11.13.2008

A mes visiteurs

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A ce jour, 350 textes ou extraits ont été mis en ligne.
Dans l'immédiat, aucune publication nouvelle n'est prévue,
mais je remercie vivement par avance les lecteurs qui
accepteraient de me communiquer des documents
susceptibles d'enrichir ce blog.
Mise à jour et révision : 20 mai 2010
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Contact : laclaud74@gmail.com
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11.12.2008

360. Index des 360 messages publiés. 10

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10. Messages : 319 à 350.

350. Anna de Noailles par Maurice Barrès.
349. Anna de Noailles par Charles Maurras.
348. Anna de Noailles par François Mauriac.
347. Anna de Noailles par Jean Cocteau.
346. Anna de Noailles par Edouard Herriot.
345. Anna de Noailles par Emmanuel Berl.
344. Anna de Noailles par Colette.
343. Anna de Noailles par Jean Rostand.
342. Anna de Noailles par Francis Jammes.
341. Anna de Noailles par ses contemporains.
340. Anna de Noailles : « Une île ».
339. Anna de Noailles : « La promesse »
338. Anna de Noailles : « Nuit voluptueuse ».
337. Anna de Noailles : « Nous étions de très petits enfants».
336. Anna de Noailles : « Le premier chagrin ».
335. Anna de Noailles : « L’Ombre des jours » (extraits).
334. Anna de Noailles : « L’image ».
333. Anna de Noailles : « Ainsi les jours légers …. ».
332. Anna de Noailles : « Exaltation ».
331. Anna de Noailles : « Syracuse ».
330. Anna de Noailles : « Les journées romaines ».
329. Anna de Noailles : « Le verger ».
328. Anna de Noailles : « L’ile des folles à Venise ».
327. Anna de Noailles : « Chant dionysien ».
326. Anna de Noailles : « Ô lumineux matin ».
325. Anna de Noailles : « Vous que jamais rien … ».
324. Sélection de poèmes d’Anna de Noailles.
320 -323. Marcel Proust : correspondance depuis Evian.
319. Marcel Proust à Evian.

359. Index des 360 messages publiés. 9

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9. Messages : 269 à 318.

316-318. Anna de Noailles, princesse de Brancovan.
315. Les neuf sources d’Evian. 3.
314. Les neuf sources d’Evian. 2.
313. Les neuf sources d’Evian. 1.
309-312. Evian : naissance d’une ville.
308. Christian Dupavillon : «Ô Royal d’Evian ».
307. Eglise d’Evian : le chemin de croix de Pierre Christin.
301-306. L’église d’Evian : histoire et architecture.
296-300. Le Léman, un sublime ressassement.
292-295. Le Léman, voie de communication.
291. A mes lecteurs.
289-290. Jean-Pierre Larpin : « L’eau d’Evian » .
286-288. Jean-Pierre Larpin : « La pierre de Meillerie»
285. Jean-Pierre Larpin : Anecdotes lémaniques
283-284. Jean-Jacques Rousseau.
280-282. Guy de Pourtalès.
276-279. Charles-Ferdinand Ramuz.
275. Roger Gray.
274. Alice Rivaz.
273. Roger Martin du Gard.
272. Emmanuel Buenzod.
271. Robert de Traz.
269-270. Henri-Frédéric Amiel.

358. Index des 360 messages publiés. 8

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8. Messages : 229 à 268.

268. Jules Michelet.
267. Léandre Vallat.
266. Francis Wey.
265. E. Guillon et G. Bettex.
264. Rémi Mogenet.
263. Bachellerie.
262. Anna de Noailles : « mes livres je les fis … »
261. Anna de Noailles : manuscrit.
260. Lord Byron et le prisonnier de Chillon.
259-253. Anna de Noailles : « Le livre de ma Vie ».
252-247 ; Martine de Rosny-Farge : Orage sur le Léman.
246. Jacques Hermann : « Le lac, lentement se couvre ».
245-241. Pierre Lartigue : « Les barques de Meillerie »
240. Alain Mickiewicz : Sur cette onde immense …
239. Rémi Mogenet : « Les eaux sacrées du Léman ».
238-237 : Françoise Delamarre : « Fables du lac ».
236-235 : Une carte du lac Léman.
233-234 : Hans Christian Andersen : Journal.
232. Alphonse Guillot : D’Evian à Saint-Gingolph.
231. Alphonse Guillot : Une légende.
230. François Broche : La mort d’Anna de Noailles.
229. Anna de Noailles : « C’est après les moments … ».

357. Index des 360 messages publiés. 7

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7. Messages : 197 à 228.

228. Alphonse Guillot : Vers Neuvecelle.
227-226. Alphonse Guillot : Evian.
225. Henri Verne : Evian.
224. Docteur Bordet : Evian, panorama splendide.
223. Alphonse Guillot : Arrivée en Chablais.
222. Alphonse Guillot : A propos du Chablais.
221. Alphonse Guillot : Impressions de voyage.
220. Evian : la fondation de l’établissement thermal.
219-218. Une eau miraculeuse.
217-215. Le Tour de la France par deux enfants.
214-213. Les pastels de la comtesse de Noailles.
212. Bernard Sache : Les barques du Léman.
211. Les barques du Léman : deux sites Internet.
210. Alphonse Guillot : La saison d’Evian.
209. Alphonse Guillot : Une fête à Evian.
208. Le bureau d’Anna de Noailles.
207. Jean Cocteau évoque Anna de Noailles.
206. Anna de Noailles : biographie abrégée.
205-201. La poésie d’Anna de Noailles.
200. Anna de Noailles et le lac Léman.
199-198. Anna de Noailles et Evian.
197. Anna de Noailles : sélection de sites Internet.

356. Index des 360 messages publiés. 6

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6. Messages : 151 à 196.

196-194. Charles-Ferdinand Ramuz : «Pensée à la Savoie ». 193-188. Dans les journaux.
187. Julien Gracq : la rive française du Léman.
186-183. L’air du temps : anecdotes lémaniques.
182. Anna de Noailles : un portrait.
181. Rémy de Gourmont : la poésie de Madame de Noailles. 180-178. René Mossu : « Les secrets d’une frontière ».
177-175. Maurice Clavel : « La lumière du lac ».
174-172. Une Nation Savoie : « Les Allobroges ».
171-169. Paul et Adolphe Joanne : « Lamartine, Byron, Amphion … ».
168. Rémi Mogenet : le chant des auteurs vivants de Genève.
167. Rémi Mogenet : le chant des auteurs morts de Genève. 166. Rémi Mogenet : Léman.
165-164. Henry Bordeaux : Le Chablais de mon enfance.
163. Jean-Jacques Rousseau : Les montagnes du Chablais.
162. Michèle Meyer : Hommage à Camille Blanc.
161-160. Jean Dutrait : Points de repère.
159-158. Jean-Louis Jacquier-Roux : « Le lac perdait son temps ».
157-155. Menaché : Parenthèses.
154-153. Lord Byron : « Clarens, limpide Léman…. »
152. Dans la presse : Léman fantastique
151. Henry Bordeaux : Anna de Noailles à Amphion.

355. Index des 360 messages publiés. 5

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5. Messages : 129 à 150.

150. Elisée Reclus : le Rhône valaisan.
149. Anna de Noailles : Trois extraits en prose.
148. Charles-Ferdinand Ramuz : Journal.
147. Charles François Landry : Vaud et Valais.
146. Bernard Clavel : La lumière du lac.
145. André Guex : Voiles et carènes.
144. Henry Bordeaux : « J’ai bien mérité de la Savoie ».
143. Hermine Asaky : « Un attendrissement aussi doux ».
142. Anna de Noailles : « Le paradis d’Amphion ».
141. Henri Warney : « Tableau du lac ».
140. Henri Frédéric Amiel : « Jour à jour ».
139. Eugène Rambert : "Ô vieux Léman".
138. Anna de Noailles : « La côte est de feux bleus ».
137. Charles-Ferdinand Ramuz : « C’est à l’eau qu’on doit le vin ! ».
136. Léandre Vaillat : La Savoie.
135. Rodolphe Rey : Le charme de Vevey.
134. Francis Wey : Au bord du lac, vers Yvoire.
133. Francis Wey : En pays de Gavot.
132-131. Joseph Dessaix : « Ce qu’il est beau mon pays ! ».
131. Joseph Dessaix : La féérie du Léman.
130. Charles Lenthéric : Le Léman.
129. Guy de Pourtalès : Les hommes d’Yvoire.

354. Index des 360 messages publiés. 4

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4. Messages : 107 à 128.

128. Gabriel Bonnoure : La poésie d’Anna de Noailles
127. Benjamin Valloton : Ceux de Barivier.
126. Benjamin Valloton : Barivier, village de Savoie.
125. Jacques Cheissex : Montreux.
124. Alphonse de Lamartine : « Pour moi, cygne d’hiver».
123. Albert Richard : « Combien mon lac est doux ».
122. Henri Durand : Léman, roi de nos lacs
121. Le Doyen Bridel : « Des remparts de Genève …. ».
120. Juste Olivier : « Ô bleu Léman ».
119. Juste Olivier : « Comme un tissu léger … ».
118. Léon Tolstoï : Le pays de Clarens.
117. Stendhal : De Rolle à Vevey.
116. Théophile Gautier : Le Léman est tout Genève.
115. Victor Hugo : Meillerie.
114. Victor Hugo : Lausanne et Vevey.
113. Alexandre Dumas : Genève, le lac, Nyon.
112. François René de Chateaubriand : A Coppet.
111. Alphonse de Lamartine : Nernier et à l’entour.
110. Germaine de Staël : Au bord du lac de Genève
109. Jean-Jacques Rousseau : En approchant de la Suisse.
108. M. le Gallais : Origines de la Savoie
107. A de Bougy : Les eaux minérales d’Evian

353. Index des 360 messages publiés. 3

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3. Messages : 67 à 106.

106. L.E. Piccard : Origines d’Evian
105-103. Martine de Rosny-Farge : La petite fille du lac.
102-101. Michel Boutron : La montagne et ses hommes
100. Anna de Noailles : "Deux êtres luttent ".
99. Anna de Noailles : "Astres qui regardez".
98. François Broche : Anna de Noailles
97. Anna de Noailles : "Les vivants et les morts".
96-95. Anna de Noailles : "Domination".
94. Anna de Noailles : "Poème de l’amour".
93. Anna de Noailles : « L’honneur de souffrir ».
92. Anna de Noailles : « Le cœur innombrable ».
91. Anna de Noailles : « Le jardin perfide ».
90. Anna de Noailles : « J’ai vu ta confuse ….. ».
89. Anna de Noailles : « Lever au soleil ».
88. Anna de Noailles : « Il fera longtemps clair ce soir".
84-87. Francis Broche : "Anna de Noailles à Amphion".
83-80. Dans la presse des années 1900.
79-77. Maurice Denuzière : « Helvétie ».
76-70. Alphonse Guillot : « Faisons le tour du lac ».
69. Maurice Denuzière : « A Lausanne ».
68. Maurice Denuzière : « A Vevey ».
67. Maurice Denuzière : « Le temps des vendanges ».

352. Index des 360 messages publiés. 2

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2. Messages : 31 à 66.

66. Anna de Noailles : « L’allée des platanes ».
65-64. Anna de Noailles et Maurice Barrès à Amphion.
63. Anna de Noailles célébrée à la Sorbonne.
62-60. Pour mieux connaître Anna de Noailles.
59-57. Emmanuel Berl : Cimetière
56-55. Lord Byron et le lac Léman.
54. Le lac Léman, un lien permanent.
53. Le lac Léman, son pouvoir d’attraction.
52. Le lac Léman : présentation.
51. Anna de Noailles : Jeunesse
50. Anna de Noailles : L’empreinte
49. Anna de Noailles : Offrande à la nature
48. Alphonse Guillot : Au-dessus d’Evian, vers les montagnes.
47. Anna de Noailles : quatre portraits
46-44. Invocation au lac.
43-42. Impressions de voyage.
41-40. Alphonse Guillot : En Chablais.
39-38. A propos de la littérature en Savoie.
37-34. Charles-Ferdinand Ramuz : Chant de notre Rhône
33. Anna de Noailles : les Eblouissements
32. Anna de Noailles : Plainte
31. Dostoïevski à Genève.

351. Index des 360 messages publiés. 1

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1. Messages : 01 à 30.

30. Charles-Albert Cingria : "J’ai envie de parler d’Ouchy".
29. Evian : A la mémoire du prince de Brancovan.
28. Alphonse de Lamartine : Mémoires.
27. Jean-Jacques Rousseau : "A propos de la Nouvelle Héloïse" .
26. Voltaire : "Séjour à Lausanne".
25. John Ruskin : "Au bord du lac de Genève".
24. Anna de Noailles : "Notre amour" .
23. Emmanuel Berl : "Dialogue à propos d’Anna de Noailles".
22. Etienne Piver de Sénancour : "Autour du lac ".
21-18. Le jardin votif Anna de Noailles à Amphion
17-16. Louis Perche : Anna de Noailles dans « Poètes d’aujourd’hui ».
15-11. Francis Wey : Récits d’histoire et de voyage.
10. Le château de Chillon : histoire abrégée.
09. Lord Byron : Le prisonnier de Chillon.
08. Lord Byron : Clarens, sweet Clarens ….
07. Lord Byron : Au château de Chillon.
06. Anna de Noailles : "En ces matins d’Octobre"
05. Anna de Noailles : "Le mois de cristal".
04. Anna de Noailles : "J’ai goûté des moments ….." .
03. Anna de Noailles : "Entre Evian et Thonon ....".
02. Anna de Noailles : "Esquisse d’une vie".
01. Paul Schauenberg : "Un nom, un lac, le Léman".

11.09.2008

350. Anna de Noailles par Maurice Barrès

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Madame,

En quittant le rivage où respirèrent Iphigénie et Antigone, quel délice de trouver au front d'une jeune vivante les glaces flexibles et l'étincelle de l'Ionie ! C'est que, jadis, vous avez vécu dans l'Érechthéion avec les jeunes filles qu'on nommait « les porteuses de rosée » On vous entrevoit, dans la procession, qui tenez de vos deux mains le voile d'Athéna ; et les jeunes gens de Platon vous ont appelée : ma sœur.
Quand les Acropoles cessèrent de porter leurs fruits particuliers et redevinrent des rochers stériles auprès de la mer, vous ne vous êtes pas couchée dans le sable des morts avec les figurines d’argile. Vous avez vécu dans Byzance, d'où, votre ancêtre nous apporta le trésor des lettres antiques. Toute la suite des voyageurs ont vu les jeunes Phanariotes chanter, danser et pleurer sous les vergers de la mer Noire. Mais votre nom paternel évoque l'effort des vieilles races pour s'affranchir de la Babel ottomane. Obscurs frissons, fièvres royales, quel beau livre on pourrait écrire avec l'histoire d'une goutte de sang grec ! Hier enfin, vous êtes venue, du Danube comme Ronsard, et de Byzance comme Chénier, nous offrir toute vive, mais attendrie par des siècles d'exil, cette délicatesse grecque dont les archéologues ne nous donnent qu'une idée languissante. Vos poèmes remplissent de plaisir nos débutants et nos maîtres. On s'émerveille du mariage d'un jeune cœur païen avec nos paysages. Un jardin que vous regardez en a plus de parfum et d'éclat ; il devient tel que furent, avant votre migration, j'imagine, les îles de l'Archipel.
Les réminiscences involontaires qui soutiennent votre génie nous aident à comprendre les mystères de l'inspiration, et l'on voit dans votre âme, comme dans une ruche de verre, se composer les lourds rayons dorés. Vous paraissez obéir docilement aux propositions de l'heure : votre fantaisie bondit avec une sûreté joyeuse sur la minute qui passe, ou bien vous cédez à votre inclination comme une herbe qui ploie au bord du chemin, mais vous demeurez toujours une avisée petite-fille d'Ulysse. Quand je lis vos romans, je songe parfois aux ruses des héros grecs. Il semble qu'un divinité champêtre se soit déguisée en Parisienne pour observer, avez un détachement cruel, le petit manège des femmes. [...] Ainsi, Madame, ce n'est pas sans sujet que j'ai désiré inscrire votre jeune gloire sur la première page de ce voyage à Sparte. Elle place sous l'invocation de la poésie un livre qui pourrait parfois sembler irrévérent à l'égard des belles choses. On ne me traitera pas de barbare, si vous me permettez de mettre à vos pieds mon admiration respectueuse.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Maurice_Barr%C3%A8s

349. Anna de Noailles par Charles Maurras

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[…] On ne trouve chez la comtesse de Noailles aucune réminiscence, même confuse, de l'Océan barbare, ni des troubles particuliers à la conscience chrétienne. La demi-grecque oublie la notion du péché. Elle songe la Mort comme l'ont songée les plus anciens d'entre les Anciens. C'est un obscur endroit d'où l'on pense à la vie avec quelque regret et d'où l'on veut savoir les nouvelles de notre monde. Les morts sont consolés, quand un trou creusé dans la terre insinue jusqu'au séjour où l'ombre se mêle à la cendre un rayon de miel, un filet de lait et de vin. Le poète raffiné du "Cœur innombrable" charge un faune de ses commissions pour le Styx, mais la collation rituelle est augmentée d’un mets nouveau : c'est le don royal d'elle-même, et ce présent fait a des Ombres, qui n'en peuvent goûter - elle le dit - pourra paraître assez méchant :

Dis-leur comme ils sont doux à voir,
Mes cheveux bleus comme des prunes,
Mes pieds pareils à des miroirs
Et mes deux yeux couleur de lune.

Et dis-leur que, dans les soirs lourds,
Couchée au bord des fontaines,
J’eus le désir de leurs amours,
Et j’ai pressé leurs ombres vaines.

[…] Le second recueil de Madame de Noailles, "L'ombre des jours" précise la valeur de ces éléments précieux. Il achève de révéler quel trésor de puissance poétique accumulent certaines natures frémissantes. La sensibilité diffère de l'art ; mais elle est la matière première de l'art. Un certain degré de sensibilité, également distribuée et répartie, peut suppléer à la raison et tenir la place du goût. Or, l'excès fait la loi ici. Bien plus, de cette belle et forte sensibilité naturelle, une volonté résolue abuse méthodiquement. La jeune femme ne se complaît qu'à sentir, à se voir sentante et souffrante. Sa frénésie de sentiment, toujours consciente et voulue, la dévoile, l'écorche même, afin de la faire apparaître plus nue. Le poète se soucie donc de moins en moins de forger des représentations cohérentes, des images suivies, mais dans la négligence se font les rencontres heureuses :

J’entendrai s’apprêter dans les jardins du temps,
Les flèches de soleil, de désir, d’envie
Dont l'été blessera mon cœur tendre et flottant.


Le poète abandonne semblablement les descriptions, auxquelles il s'appliquait jadis avec une méritoire constance, et ces héros obscurs du jardin potager, haricots, radis, fleurs de pois, auxquels était dévoué le premier volume, sont relégués en un second plan à peine sensible. Ce que l'auteur demande désormais aux arbres, aux buissons, à la nature entière, c'est d'exciter ses nerfs, d'extasier son rêve, de lui apporter l'occasion du mouvement passionné. A ce titre, les vraies fleurs, ces fleurs du vieux temps qui charmèrent tous les poètes, refleurissent dans le jardin qui leur avait préféré des légumineuses. En l'absence des roses, jugées sans doute un peu trop simples, voici déjà brûler dans l'air amoureux de la nuit "l'héliotrope mauve aux senteurs de vanille". A la description se substitue donc une émotion, mais élancée, autant que faire se peut, des régions les plus végétatives et les plus nocturnes de l'âme :

Mon âme si proche du corps !
Mon âme d'ombre et de tourment
Et celle qui veut âprement
Le sang de la tendresse humaine !
O mes âmes désordonnées !

Ces petites âmes diverses, avides, brutales, - un physiologiste dirait - ces petits centres nerveux de systèmes inférieurs, - ces âmes d'impression plus que de réflexion et d'organisation, ces petites volontés toutes sensuelles, sont expressément chargées de tout passionner. Un train qui part, "beau train violent" est invoqué comme le "maître de l'ardente et sourde frénésie".
[…] De grands poètes qui exposent les infortunes des amants veulent nous émouvoir de pitié ou d'horreur. Celui-ci n'a aucune arrière-pensée théâtrale. Il n'a point d'autre but que de dire l'amour ou plutôt de le confesser. Il nous confesse son amour. Je voudrais oser dire qu'il l'extériorise. Comme le jeune auteur d'Occident tendait à trouver, des paroles qui pussent la dire, vivante, vraie, dans les caractères particuliers de son imagination, le jeune auteur de La Nouvelle -Espérance cherche à faire voir avec vérité ce que c'est que son cœur de femme, conçu, non au repos, où il n'est point lui-même, mais au plus vif, au plus rapide, au plus effréné des mouvements qui mettent le fond bien à nu ; non dans le rêve et dans l’attente, mais à la fleur des heures où brûle le plus haut sa plus chaude flamme d'amour. Je suis loin de nier l'éminente curiosité du spectacle.
Cependant, ces efforts de description intérieure participent de la science plus que de l'art. Il me semble que le succès en sera toujours relatif. Si, d'un tableau à un autre, il n'existe jamais de copie parfaite, comment serait-on jamais satisfait de la version de nos états intérieurs dans le langage extérieur, de notre vie propre dans un monde qui est commun et qui doit l'être ? Quelque concret et sensuel que soit un style, les mots sont toujours une algèbre, leurs symboles ne feront jamais la réalité : ils ne la refléteront même pas. Aussi n'est-on jamais satisfait, même de l'outrance, et faut-il toujours la porter plus avant. Par essais graduels, par entraînement méthodique, les phénomènes insensibles ou à peine perçus jusque-là prennent une forme distincte. L'hyperesthésie maladive s'accentue volontairement et s'accompagne de perversions bizarres - La couleur des mots apparaît et, leur arôme s'annonce. En même temps qu'il se colore et se parfume, l'univers intellectuel commence à revêtir un accent plus aigu, dont le patient commence à souffrir.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Maurras

348. Anna de Noailles par François Mauriac


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Cette jeune femme illustre prêta sa voix à toute une jeunesse tourmentée. Sa poésie fut le cri de notre adolescence. Auprès des autres, nous cherchions l'apaisement, la lumière; ou nous leur demandions d'être bercés et endormis. Mais elle attirait à soi les passions qui ne veulent pas guérir. Quelle tentation, pour un jeune cœur, que de découvrir Dieu au-delà de l'assouvissement !
Admirée, adorée, chargée et comme accablée de tous les dons humains, elle nous précédait de dix années dans la vie, pour que nous fussions avertis que posséder tout, c'est ne rien avoir, et qu'il ne sert à rien de gagner l'univers. L'univers, elle l'avait capté dans ses poèmes où Venise, Sorrente, la Sicile nous semblaient plus chaudes et plus odorantes que dans le réel. Mais de tous les jardins du monde, elle rapportait les seules herbes nécessaires pour composer le philtre qu'Iseult partage avec Tristan et elle nous le faisait boire. Elle n'a jamais distingué l'amour de la mort. Son exigence débordait infiniment l'amour humain. […] Durant toute une vie, aura-t-elle contemplé la mort en vain ? A cet esprit, l'un des plus avides que nous ayons connus, la mort ne révéla rien de ce que dissimulent ses ténèbres. Penchée depuis l'enfance sur ce gouffre d'éternelle clarté, Madame de Noailles a toujours donné son cœur et son consentement à la nuit. [...] "Il faut d'abord avoir soif", ce mot de Catherine de Sienne que Madame de Noailles inscrivit en exergue du Poème de l'amour, ce mot l'aurait sans doute éclairée, si elle l'eût ainsi compris : "Soif de ce silence où Dieu nous parle". Peut-être alors eût-elle entendu la parole intérieure qui fut adressée à Catherine de Sienne : "Tu es celle qui n'est pas !". C'était le mot de l'énigme, et Madame de Noailles ne l'a pas trouvé. Elle est demeurée inguérissablement elle-même, aveuglée par sa propre lumière. […] C’est une dangereuse épreuve que l'excès de bonheur. Les anciens n'avaient pas tort de redouter une chance trop constante ; la créature comblée finit toujours par être accablée.Il est des êtres sur qui le bonheur humain s'acharne, comme s'il était le malheur, et, en vérité, il est le malheur. Ce grand poète qui vient de s'endormir, nous l'avons vu dans l'éclat de sa jeune gloire. D'autres femmes étaient belles, mais elle seule possédait cette beauté que le génie transfigure. Princesse dès le berceau, elle reçut, au jour de ses noces, un des plus grands noms de France, et des plus glorieux; mais à peine l'eut-elle porté, que l'éclat de son génie obscurcit les fastes de cette famille illustre; et désormais le nom de Noailles n'évoquera plus le vainqueur de Cérisoles, ni cet archevêque de Paris, ami secret des jansénistes et pour qui Racine écrivit l'histoire de Port-Poyal, ni trois maréchaux de France, mais une jeune Minerve revenue de toute sagesse, docile au seul vertige, et qui, comme l’Euphorion de Goethe, s'élance à corps perdu « dans un espace plein de douleurs »
Qu'elle était heureuse, cette désespérée ! Son génie jouissait de lui-même, à chaque instant de sa vie ; et non pas seulement lorsque, poète, elle cédait, dans le secret, à ses sublimes inspirations; car elle régnait aussi par la parole. Dans ces beaux jours de notre jeunesse, dès qu’elle apparaissait, nous nous pressions autour d'elle toujours accablée, mais dont l'épuisement même entretenait l'ivresse. Elle faisait rire aux larmes des adolescents que ses poèmes enivraient de tristesse, le soir, dans leur chambre solitaire. Furieuse et joyeuse abeille, elle fonçait soudain sur ses victimes, car elle voyait le ridicule des gens, selon le mot de Saint-Simon, « avec cette vérité qui assomme ». [...] Tant qu'une seule chose nous manque, nous espérons l'atteindre et le désespoir reste impossible. Mais rien ne manquait à cette reine de notre jeunesse; et elle obtint donc, par surcroît, le désespoir si nécessaire aux poètes. Il faut tout avoir, pour ne tenir compte de rien, tout posséder, pour avoir le droit de tout mépriser. Il n'y a pas de détachement possible sans possession, car comment nous détacher de ce que nous n'avons pas ?
[...] C'était l'époque où . . . un jeune insolent disait devant moi à Madame de Noailles : « On ne fait plus de vers, aujourd'hui, madame !», l'époque enfin où, dans la lignée de Mallarmé, se manifestait un poète attentif à la valeur et au poids de chaque mot, ennemi de toute facilité. Dans les premiers jours après l'Armistice, je me vois encore, chez le libraire Floury, lisant d'un trait la Jeune Parque de ce Paul Valéry […] aux antipodes du "Cœur Innombrable" et des "Eblouissements" . Mais il y a, chez les Muses, beaucoup de demeures ; et dans ce temps où je me sentais proche encore de mes belles années, bourdonnantes de tous les poètes, les dieux nouveaux n’empiétaient pas sur mes anciennes adorations. Aucun de nous qui ne soit demeuré fidèle à celle dont la poésie fut la voix même de notre jeune passion. Peut-être aurions-nous dû le lui redire; mais nous ne pensions pas que cette. immortelle eût besoin d'être rassurée.

http://www.francois-mauriac.com/flash.htm

347. Anna de Noailles par Jean Cocteau


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Rien ne prouvera donc aux intellectuels que la comtesse Anna de Noailles soit un très grand poète, car la toute mystérieuse sexualité dont je parle n'est pas le fait d'un milieu qui confond avec du brio ce qui brille et pour lequel un certain ennui semble être le signe de sérieux et le privilège de chef-d'œuvre. Après une gloire que peu de personnes vivantes connurent, la comtesse de Noailles tomba brutalement dans la fosse commune où la gloire, qui est femme, abandonne les cendres de ceux qui ont trop voulu se faire aimer d'elle. […] Pauvre et merveilleuse Anna, elle ferait sans doute fort étonnée d'apprendre la révision de son procès entreprise par un poète dont les incartades lui paraissaient néfastes et, en outre, que cet anarchiste incorrigible occuperait un jour le fauteuil illustré par elle et par Mme Colette à l'Académie royale de Belgique.
[…] Un soir de novembre 1918, j'entendis Joseph Reinach dire à la comtesse : « Il existe en France trois miracles : Jeanne d'Arc, la Marne et vous ». Moréas la surnommait l'abeille de l'Hymette. Quelle jeune femme ne s'enfiévrerait de tels éloges ! Roumaine par les Brancovan, grecque par les Musurus, portant un des noms les plus représentatifs de l'aristocratie française, sanctifiée déjà, petite-fille, au bord du lac de Genève par l'extase d'une mère, pianiste virtuose, la comtesse se laissa glisser sur la pente où j'eusse continué de glisser moi-même si je ne m'étais aperçu à temps que ma glissade était une chute vertigineuse. Cette chute se termine fort mal pour ceux qui refusent la porte étroite et se laissent pousser par les flatteurs. [...] La comtesse adorait cette éloquence à laquelle Verlaine conseille de tordre le cou. Il arrivait à l'oraculeuse sibylle de tomber dans le bavardage et je l'ai vue, à table, boire de la main droite et agiter la main gauche afin que les convives ne lui enlèvent pas le crachoir. […] La comtesse se bouchait les oreilles à ce qui n'était pas fanfare. Comme les charmantes rainettes, dont elle avait les mains étoilées, la taille fine et la gorge palpitante, elle ne résistait pas au rouge. […] Le prodige de la comtesse qui faisait Léon-Paul Fargue s'écrier : « La mâtine ! Elle a encore tiré dans le mille ! », C’est lorsque, sans directives et sans contrôle, l'expiration, prise pour inspiration elle se mettait à vaincre des couches de matières mortes, à jaillir comme la flèche du Zen, seule consciente du but. Elle estimait qu'en tirant à l'aveuglette, il y a des chances pour que quelques balles atteignent la cible. On regrette que ces balles chanceuses soient des balles perdues, et que pour sauver certaines strophes il faille en abandonner d'autres. Sans doute se référait-elle à l'exemple torrentiel d’Hugo. C'est alors qu'il ne s'agissait plus de fleurs qui rêvent de finir dans des vases, ni de ce délire que la comtesse confondait avec le sublime. Brusquement, sa foudre invente de surprenantes audaces, sa flèche quitte l'arc, traverse des désordres, frôle la catastrophe et se plante dans la pomme, sur la tète du fils Tell.

http://www.jeancocteau.net/

346. Anna de Noailles par Edouard Herriot

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Elle fut, elle-même, un éblouissement suivent le titre qu’elle a donné à l'un de ses recueils. Nul être n'a jamais possédé plus largement le don de l'image, la maîtrise du verbe. [...] Son génie poétique a capté toutes les beautés du monde : la douceur argenté des matins, la splendeur de midi doré par son grand ami le soleil, la tendresse mélancolique des soirs. Mieux que nos plus illustres lyriques, Anna de Noailles sait exalter le moindre détail de la nature : la haie d’églantiers, les baies violettes du prunellier sauvage, le corail d'une épine vinette, un archipel de coquelicots écarlates, l'élan d'un roitelet. Elle a été le chantre du verger, du jardin débordant de germes et de sèves, unie de tout son amour aux créations les plus humbles. Et quand elle avait cessé d'écrire, lorsque, muets d’adoration nous écoutions sa parole se répandre, c'était non pas même de l’éloquence mais une musique, la phrase ingénument raffinée de Mozart ou, plus simplement, le chant éperdu d’un oiseau. […] Mais, pour que son esprit s’apaise, s’il ne se fixe, il lui faut autour de ce Paris qui l’a vue naître, la France, sa patrie décisive, son meilleur amour. Il lui faut le paradis d'Amphion et son allée de platanes, son toit incliné, son lac, sa tourelle enlacée de troènes. Il lui faut la Savoie, ses châtaigniers et ses automnes de cristal. Il lui faut l'Ile de France, le pays de Sylvie. C'est à ces horizons que se culture la rattache ; elle en discerne tous les secrets, la grâce courtoise, l'harmonie mesurée, les nuances. « Mon Ile de France », écrit-elle, et, pour l'y entourer, pour lui faire compagnie, elle évoque auprès d'elle, sans exclusion, tout ce qui fait la gloire de notre pays, de La Fontaine à Rousseau, de l'ancien Régime aux grandes révolutionnaires.
[...] La chère Anna de Noailles demeure pour nous le poète éclatant de la vie, de la vie dans toutes ses richesses, de la vie qui cherche partout un motif d'admirer. Marcel Proust qui a suivi sa carrière avec un enthousiasme passionné, qui voyait dans chacun de ses œuvres une branche toujours plus haute d’un même arbre, a loué cette universalité de son talent, Rien d'humain ne lui fut étranger. Sa bonté se traduit en pitié pour les faibles, pour les malheureux, et, à l'occasion, pour les coupables. Elle a connu la joie, les larmes, les sanglots, et suivant ses propres termes, "l'honneur de souffrir". Elle a aimé les héros. Courageuse, elle s'est montrée fidèle aux plus dangereuses amitiés. A tout moment, elle fut hantée par l'effroi de ne plus vivre. En ses derniers jours, elle dicte encore des poèmes. Elle s'est cabrée contre la mort. Je l'en loue pour ma part, la résignation est non pas une vertu mais un vice, une paresse, une lâcheté.

Edouard Herriot, de l'Académie française, janvier 1952

http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89douard_Herriot

345. Anna de Noailles par Emmanuel Berl

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Quand je l'ai connue, en effet, j'avais 17 ans et elle 35. Mais les années de gloire comptent double; la sienne était née avec l’exposition universelle, contemporaine du pont Alexandre III. 0n m'avait enseigné qu'elle était un poète de génie en même temps qu'on me l'enseignait de Vigny et de Lamartine. Elle concevait et me faisait imaginer la gloire comme un voile doré, pareil aux voiles blancs des premières communiantes et des mariées. L'éclat de ses yeux violets, de ses cheveux noir-corbeau, de son visage clair, de ses dents resplendissantes, je ne l'apercevais qu'à travers cette mousseline diaprée.
[...] Paris était encore assez petit et assez structuré pour qu'on puisse y être consacré, du jour au lendemain, grand poète, par un nombre assez restreint de personnes, mais qui suffisait. C'avait été le cas de Byron cent ans plus tôt, ç'avait été, avec « Le cœur innombrable » celui d'Anna de Noailles. Un tel phénomène serait impossible aujourd'hui où les moyens de diffusion, écrasants, ramènent à un commun dénominateur de notoriété les poétesses et les speakerines.
Mais la gloire effrayait davantage quand elle gardait son caractère initiatique : je n'aurais sans doute pas osé voir, entendre Mme de Noailles, m'asseoir au pied de ce lit dont elle faisait le trépied de la Pythie, si je n'avais dû ce privilège immérité à mon cousin Henri Franck, ou, plus exactement, à sa mémoire. Mme de Noailles l'avait beaucoup aimé, beaucoup pleuré : elle mesurait la tendresse sans limite et l'admiration éperdue que j'avais pour lui […]
Elle a dit son souci - constant - de plaire aux morts. Elle n'aurait certainement pas fait pour moi, si mon cousin avait vécu, ce qu'elle fit par révolte contre l'injuste frustration dont il lui paraissait victime. Je suis, après plus de cinquante années, confus qu'elle ait poussé envers moi la bonté jusqu'à vouloir que je l'accompagne à Munich entendre Wagner, à permettre que je la rejoigne à Lausanne, et même, à venir me chercher à Evian, pour m'emmener chez elle, à Amphion. Cette bienveillance m'inspire moins de gratitude encore que d'admiration pour sa générosité et pour sa piété.
[…] Je pense qu'elle croyait sincèrement n'avoir pas le droit de se taire. Il lui semblait qu'à travers elle passait quelque chose qu'elle avait à transmettre, non pas à contrôler, qu'elle ne pouvait retenir sans péché. Au début, quand je me figurais encore, avec une étrange naïveté, qu'il fallait répondre, si elle me questionnait, j'ai essayé de lui faire lire Fénelon, de lui rapporter qu'il disait d'une de ses pénitentes : « Comment voulez-vous que Dieu me parle, quand vous faites tant de bruit ? » Elle n'en croyait rien. Je me rappelle qu'à la mort de son ami Henri Gans, elle me montrait la chaise longue, posée entre son lit et sa fenêtre, et me disait : « Il venait là, il était fatigué, il s'étendait, il s'endormait. Et moi, je me taisais », comme si elle avait sacrifié, par un excès de tendresse, quelque chose d'analogue à la vertu, à la pudeur. Pourtant, elle disait aussi : « Dès que je me tais, les vers me viennent». De fait, son écriture de patineuse nouait ce que dénouaient ses discours. Mais elle qui eût trouvé scandaleux qu'on l'interrompe, trouvait tout simple qu'on interrompe son travail, préférant aux vers les plus beaux le jaillissement qui les produit. […]
Elle parlait pieusement de ses ancêtres grecs et à un juif, elle disait : « nos deux races antiques ». De la France, avec qui elle avait cru sceller un second mariage en épousant Mathieu de Noailles et, avec lui, les paysages nobles que son nom rassemble.[…] Sa piété n'apparaissait pas toujours sous les surcharges de brocarts et de brocards. « Ne prenez donc pas l'air infatué de la femme de ménage qui fait un extra dans une grande maison », lançait-elle soudain à une de ses amies qui venait de. faire un mariage riche. Et aussi, parce que Mme de Noailles était comtesse, et sa mère princesse, que son visage était charmant, qu'elle semblait et était, réellement, comblée. A Amphion, quand, le poing sous le menton, elle écoutait, immobile, Mme de Brancovan jouer Chopin, quand elle se posait, sur sa chaise longue, au jardin, comme une mouette noire, contemplait le lac, l'herbe, les fleurs - que, certainement, elle n'osait pas toucher - non qu'elle fût maladroite : parfois, elle faisait elle-même ses chapeaux et en était fière - mais parce qu'elle avait appris, et croyait, qu'on ne doit pas toucher les fleurs. Elle redevenait la petite fille sage, prodigieusement apte aux vénérations, qu'elle n'avait pas cessé d'être.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Emmanuel_Berl

344. Anna de Noailles par Colette

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Discours de réception de Madame Colette, successeur de la Comtesse de Noailles à l’Académie Royale de Belgique.
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Notre amitié ne fit pas grand bruit. Elle se forma assez tard, presque indépendante de l'admiration que je vouais à la comtesse de Noailles. Vous vous étonnerez peut-être de ne m'entendre, dans mon discours, ni la citer autant que l'envie m'en viendrait, ni ménager à son couvre ces moments de critique courtoise qui renforcent une louange éclairée. Ma part, je ne veux pas qu'elle soit de discuter un poète, d'assigner une dimension, une qualité, à des poèmes dont le moindre a capté pour toujours une parcelle merveilleuse du sensible univers, comme le bloc d'ambre préserve une aile éternelle de mouche, ou la délicate arborescence qui suggère la forêt in- connue. Découvrir, louer Madame de Noailles ?
[...] Je verrais autant d'impertinence à ceci qu'à cela ma part, que je choisis, est la meilleure, celle du peintre, celle d'un certain peintre. Anna de Noailles eut, comme les princes autrefois, ses peintres officiels, de qui la plume et le pinceau se vouèrent aux caractères évidents de sa personne et de son génie.
[...] En marge des effigies officielles, une souveraine rencontre toujours un peintre obscur mais épris, ébloui mais fidèle, qui traça pour lui-même un croquis ressemblait, inachevé, respectueux à la fois du modèle et de la vérité. Ce peintre oublieux du décorum, assez heureux pour avoir surpris en négligé son modèle, pour avoir pu noter la chevelure épandue, le ruban dénoué, la sandale tombée, ce bénéficiaire d'un moment d'abandon ou de frivolité, je voudrais que ce fût moi, je voudrais, comme il arrive, que l’esquisse fit autorité, que l'on vînt sur elle consulter le reflet authentique d'une chevelure morte, le pli du sourire, la ligne creuse qu'effaçaient sur commande les portraitistes d'apparat.
M'y prenant au rebours de ceux qui la célébrèrent, je ne dirai pas « Ce grand poète avait les yeux tour à tour éclatants et voilés, des traits fermement modelés qu'un front inoubliable couronnait, mais je dirai « Dotée d'un front plein de présages, d'un nez à la fine et dure attache orientale, de deux yeux profonds et vastes, Madame de Noailles était donc un grand poète».
Car nous n'échappons pas à notre enveloppe, et nous ne la trahissons qu'au prix de mille peines. Les portraits d'enfant de la princesse Anna de Brancovan attestent qu'elle naquit belle, qu'elle eut toujours des yeux resplendissants, si grands qu'ils débordaient un peu sur la tempe, des lacs d'yeux sans bornes, où buvaient tous les spectacles de l'univers. (http://www.centre-colette.com/)

343. Anna de Noailles par Jean Rostand


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Quand je rencontrai Madame de Noailles pour la première fois, je n'avais pas tout à fait vingt ans. J'avais lu, au hasard des anthologies, quelques-uns de ses poèmes. Lu assez distraitement, assez négligemment, comme pouvait le faire un jeune homme presque exclusivement voué aux choses de la science, et plus soucieux de scruter les réalités animales que de rendre justice aux imaginations humaines.
Et certes, comme tout le monde, j'avais été frappé par le somptueux lyrisme du poète, par son pittoresque neuf, par le rythme ardent de son style. Mais, à vrai dire, mon admiration était restée de surface. Il me paraissait que ce lyrisme, que cette beauté, que cette splendeur ne me concernaient point, qu'ils n'étaient pas à mon usage, qu'ils excédaient les moyens de mon goût, enfin qu'ils n'avaient rien à m'apporter comme aide ni comme enseignement. Aussi, avec l'indécente promptitude de la jeunesse, avais-je rangé la comtesse de Noailles parmi ces auteurs lointains à qui l'on songe avec respect, mais sans amour. Et pourtant, quelques années plus tard, la vie, très paradoxale, devait faire de moi, sans que je l'eusse cherché ni voulu, l'un des familiers d'Anna de Noailles. […] J'en suis encore à me demander par quel miracle elle tolérait, allait même jusqu'à solliciter, ma présence. J'en suis encore à me demander quel intérêt elle pouvait bien trouver à ce jeune sauvage qui, sortant de ses livres et de ses insectes, arrivé tout droit de la campagne basque, ignorait tout de la littérature, de la vie, de Paris et du monde, et n'avait à lui offrir, en retour de tant de trésors, qu'un humble silence émerveillé...
[...] Que dire de ces portraits qu'elle traçait en quelques phrases péremptoires, de ces caricatures lyriques où figuraient des termes de comparaison empruntés à tous les règnes de la nature, depuis le minéral jusqu'au mammifère, et dont telle était la force persuasive qu'on se trouvait à jamais empêché de voir le modèle autrement queue nous l'avait dépeint. [...] Bien avant les surréalistes, Anna de Noailles connaissait le secret des bizarres accouplements verbaux. Elle était plus intelligente, plus malicieuse que personne. Ce poète avait la sagacité psychologique d'un Marcel Proust, l'âpreté d'un Mirbeau, la cruelle netteté d'un Jules Renard.
[…] Incapable de se contrefaire, elle était sans relâche invinciblement et comme organiquement elle-même. Curieuse par générosité, elle traquait avidement la vérité dans les êtres, qu'elle forçait à livrer le peu qu'ils recelaient. A son don d'observation, rien n'échappait de ce qui, d'ordinaire, est réservé à des scrutateurs moins impétueux. D'un de ses regards d'aigle, elle avait tout embrassé, tout compris, tout jugé, jusqu'aux plus minces détails, et même ce qui n'était pas digne d'être perçu par elle.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Rostand

342. Anna de Noailles par Francis Jammes

***
A Anna de Noailles

Un jour tu vins me voir dans ce pays sauvage,
Et je devinai vite alors que c'était toi,
Car tes yeux pleins de nuit ravageaient ton visage
Pâle comme la lune, et versaient leur émoi.

Près des mêmes rosiers qui te tendaient leurs lèvres
S'étend le grand silence où tu me laisses seul.
Ce soir, le rossignol qui brûlait de tes fièvres
Mourra dans cette sphère opaque du tilleul.

Et moi, loin des amis pressés à ton cortège,
Moi jaloux du printemps qu'ils jetteront sur toi,
Je ne pourrai t'offrir que ces flocons de neige
Où passe un chant funèbre entonné par ma voix.

Mais bientôt je prendrai, comme on fait au village
Alors qu'on mène un deuil, lourde comme du plomb,
La croix dont le sommet parfois touche au feuillage,
La croix qui t'étonnait, ô fille d'Apollon

Et je la porterai, troussé dans cette cape
Dont ta bouche fermée a parlé si souvent,
Et que soulèvera l'orage qui s'échappe
D'un coeur qu'ont balayé l'injustice et le vent.

Et je la planterai, ma soeur, ma bien-aimée,
Sur le calvaire étroit dominant Hasparren,
Afin que par-delà les monts et la vallée
Sa douce ombre s'étende et te rejoigne au loin.

Francis Jammes, 01 Mai 1933, le lendemain de la mort de la Comtesse de Noailles.
http://www.universalis.fr/encyclopedie/T232020/JAMMES_F.htm
http://www.francis-jammes.com/

341. Anna de Noailles par ses contemporains.

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Dans les neufs messages qui suivent, je propose,
quelques témoignages sur la comtesse de Noailles,
rendus par ses contemporains, notamment au cours
des années qui ont suivi sa mort, le 30 avril 1933.
342. Francis Jammes.
343. Jean Rostand.
344. Colette.
345. Emmanuel Berl.
346. Edouard Herriot.
347. Jean Cocteau.
348. François Mauriac.
349. Charles Maurras.
350. Maurice Barrès.

11.07.2008

340. Anna de Noailles : "Une ïle"

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Quelquefois, quand le jour me cause trop de peine,
Je tourne mes regards vers une île lointaine,
Jardin géant, si haut, si puissant et si pur,
Qu'il semble être un ciel vert sous l'autre ciel d'azur ...
Que de brûlants parfums baigneraient mon visage !
Je ne pèserais pas à ce grand paysage,
J'éteindrais les palmiers et je vivrais contre eux
Comme une gomme d'or collée aux troncs rugueux.
A midi, quand le feu du soleil nous assaille,
Je me reposerais dans ma maison de paille ;
Sous des stores tressés par de charmants vanniers,
J'écouterais chanter les oiseaux prisonniers.
La nuit, jetant enfin l'éventail et les voiles,
Je boirais la fraîcheur de toutes les étoiles,
Et puis, sortant alors à pas lents et secrets,
Pour ne pas réveiller le chien, le perroquet,
Dans le vêtement bleu que portait Virginie,
J’irais dans la campagne assoupie, infinie,
Et je verrais, lueur, rayons, arômes mous,
Eclat par qui le coeur soudain s'élance et prie
Et croit mourir d'un choc si puissant et si doux,
L'aurore se lever sur la Vanillerie !

"Les Eblouissements"

339. Anna de Noailles : "La promesse".

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Vous qui n'avez pas vu les plus tendres juillets
Rayonner sur votre jeune âge,
Regardez dans mon coeur: des parterres d'œillets
Fleurissent près d'un bleu rivage.

Embarquez-vous ce soir sur mes yeux de cristal,
Glissez au pays de mon âme,
Où flots du désir triste et sentimental
Font une chanson qui se pâme.

Vous connaîtrez alors un beau plaisir, sucré
Comme les angéliques vertes,
Comme la rose en feu qui parfume le pré
De ses trente feuilles ouvertes.

Alors vous connaîtrez des instants doux et clairs
Comme des gouttes de miel rose,
Frais comme un paradis de sources, d'herbe et d'air,
Joyeux comme l'aurore éclose,

Car je possède en moi tous les pays de prix,
Et les azurs de la jeune Oise,
Et le coeur délicat, neigeux, rose et fleuri,
Des adolescentes Chinoises ...

"Les Eblouissements"

338. Anna de Noailles : "Nuit voluptueuse".

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Le Plaisir bondissait dans le jour d'ambre et d'or.
Voici la douce nuit plus complaisante encore ;
Son voile est odorant, ses parois sont moelleuses,
L'insecte va jaillir des herbes populeuses.
Le ciel est descendu, l'air est rapetissé ;
Les bruits qui ne sont pas de l'amour ont cessé ;
Tout s'accoste, tout court, se rejoint et s'enlace.
O voyage secret des choses dans l'espace !
Nuit fraîche de l'été ! Les oiseaux dans les airs
S'attirent d'un soupir plus vif que les éclairs;
Le désir est lui-même une aile, une fusée
Qui s'est partout levée et s'est partout posée;
Les effluves, les cris et les scintillements
Dans l'ombre langoureuse annoncent les amants.
Les larges papillons, à qui leurs couleurs pèsent,
Sur le sol libre et doux s'affaissent et se baisent.
Un train roule, orageux; ses sifflements soudains
Engouffrent des plaisirs brûlants dans les jardins.
Les lilas par l'odeur mêlent leurs tièdes moelles,
Et les phares des nuits répondent aux étoiles ...
"Les Eblouissements".

337. Anna de Noailles : "Nous étions de très petits enfants . . . "

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Nous étions de très petits enfants, heureux à Amphion en octobre. Ce mois de cristal est le plus beau qui soit au bord du Lac Léman. L’été finissant traîne ses caresses ensoleillées sur les prairies encore en fleurs et qui soupirent de satisfaction. Les oiseaux, pris de vertige, tournoient sans discernement, dans une confusion bleuâtre, se trompent d’élément, pénètrent les vagues, d’où ils rejaillissent, si bien qu’on croit voir une hirondelle qui nage ou une ablette ailée.

Je ne souhaite pas d'éternité plus douce
Que d'être le fraisier arrondi sur la mousse,
Dans vos taillis serrés où la pie en sifflant
Roule sous les sapins comme un fruit noir et blanc.
Dormir dans les osiers, près des flots de la Dranse
Où la truite glacée et fluide s'élance,
Hirondelle d'argent aux ailerons mouillés !
Dormir dans le sol vif et luisant où mes pieds
Dansaient aux jours légers de l'espoir et du rêve !
O mon pays divin, j'ai bu toute ta sève,
Je t'offre ce matin un brugnon rose et pur,
Une abeille engourdie au bord d'un lis d'azur,
Le songe universel que ma main tient et palpe,
Et mon coeur, odorant comme le miel des Alpes !

336. Anna de Noailles : "Le premier chagrin"

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Nous marchions en été dans la haute poussière
Des chemins blancs, bordés d’herbes et de saponaires.

Le descendant soleil se dénouait sur nous,
Je voyais tes cheveux, tes bras et tes genoux.

Un immense parfum de rêve et de tendresse
Était comme un rosier, qui fleurit et qui blesse.

Je soupirais souvent à cause de cela
Pour qu’un peu de mon âme en souffle s’en allât.

Le soir tombait, un soir si penchant et si triste,
C’était comme la fin de tout ce qui existe.

Je voyais bien que rien de moi ne t’occupait ;
Chez moi cette détresse et chez toi cette paix !

Je sentais, comprenant que ma peine était vaine,
Quelque chose finir et mourir dans mes veines,

Et comme les enfants gardent leur gravité,
Je te parlais, avec cette plaie au côté…

J’écartais les rameaux épineux au passage,
Pour qu’ils ne vinssent pas déchirer ton visage;

Nous allions, je souffrais du froid de tes doigts nus,
Et quand, finalement, le soir était venu,

J’entendais, sans rien voir sur la route suivie,
Tes pas trembler en moi et marcher sur ma vie.

Nous revenions ainsi au jardin bruissant,
L’humidité coulait, j’écoutais en passant

Ah ! comme ce bruit-là persiste en ma mémoire !
Dans l’air mouvant et chaud, grincer la balançoire

Et je rentrais alors, ivre du temps d’été,
Lasse de tout cela, morte d’avoir été,

Moi, le garçon hardi et vif, et toi, la femme,
Et de t’avoir porté tout le jour sur mon âme…

335. Anna de Noailles : "L'Ombre des jours"

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Portrait d'Anna de Noailles par Forain

Le vent qui fait tomber les prunes,
Les coings verts,
Qui fait vaciller la lune,
Le vent qui mène la mer,

Le vent qui rompt et qui saccage,
Le vent froid,
Qu’il vienne et qu’il fasse rage
Sur mon coeur en désarroi !

[...] Ah ! qu’elle vienne la tempête
Bond par bond,
Qu’elle prenne dans ma tête
Ma douleur qui tourne en rond.

Ah! qu’elle vienne, et qu’elle emporte
Se sauvant,
Mon coeur lourd comme une porte
Qui s’ouvre et bat dans le vent.

Qu’elle l’emporte et qu’elle en jette
Les morceaux
Vers la lune, à l’arbre, aux bêtes,
Dans l’air, dans l’ombre, dans l’eau,

Pour que plus rien ne me revienne
A jamais,
De mon âme et de la sienne
Que j’aimais...

*****************************
[...] Un pied de roses et de vigne
Fournit de feuilles les maisons,
Où le soir la lumière cligne
Aux fenêtres en floraison.
Dans les parcs, les miroirs du sable
Reflètent l’ombre du sapin ;
La pelouse est comme une fable
Avec sa pie et ses lapins.

[...] Les rivières avaient leurs tanches,
La plaine humide le héron,
Comme aujourd’hui où le jour penche
Son soleil sur les arbres ronds.

Ce soir, cette basse colline
Bleuit au crépuscule long,
Comme quand le petit Racine
Jouait à la Ferté-Milon.

Ô beaux pays d’ordre et de joie,
Vous ne déchiriez pas le cœur
Comme à présent où l’homme ploie
Sous votre ardeur et votre odeur.

Quand Fénelon au temps champêtre
Marchait dans le soir parfumé,
Portant déjà la langueur d’être
Un jour malgré soi-même aimé ;

La lune, le hêtre immobile,
L’eau grave, l’if silencieux,
Entraient dans son rêve tranquille
Et formaient la face de Dieu.

Et quand, après des pleurs de rage,
Les amants entraient au couvent,
Les étangs et les beaux ombrages
Les consolaient des yeux vivants.

Car dans ce temps, haute et paisible,
La Nature, ses bois, ses eaux,
N’avaient pas cette âme sensible
Qui plus tard fit pleurer Rousseau…

"L'Ombre des Jours" 1902.

334. Anna de Noailles : "L'image"

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Pauvre faune qui va mourir
Reflète-moi dans tes prunelles
Et fais danser mon souvenir
Entre les ombres éternelles.

Va, et dis à ces morts pensifs
A qui mes jeux auraient su plaire
Que je rêve d'eux sous les ifs
Où je passe petite et claire.

Tu leur diras l'air de mon front
Et ses bandelettes de laine,
Ma bouche étroite et mes doigts ronds
Qui sentent l'herbe et le troène,

Tu diras mes gestes légers
Qui se déplacent comme l'ombre
Que balancent dans les vergers
Les feuilles vives et sans nombre.

Tu leur diras que j'ai souvent
Les paupières lasses et lentes
Qu'au soir je danse et que le vent
Dérange ma robe traînante.

Tu leur diras que je m'endors
Mes bras nus pliés sous ma tête,
Que ma chair est comme de l'or
Autour des veines violettes.

Dis-leur comme ils sont doux à voir
Mes cheveux bleus comme des prunes,
Mes pieds pareils à des miroirs
Et mes deux yeux couleur de lune,

Et dis-leur que dans les soirs lourds,
Couchée au bord frais des fontaines,
J'eus le désir de leurs amours
Et j'ai pressé leurs ombres vaines...

Illustration : Anna de Noailles lit un poème à Radio Paris,
le 22 novembre 1922

333. Anna de Noailles : "Ainsi les jours légers . . . "

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Ainsi les jours légers, et qui te ressemblaient
Par la coloration chaleureuse des heures,
Ont de toi fait un mort, la nuit, dans ta demeure,
Et l'aube, lentement, a blanchi tes volets...

Et tu fus là, dormant, à jamais insensible,
Laissant monter sur ceux que tu privais de toi
Ces grands fardeaux du temps aux contours inflexibles;
J'ai l'âge de ce jour ou je t'ai vu sans voix:

Sans regard et sans voix, achevant ma jeunesse
Par ce spectacle affreux de faiblesse et de paix,
Que mes yeux arrêtés puisaient avec détresse
Sur ton front assombri, si pauvre et si parfait.

Les fleurs, entre tes mains et contre ton doux être,
Parfumaient froidement ton éternel répit;
Jamais je ne verrai l'été sans reconnaître
Ce jardin qui mourait sur ton coeur assoupi !

Et tu n'étais plus là, malgré ton fin visage,
Le dernier de toi-même et qui me plaît le plus;
O visage accablé, suprême paysage
D'un jour de fin du monde, et qu'on ne verra plus !

Les vivants ont repris leurs errantes coutumes;
Ils sont un autre peuple, et tu ne peux toujours
Hanter de ta suave et poétique brume
Ces malheureux, guidés par d'alertes amours.

Mais leur vague existence est par l'ombre absorbée,
Ils meurent chaque jour, sans enfoncer en nous
Ces pointes du malheur, que ta main dérobée
Fixe encore dans mon coeur comme de sombres clous...

332. Anna de Noailles : "Exaltation".

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Le goût de l'héroïque et du passionnel
Qui flotte autour des corps, des sons, des foules vives,
Touche avec la brûlure et la saveur du sel
Mon coeur tumultueux et mon âme excessive...

Loin des simples travaux et des soucis amers,
J'aspire hardiment la chaude violence
Qui souffle avec le bruit et l'odeur de la mer,
Je suis l'air matinal d'où s'enfuit le silence;

L'aurore qui renaît dans l'éblouissement,
La nature, le bois, les houles de la rue
M'emplissent de leurs cris et de leurs mouvements;
Je suis comme une voile où la brise se rue.

Ah! vivre ainsi les jours qui mènent au tombeau,
Avoir le coeur gonflé comme le fruit qu'on presse
Et qui laisse couler son arôme et son eau,
Loger l'espoir fécond et la claire allégresse !

Serrer entre ses bras le monde et ses désirs
Comme un enfant qui tient une bête retorse,
Et qui mordu, saignant, est ivre du plaisir
De sentir contre soi sa chaleur et sa force.

Accoutumer ses yeux, son vouloir et ses mains
A tenter le bonheur que le risque accompagne;
Habiter le sommet des sentiments humains
Où l'air est âpre et vif comme sur la montagne,

Être ainsi que la lune et le soleil levant
Les hôtes du jour d'or et de la nuit limpide;
Être le bois touffu qui lutte dans le vent
Et les flots écumeux que l'ouragan dévide !

La joie et la douleur sont de grands compagnons,
Mon âme qui contient leurs battements farouches
Est comme une pelouse où marchent des lions...
J'ai le goût de l'azur et du vent dans la bouche.

Et c'est aussi l'extase et la pleine vigueur
Que de mourir un soir, vivace, inassouvie,
Lorsque le désir est plus large que le coeur
Et le plaisir plus rude et plus fort que la vie...

331. Anna de Noailles : "Syracuse" (extraits)

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"Excite maintenant les compagnons du choeur
à célébrer l'illustre Syracuse ! " (Pindare).

Je me souviens d'un chant du coq, à Syracuse !
Le matin s'éveillait, tempétueux et chaud;
La mer, que parcourait un vent large et dispos,
Dansait, ivre de force et de lumière infuse !

Sur le port, assailli par les flots aveuglants,
Des matelots clouaient des tonneaux et des caisses,
Et le bruit des marteaux montait dans la fournaise
Du jour, de tous ces jours glorieux, vains et lents;

J'étais triste. La ville illustre et misérable
Semblait un Prométhée sur le roc attaché;
Dans le grésillement marmoréen du sable
Piétinaient les troupeaux qui sortaient des étables;
Et, comme un crissement de métal ébréché,
Des cigales mordaient un blé blanc et séché.

Les persiennes semblaient à jamais retombées
Sur le large vitrail des palais somnolents;
Les balcons espagnols accrochaient aux murs blancs
Broyés par le soleil, leurs ferrures bombées :
Noirs cadenas scellés au granit pantelant...

Dans le musée, mordu ainsi qu'un coquillage
Par la ruse marine et la clarté de l'air,
Des bustes sommeillaient, dolents, calmes visages,
Qui s'imprègnent encor, par l'éclatant vitrage,
De la vigueur saline et du limpide éther.

Une craie enflammée enveloppait les arbres;
Les torrents secs n'étaient que des ravins épars,
De vifs géraniums, déchirant le regard,
Roulaient leurs pourpres flots dans ces blancheurs de marbre.
Je sentais s'insérer et brûler dans mes yeux
Cet éclat forcené, inhumain et pierreux.

[...] Parfois sur les gazons brûlés, le pourpre épi
Des trèfles incarnats, le lin, les scabieuses,
Jonchaient par écheveaux la plaine soleilleuse,
Et l'herbage luisait comme un vivant tapis
Que n'ont pas achevé les frivoles tisseuses.

Le théâtre des Grecs, cirque torride et blond,
Gisait. Sous un mûrier, une auberge voisine
Vendait de l'eau : je vis, dans l'étroite cuisine,
Les olives s'ouvrir sous les coups du pilon
Tandis qu'on recueillait l'huile odorante et fine.

Et puis vint le doux soir. Les feuilles des figuiers
Caressaient, doigts légers, les murailles bleuâtres.
D'humbles, graves passants s'interpellaient; les pieds
Des chevreaux au poil blanc, serrés autour du pâtre,
Faisaient monter du sol une poudre d'albâtre.

Un calme inattendu, comme un plus pur climat,
Ne laissait percevoir que le chant des colombes.
Au port, de verts fanaux s'allumaient sur les mâts,
Et l'instant semblait fier, comme après les combats
Un nom chargé d'honneur sur une jeune tombe.

C'était l'heure où tout luit et murmure plus bas...

La fontaine Aréthuse, enclose d'un grillage,
Et portant sans orgueil un renom fabuleux,
Faisait un bruit léger de pleurs et de feuillage
Dans les frais papyrus, élancés et moelleux...

Enfin ce fut la nuit, nuit qui toujours étonne
Par l'insistante angoisse et la muette ardeur.
La lune plongeait, telle une blanche colonne,
Dans la rade aux flots noirs, sa brillante liqueur.

Un solitaire ennui aux astres se raconte;
Je contemplais le globe au front mystérieux,
Et qui, ruine auguste et calme dans les cieux,
Semble un fragment divin, retiré, radieux,
De vos temples, Géla, Ségeste, Sélinonte !

O nuit de Syracuse: Urne aux flancs arrondis !
Logique de Platon ! Âme de Pythagore !
Ancien Testament des Hellènes; amphore
Qui verses dans les coeurs un vin sombre et hardi,
Je sais bien les secrets que ton ombre m'a dits.

[...] Ainsi ma nuit passait. L'ache, l'ânet crépu
Répandaient leurs senteurs. Je regardais la rade;
La paix régnait partout où courut Alcibiade,
Mais, noble obsession des âges révolus,
L'éther semblait empli de ce qui n'était plus...

J'entendis sonner l'heure au noir couvent des Carmes.
L'espace regorgeait d'un parfum d'orangers.
J'écoutais dans les airs un vague appel aux armes...
Et le pouvoir des nuits se mit à propager
L'amoureuse espérance et ses divins dangers :

O désir du désir, du hasard et des larmes !

330. Anna de Noailles : "Les journées romaines"

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L'éther pris de vertige et de fureur tournoie,
Un luisant diamant de tant d'azur s'extrait.
Virant, psalmodiant, le vent divise et ploie
La pointe faible des cyprès.

C'est en vain que les eaux écumeuses et blanches,
Captives tout en pleurs des lourds bassins romains,
S'élèvent bruyamment, s'ébattent et s'épanchent:
Neptune les tient dans sa main.

Je contemple la rage impuissante des ondes;
Dans cette vague éparse en la jaune cité,
C'est vous qu'on voit jaillir, conductrice des mondes,
Amère et douce Aphrodité !

L'odeur de la chaleur, languissante et créole,
Stagne entre les maisons qui gonflent de soleil;
Comme un coureur ailé le ciel bifurque et vole
Au bord tranchant des toits vermeils;

Et là-bas, sous l'azur qui toujours se dévide,
Un jet d'eau, turbulent et lassé tour à tour,
Semble un flambeau d'argent, une torche liquide
Qu'agite le poing de L'Amour.

Rome ploie, accablé de grappes odorantes,
La surhumaine vie envahit l'air ancien,
Les chapiteaux brisés font fleurir leurs acanthes
Aux thermes de Dioclétien !

Dans ce cloître pâmé, des bacchantes blêmies
Gisent; silence, azur, léthargiques dédains!
Le soleil tombe en feu sur la gorge endormie
De ces Danaés des jardins...

Ils dorment là, liés par les roses païennes,
Ces corps de marbre blond, las et voluptueux:
O mes soeurs du ciel grec, chères Milésiennes,
Que de siècles sont sur vos yeux !

L'une d'elles voudrait se dégager; sa hanche
Soulève le sommeil ainsi qu'un flot trop lourd,
Mais tout le poids des temps et de l'azur la penche:
Elle rêve là pour toujours.

Midi luit; la villa des chevaliers de Malte
Choit comme une danseuse aux pieds brûlants et las.
Comme un fauve tigré l'air jaunit et s'exalte;
Une nymphe en pierre vit là.

Elle a les bras cassés, mais sa force éternelle
Empourpre de plaisir ses genoux triomphants;
Le néflier embaume, un jet d'eau est, près d'elle,
Secoué d'un rire d'enfant.

Les dieux n'ont pas quitté la campagne romaine,
Euterpe aux blonds pipeaux, Erato qui sourit,
Dansent dans le jardin Mattei, où se promène
Le saint Philippe de Néri.

Mais c'est vous qui, ce soir, partagez mon malaise,
Dans l'église sans voix, au mur pâle et glacé,
Déesse catholique, ô ma sainte Thérèse,
Qui soupirez, les yeux baissés !

Malgré vos airs royaux, et la fierté divine
Dont s'enveloppe encor votre coeur emporté,
L'angoisse de vos traits permet que l'on devine
Votre douce mendicité.

O visage altéré par l'ardente torture
D'attendre le bonheur qui descend lentement,
Appel mystérieux, hymne de la nature,
Désir de l'immortel amant !

Je vous offre aujourd'hui, parmi l'encens des prêtres,
Comme un grain plus brûlant mis dans vos encensoirs,
Le rire que j'entends au bas de la fenêtre
Où je rêve seule le soir;

C'est le rire joyeux, épouvanté, timide
De deux enfants heureux, éperdus, inquiets,
Qui joignent leurs regards et leurs lèvres avides,
Et dont tout le sanglot riait !

Ils riaient, il étaient effrayés l'un de l'autre;
Un jet d'eau s'effritait dans le lointain bassin;
La lune blanchissait, de sa clarté d'apôtre,
La terrasse des Capucins.

Une palme portait le poids mélancolique
De l'éther sans zéphyr, sans rosée et sans bruit;
Rien ne venait briser son attente pudique,
Que ce rire aigu dans la nuit !

Et je n'entendis plus que ce rire nocturne,
Plus fort que les senteurs des terrasses de miel,
Plus vif que le sursaut des sources dans leur urne,
Plus clair que les astres au ciel.

Je le prends dans mes mains, chaudes comme la lave,
Je le mêle aux élans de mon éternité,
Ce rire des humains, si farouche et si grave,
Qui prélude à la volupté !

"Les vivants et les morts" (1913)

329. Anna de Noailles : "Le Verger" (extraits)

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Dans le jardin, sucré d’œillets et d’aromates,
Lorsque l’aube a mouillé le serpolet touffu,
Et que les lourds frelons, suspendus aux tomates,
Chancellent, de rosée et de sève pourvus,

Je viendrai, sous l’azur et la brume flottante,
Ivre du temps vivace et du jour retrouvé ;
Mon cœur se dressera comme le coq qui chante
Insatiablement vers le soleil levé.

L’air chaud sera laiteux sur toute la verdure,
Sur l’effort généreux et prudent des semis,
Sur la salade vive et le buis des bordures,
Sur la cosse qui gonfle et qui s’ouvre à demi ;

La terre labourée où mûrissent les graines
Ondulera, joyeuse et douce, à petits flots,
Heureuse de sentir dans sa chair souterraine
Le destin de la vigne et du froment enclos.

Des brugnons roussiront sur leurs feuilles, collées
Au mur où le soleil s’écrase chaudement ;
La lumière emplira les étroites allées
Sur qui l’ombre des fleurs est comme un vêtement.

Un goût d’éclosion et de choses juteuses
Montera de la courge humide et du melon,
Midi fera flamber l’herbe silencieuse,
Le jour sera tranquille, inépuisable et long.

Et la maison, avec sa toiture d’ardoises,
Laissant sa porte sombre et ses volets ouverts,
Respirera l’odeur des coings et des framboises
Éparse lourdement autour des buissons verts ;

[...] Je serai libre enfin de crainte et d’amertume,
Lasse comme un jardin sur lequel il a plu,
Calme comme l’étang qui luit dans l’aube et fume,
Je ne souffrirai plus, je ne penserai plus,

Je ne saurai plus rien des choses de ce monde,
Des peines de ma vie et de ma nation,
J’écouterai chanter dans mon âme profonde
L’harmonieuse paix des germinations.

Je n’aurai pas d’orgueil, et je serai pareille,
Dans ma candeur nouvelle et ma simplicité,
À mon frère le pampre et ma sœur la groseille
Qui sont la jouissance aimable de l’été ;

Je serai si sensible et si jointe à la terre
Que je pourrai penser avoir connu la mort,
Et me mêler, vivante, au reposant mystère
Qui nourrit et fleurit les plantes par les corps.

Et ce sera très bon et très juste de croire
Que mes yeux ondoyants sont à ce lin pareils,
Et que mon cœur, ardent et lourd, est cette poire
Qui mûrit doucement sa pelure au soleil...

Le Coeur Innombrable (1901)

328. Anna de Noailles : "L'ile des folies à Venise" (extraits).

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La lagune a le dense éclat du jade vert.
Le noir allongement incliné des gondoles
Passe sur cette eau glauque, et sous le ciel couvert.
Ce rose bâtiment, c'est la maison des folles.

[...] Ce soir mélancolique où les cieux sont troublés,
Où l'air appesanti couve son noir orage,
J'entends ces voix d'amour et ces coeurs exilés
Secouer la fureur de leurs mille mirages !

Le vent qui fait tourner les algues dans les flots
Et m'apporte l'odeur des nuits de Dalmatie,
Guide jusqu'à mon coeur ces suprêmes sanglots.
O folie, ô sublime et sombre poésie !

Le rire, les torrents, la tempête, les cris
S'échappent de ces corps que trouble un noir mystère.
Quelle huile adoucirait vos torrides esprits,
Bacchantes de l'étroite et démente Cythère ?

Cet automne, où l'angoisse, où la langueur m'étreint,
Un secret désespoir à tant d'ardeur me lie;
Déesse sans repos, sans limites, sans frein,
Je vous vénère, active et divine Folie !

Pleureuses des beaux soirs voisins de l'Orient,
Déchirez vos cheveux, égratignez vos joues.
Pour tous les insensés qui marchent en riant,
Pour l'amante qui chante, et pour l'enfant qui joue.

[...] Nous rôdons, nous vivons; seuls nos profonds regards,
Qui d'un vin ténébreux et mortel semblent ivres,
Dénoncent par l'éclat de leurs rêves hagards
L'effroyable épouvante où nous sommes de vivre.

Par quelle extravagante et morne pauvreté,
Par quel abaissement du courage et du rêve
L'esprit conserve-t-il sa chétive clarté
Quand tout l'être éperdu dans l'abîme s'achève ?

[...] Se pourrait-il vraiment que le courage humain,
Sans se rompre, accueillît l'ouragan des supplices ?
Douleur, coupe d'amour plus large que les mains,
Avoir un faible coeur, et qu'un Dieu le remplisse !

Amazones en deuil, qui ne pouvez saisir
L'ineffable langueur éparse sur les mondes,
Sanglotez ! A vos cris de l'éternel désir,
Des bords de l'infini les amants vous répondent...

"Les vivants et les morts" (1913)

327. Anna de Noailles : "Chant Dionysien".

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C'est un brusque, un brûlant, un éclatant émoi !
Je porte l'univers et ses bonheurs en moi.
Tout ce qui dans la vie amoureuse nous tente,
Les soirs d'Aranjuez, les matins d'Alicante,
Carthagène enfiévré d'un ciel toujours égal,
Un chemin de rosiers dans le vieux Portugal,
Les îles, où l'on voit à la fenêtre ouverte
Pendre l'âpre orchidée et la vanille verte,
Etourdissent mes yeux et mettent dans mon coeur
Leur flamme, leurs soupirs, leur force et leur odeur ...

Mais le jour est plus large et plus divin encore.
Je regarde, l'été s'élance, c'est l'aurore !
Le soleil dans les cieux éparpille son blé,
Les coteaux semblent faits d'azur amoncelé,
La terre est une ardente et joyeuse bacchante;
Sur le sol rose et brun, la feuille de l'acanthe
Etend la pureté de son dessin vivant.

Le parfum pour monter prend les ailes du vent,
La guêpe fait pencher le bord blanc des corolles,
L'air enlace à mon cou ses douces banderoles,
L'univers s'abandonne et veut être porté
Par les bras azurés et tendres de l'été ...
Ah ! quelle immense joie en cet instant m'enivre.
Vivre! chanter la gloire et le plaisir de vivre !
Et puisqu'on n'entend plus, ô mon Bacchus voilé,
Frissonner ton sanglot et ton désir ailé,
Puisque au moment luisant des chaudes promenades
On ne voit plus jouer les bruyantes Ménades,
Puisque nul coeur païen ne dit suffisamment
La splendeur des flots bleus pressés au firmament,
Puisqu'il semble que l'âpre et l'énervante lyre
Ait cessé sa folie, ait cessé son délire,
Puisque dans les forêts jamais ne se répand
L'appel rauque, touffu, farouche du dieu Pan,

Ah ! qu'il monte de moi, dans le matin unique,
Ce cri brûlant, joyeux, épouvanté, hardi,
Plus fort que le plaisir, plus fort que la musique,
Et qu'un instant l'espace en demeure étourdi! ...

Les Eblouissements, page 90

http://fr.wikipedia.org/wiki/Dionysos_(mythologie)

11.06.2008

326. Anna de Noailles : "Ô lumineux matin".

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Ô lumineux matin, jeunesse des journées,
Matin d'or, bourdonnant et vif comme un frelon,
Qui piques chaudement la nature, étonnée
De te revoir après un temps de nuit si long.

Matin, fête de l'herbe et des bonnes rosées,
Rire du vent agile, œil du jour curieux,
Qui regardes les fleurs, par la nuit reposées,
Dans les buissons luisants s'ouvrir comme des yeux.

Heure de bel espoir qui s'ébat dans l'air vierge
Emmêlant les vapeurs, les souffles, les rayons,
Où les coteaux herbeux, d'où l'aube blanche émerge,
Sous les trèfles touffus font chanter leurs grillons.

Belle heure, où tout mouillé d'avoir bu l'eau vivante,
Le frissonnant soleil que la mer a baigné
Éveille brusquement dans les branches mouvantes
Le piaillement joyeux des oiseaux matiniers.

Instant salubre et clair, ô fraîche renaissance,
Gai divertissement des guêpes sur le thym,
Tu écartes la mort, les ombres, le silence,
L'orage, la fatigue et la peur, cher matin...

Le coeur innombrable

325. Anna de Noailles : "Vous que jamais rien ne délie".

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Vous que jamais rien ne délie,
Ô ma pauvre âme dans mon corps,
Pourrez-vous, ma mélancolie,
Ayant bu le vin et la lie,
Connaître la bonne folie
De l'éternel repos des morts ?

Vous si vivace et si profonde,
Ame de rêve et de transport,
Qui pareille à la terre ronde
Portez tous les désirs du monde,
Buveuse de l'air et de l'onde
Pourrez-vous entrer dans ce port ?

Dans le port de calme sagesse,
Des ténèbres et de sommeil,
Où ni l'amour ni la détresse
N'étirent la tiède paresse,
Et ne font, mon âme faunesse,
siffler les flèches du soleil !

L'Ombre des Jours. 177 -8.

La tombe d'Anna de Noailles, au cimetière du Père Lachaise à Paris

Source : http://www.latribunedelart.com/Etudes/Etudes_2006/Bibesco_102.htm

324. Anna de Noailles : sélection de poèmes

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A partir du message 325 et jusqu'au message 340, je propose une nouvelle sélection de 16 poèmes extraits de l'oeuvre d'Anna de Noailles. Leur thème n'a pas forcément de lien direct avec le lac, les paysages du Chablais, les environs d'Amphion ou d'Evian mais ils permettent d'illuster les sources lémaniques de son inspiration qu'évoque Louis Perche :

"Anna de Noailles enfant vécut à Paris, où ses parents s'étaient établis peu après sa naissance; ils y avaient constitué une salle des aïeux où la petite fille n'avait qu'à ouvrir les yeux pour y retrouver l'Orient éclatant et tumultueux, le culte de la puissance et de la grandeur. Imaginons une fillette précocement sensible, grandissant dans le souvenir d'ancêtres prestigieux que savait magnifier la voix du prince Grégoire Bassaraba de Brancovan. Cette voix au timbre auto­ritaire, il lui arrivait parfois de s'arrêter à la poésie en décla­mant quelques vers classiques. Imaginons la petite Anna déjà pénétrée de la cadence poétique tandis que, pour entendre son père, elle descend l'escalier paré de lourds tapis rouges et s'attarde dans le salon aux sièges dorés [...] Voilà l'en­fant sur le seuil du merveilleux. Pourtant, nous confie·t-elle dans "Le livre de ma vie", le riche décor de cette demeure la "désolait de mélancolie. Tout n'était que pierre écrasante à mon cœur oppressé ... Je n'aimais donc pas l'avenue Hoche, vaste et claire, ni l'hôtel au portail blond et verni qui s'ouvrait sur la voûte sonore où nous nous arrêtions pour prendre le chemin des appartements ... Mais c'est là, pourtant, que je reçus toutes les leçons de ma petite vie, car, dans le jardin du lac Léman, je n'écoutais que les voix de l'univers ».
La nature, c'est vrai, lui avait parlé très tôt, sur les bords du lac de Genève, en même temps que l'histoire. C'est ce qu'elle explique encore dans "Le livre de ma vie": "Le lac Léman m'apportait tout, depuis ce nom d'Amphion, donné par un lointain hasard de terroir à notre rive et à notre demeure. Mon père, au moment de son mariage, avait acquis le chalet élégant, entouré d'orangers en caisse au parfum ineffable, et le jardin bien dessiné, empiétant sur le lac, que possédait le comte Walewski".

* * * * * * *

340. Une île.
339. La promesse.
338. Nuit voluptueuse.
337. Nous étions de très petite enfants .....
336. Le premier chagrin.
335. L'ombre des jours.
334. L'image.
333. Ainsi les jours légers .....
332. Exhaltation
331. Syracuse
330. Les journées romaines.
329. Le verger.
328. L'île des folles à Venise.
327. Chant Dyonisien.
326. Ô lumineux matin.
325. Vous que jamais rien ....