien en me mettant à la fenêtre de ma chambre »
Temps clair et bleu. Le Léman bleu vif, avec les points blancs et noirs des voiles et des barques, brillait presque de trois côtés à nos yeux. Près de Genève, dans le lointain du lac, l’air chaud tremblait et s’obscurcissait. Au côté opposé s’élevaient, droites, les vertes montagnes de la Savoie. A gauche, au dessus des vignes, dans les bosquets vert sombre des jardins fruitiers, Montreux se profilait nettement avec sa gracieuse église attachée à la pente. On voyait Villeneuve au bord même, avec ses toits de fer brillant au soleil ; la profonde et mystérieuse vallée avec des montagnes entassées les unes sur les autres ; le blanc et froid Chillon, sur l’eau même, et la petit île qui se dresse joliment en face de Villeneuve. Le lac frissonne à peine. Le soleil frappe perpendiculairement sa surface bleue et les voiles déployées semblent immobiles.

117. Stendhal : "De Rolle à Vevey".

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Comment rendrais-je le ravissement de Rolle ? Il faudra peut-être relire et corriger ce passage, contre mon dessein, de peur de mentir avec artifice, comme J.J. Rousseau….. A Rolle, ce me semble, arrivé de bonne heure, ivre de bonheur de la lecture de la Nouvelle Héloïse et de l’idée d’aller passer à Vevey, prenant peut-être Rolle pour Vevey, j’entendis tout à coup sonner en grande volée la cloche majestueuse d’une église située dans la colline, à un quart de lieue au-dessus de Rolle ou de Nyon. J’y montai. Je voyais ce beau lac s’étendre sous mes yeux, le son de la cloche était une ravissante musique qui accompagnait mes idées et leur donnait une physionomie sublime. Là, ce me semble, a été mon approche la plus voisine du bonheur parfait. Pour un tel moment, il vaut la peine d’avoir vécu. Dans la suite, je parlerai de moments semblables, où le fond pour le bonheur était peut-être plus réel, mais la sensation était-elle aussi vive ? Le transport du bonheur aussi parfait ? Que dire d’un tel moment sans mentir, sans tomber dans le roman ? A Rolle exactement commença le temps heureux de ma vie, ce pouvait être alors le 8 ou le 10 mai 1800. [...] « Enfin, je revois ce beau lac, si vaste, si magnifiquement entouré ! Il donne des idées moins sérieuses, moins sublimes si l’on veut, mais plus tendres que la mer véritable. C’est Rousseau qui a fait la réputation de son lac, et ce grand homme est encore abhorré ou méprisé dans la plupart de ces villes, si jolies, que je vois de loin sur ses bords »

116. Théophile Gautier : "Le Léman est tout Genève ...".

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Le Léman est tout Genève. Il est impossible, quand on est là, d’en détourner les yeux et d’en quitter les rives. Aussi toutes les fenêtres font un effort pour se tourner vers lui, et les maisons se dressent sur la pointe des pieds et tâchent de l’entrevoir, par-dessus l’épaule des édifices mieux situés. Une flottille de barques à la voile ou à la rame, avec ou sans tendelet, attend près du môle où s’arrêtent les pyroscaphes, le caprice des promeneurs et des voyageurs.[...] Rien n’est plus charmant que d’errer sur cette nappe bleue, aussi transparente que la Méditerranée, bordée de villas qui viennent baigner leurs pieds dans l’eau, encadrée de montagnes étagées et bleuies par l’éloignement. Le mont Salève, la dent de Morcles et le vieux Mont-Blanc, qui semble saupoudré de marbre de Carrare, dentellent l’horizon, du côté de la Suisse, et du côté de la France ondulent les derniers contreforts des Alpes jurassiques. Des bateaux de pêcheurs, avec leurs voiles posées en ciseaux, flânent nonchalamment, traînant leurs lignes ou leurs filets. Des canots d’amateurs, des yoles, des embarcations de toutes sortes voltigent d’une rive à l’autre, en assez grand nombre pour rendre le tableau animé ; assez rares pour ne pas le faire tumultueux. (Théophile GAUTIER (1811-1872), Voyage en Italie)

115. Victor Hugo : "Meillerie".

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La Lune était dans son plein ; la haute crête de Meillerie, noire au sommet et vaguement modelée à mi-côte emplissait l’horizon. Au fond, à ma gauche, au-dessous de la lune, les dents d’Oche mordaient un charmant nuage gris perle, et toutes sortes de montagnes fuyaient tumultueusement dans la vapeur…. Des bruits de voix m’arrivaient de la ville, et je voyais sortir du port de Vevey un bateau allant à la pêche. Ces bateaux pêcheurs du Léman ont une forme que le lac leur a donnée. Ils sont munis de deux voiles latines attachées, en sens inverse, à deux mâts différents, afin de saisir les deux grands vents qui s’engouffrent dans le Léman par ses deux bouts, l’un par Genève, qui vient des plaines, l’autre par Villeneuve, qui vient des montagnes. [...] Au jour, au soleil, le lac est bleu, les voiles sont blanches, et elles donnent à la barque la figure d’une mouche qui courrait sur l’eau, les ailes dressées ; la nuit, l’eau est grise et la mouche est noire. Je regardais donc cette gigantesque mouche noire qui marchait lentement vers Meillerie, découpant sur la clarté de la lune ses ailes membraneuses et transparentes. Le lac jasait à mes pieds ; il y avait une paix immense dans cette immense nature. C’était grand et c’était doux. Un quart d’heure après, la barque avait disparu, la fièvre du lac s’était calmée, la ville s’était endormie. J’étais seul, mais je sentais vivre et rêver toute la création autour de moi. (Victor HUGO)

114. Victor Hugo : "Lausanne et Vevey".


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Lausanne est un bloc de maisons pittoresques, répandu sur deux ou trois collines qui partent du même nœud central, et coiffé de sa cathédrale comme d’une tiare. J’étais sur l’esplanade de l’église, devant le portail et, pour ainsi dire, sur la tête de la ville ; je voyais le lac au-dessus des toits, les montagnes au-dessus du lac, les nuages au-dessus des montagnes, et les étoiles au-dessus des nuages ; c’était comme un escalier où ma pensée montait de marche en marche et s’agrandissait à chaque degré.
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Vevey, jolie petite ville blanche, propre, anglaise, confortable, chauffée par les pentes méridionales du mont Chardone comme par des poêles et abritée par les Alpes comme par un parapluie. J’ai devant moi un ciel d’été, le soleil, des coteaux couverts de vignes mûres, et cette magnifique émeraude du Léman enchâssée dans des montagnes de neige comme dans une orfèvrerie d’argent. Vevey n’a que trois choses, mais ces trois choses sont charmantes : sa propreté, son climat et son église.

113. Alexandre Dumas : "Genève, le lac, Nyon"

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Genève est, après Naples, une des villes les plus heureusement situées du monde. Paresseusement couchée, comme elle l’est, appuyant sa tête à la base du mont Salève, étendant jusqu’au lac ses pieds que chaque flot vient baiser , sous ce beau ciel, devant ces belles eaux, il semble que ses bras lui sont inutiles, et qu’elle n’a qu’à respirer pour vivre ; et cependant cette odalisque nonchalante, cette sultane paresseuse en apparence, c’est la reine de l’industrie, c’est la commerçante Genève.
Quant au Léman, c’est la mer de Naples, c’est son ciel bleu, ce sont ses eaux bleues, et plus encore ses montagnes sombres qui semblent superposées les unes aux autres, comme les marches d’un escalier du ciel ; puis, derrière tout cela, apparaît le front neigeux du Mont-Blanc.
C’est sur la rive septentrionale que la nature a secoué le plus prodigalement ces fleurs et ces fruits de la terre qu’elle porte dans un coin de sa robe ; ce sont des parcs, des vignes, des moissons, un village de dix huit lieues de long étendu d’un bout à l’autre de la rive ; des châteaux bâtis dans tous les sites, cariés comme la fantaisie et portant sur leurs front sculptés la date de leur naissance …
A Nyon, des constructions romaines élevées par César ; à Vufflens, un manoir gothique, élevé par Berthe, la reine fileuse ; à Morges, des villas en terrasses qu’on croirait transportées, toutes construites, de Sorrente ou de Baïes ; puis, au fond, Lausanne, avec ses clochers élevés ; Lausanne, dont les maisons blanches semblent de loin une troupe de cygnes qui sèchent au soleil, et qui a placé au bord du lac la petite ville d’Ouchy, sentinelle chargée de faire signe aux voyageurs de ne point passer sans rendre hommage à la reine vaudoise. (Alexandre DUMAS)

112. François-René de Chateaubriand : "A Coppet".


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Je suis allé hier visiter Coppet. Le chateau était fermé; on m'en a ouvert les portes; j'ai erré dans les appartements déserts. Ma compagne de pélerinage a reconnu tous les lieux où elle croyait voir encore son amie.[...]
Du chateau, nous sommes entrés dans le parc; le premier automne commençait à rougir et à détacher quelques feuilles; le vent s'abattait par degré et laissait ouïr un ruisseau qui faisait tourner un moulin. Après avoir suivi les allées qu'elle avait coutume de parcourir avec Madame de Staël, Madame Récamier a voulu saluer ses cendres. A quelque distance du parc est un taillis mêlé d'arbres plus grands, et environné d'un mur humide et dégradé. ce taillis ressemble à ces bouquets de bois au milieu des plaines que les chasseurs appellent des remises : c'est là que la mort a poussé sa proie et renfermé ses victimes. [...]
Je ne suis point entré dans le bois. Madame Récamier a seule obtenu la permission d'y pénétrer. Resté assis sur un banc, devant le mur d’enceinte, je tournais le dos à la France et j’avais les yeux attachés tantôt sur la cime du Mont-Blanc, tantôt sur le lac de Genève. Les nuages d’or couvraient l’horizon derrière la ligne sombre du Jura. On eut dit d’une gloire qui s’élevait au-dessus d’un long cercueil.
J’apercevais de l’autre côté du lac la maison de Lord Byron dont le faîte était touché d’un rayon du couchant. Rousseau n’était plus là pour admirer ce spectacle et Voltaire, aussi disparu, ne s’en était jamais soucié. (Mémoires d'outre Tombe, Livre 36 - Genève, fin de septembre 1832)

111. Alphonse de Lamartine : "Nernier et à l'entour".

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Le lendemain, je descendis au point du jour, du côté du lac, vers Nyon. C’était au mois de mai ; le ciel était pur, les eaux du lac resplendissantes, et tachées, çà et là, de quelques voiles blanches. L’ombre des montagnes s’y peignait du côté de Meilleraye, avec leurs rochers, leurs forêts et leurs neiges.. Je m’enivrais de ces aspects alpestres que je n’avais fait qu’entrevoir quelques années auparavant. [...] Tout était vide et calme. Seulement j’apercevais, au-delà de la ligne bleue, dessinée en pleine eau par le lac, la barque de Lausanne qui penchait sa voile sous le vent en labourant les vagues à une demi-lieue de moi. Quelques oiseaux blancs, aux longues plumes triangulaires, voguaient ou plongeaient entre la terre et la barque, puis disparaissaient en la suivant. On n’entendait aucun bruit, tout faisait silence. [...] La nature la plus idéale, la saison la plus tiède, la solitude la plus silencieuse, la société la plus innocente et la plus bornée : la fille du batelier, une chambre, une hirondelle, un chien, un lac pour horizon, une espérance vague et imprécise pour perspective et la sève de la jeunesse pour vivifier tout cela, c’était tout ce que l’humanité pouvait désirer. Non, jamais je n’ai vécu de jours qui aient égalé ces jours de Nernier. La mélancolie et le désert ne trouveront pas deux fois un tel Eden. (Alphonse de LAMARTINE)

110. Germaine de Staël : "Au bord du lac de Genève".

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L’une des réflexions qui nous frappaient le plus dans nos longues promenades
sur les bords du lac de Genève, c’était le contraste de l’admirable nature
dont nous étions environnés, du soleil éclatant de la fin de juin,
avec le désespoir de l’homme, ce prince de la terre
qui aurait voulu lui faire porter son propre deuil.
Germaine de STAEL (1766-1817)

109. Jean-Jacques Rousseau : "En approchant de la Suisse".

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La dent d'Oche et les Memises
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Plus je m'approchais de la Suisse, plus je me sentais ému. L'instant où, des hauteurs du Jura, je découvris le lac de Genève fut un instant de ravissement et d'extase. La vue de mon pays, de ce pays chéri où des torrents de plaisir avaient inondé mon cœur [...]. cette terre riche et fertile, ce paysage unique, le plus beau dont l'œil humain fut jamais frappé [...] tout cela me jetait dans des transports que je ne puis décrire et semblait me rendre à la fois la jouissance de ma vie entière.
Jean Jacques ROUSSEAU (1712-1778) in "La Nouvelle Héloïse"