3.13.2007

62. Pour mieux connaître Anna de Noailles 3/3

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Madame Claude MIGNOT-OGLIASTRI est professeur émérite de l'Université de Montpellier
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Présentation de l'ouvrage, publié aux Editions Méridiens KLINCKSIECK. ISBN 2-86563-150-8
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Anna de Noail­les nous introduit au cœur de l'époque 1900, dont elle fut un phare. Pour ses contemporains, déçus par l'illusion scientiste, insatisfaits du symbolisme quintessencié, de son refus du monde extérieur, du pessimisme de l'esprit fin­de-siècle ou de la petite musique douce-amère des Décadents, sa poésie répon­dait à une attente: un naturisme frémissant et sincère, une soif de vie inapai­sée, un goût du verbe qui renouât avec la tradition populaire du romantisme. J'espère ramener les lecteurs vers cette œuvre savoureuse et originale en ressuscitant ici la jeune fille poète, la militante de l'affaire Dreyfus, la femme exaltée et souffrante.
Mettre ce livre sous le patronage de la princesse de Polignac et de sa géné­reuse Fondation, c'est le mettre sous l'égide de la musique, sans laquelle on ne saurait comprendre la figure et l'œuvre d'Anna de Noailles. Le prince et la princesse Edmond de Polignac, qui parmi les premiers encouragèrent les poè­mes de l'adolescente. [...] Dès ses jeunes années, vers et prose furent d'abord pour elle une musique qui jaillissait de son corps vibrant et réceptif: « J'ai vécu au son de ma voix. » Et à sa mère mourante elle dira: « Je suis issue toute entière du bois de ton piano. » Cette imprégna­tion subtile va beaucoup plus loin que la musicalité des strophes et des phra­ses. C'est, dès l'enfance, une appropriation hardie de l'espace par le langage.

61. Pour mieux connaître Anna de Noailles 2/3

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Angela Bargenda est née le 18 avril 1964 à Esslingen en Allemagne. Titulaire d'un Deug en Lettres et Arts, d'une maîtrise de Lettres Modernes et d'une maîtrise d'Allemand (à l'Université de Paris, Sorbonne) elle devient professeur de français en Caroline du Nord en 1990, donne de nombreuses conférences et écrit pour des journaux américains. Depuis 1991, elle vit à New York où elle a obtenu son doctorat à la City University of New York. Elle enseigne actuellement dans le Département des Langues Etrangères à la Trinity School.
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Anna de Noailles, le plus célèbre poète-femme du Paris « fin de siècle», couronnée par l'Académie française, membre de l'Académie Royale de langue et de littérature françaises de Belgique, première femme à recevoir la cravate de Commandeur de la Légion d'Honneur, est pratiquement inconnue du lecteur contemporain. En faisant revivre cette voix lyrique, Angela Bargenda nous présente un univers poétique qui fut l'un des plus fascinants et des plus riches de son époque. Nous suivons un itinéraire qui va de la psychologie de la création à la structure profonde du texte. [...] La géographie imaginaire d'Anna de Noailles mène sur les rives lointaines de la Turquie et de la Perse, décors fabuleux de ses pièces orientales. Lieu d'attraction et d'inspiration de toute une génération artistique, ce poète exerça une influence majeure sur Barrès, Cocteau, Proust et Colette. C'est à travers les traductions en allemand de Rainer Maria Rilke qu'elle reçoit une réputation européenne qui fait d'elle une figure-clé de la scène littéraire de son temps.

60. Pour mieux connaître Anna de Noailles 1/3

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Il n'aurait point déplu à Anna de Noailles de voir confon­dus en une seule expression ces termes : histoire, légende et poésie. Car, encore plus qu'aux réalités concrètes~ plus qu'aux catégories établies jusqu'à l'arbitraire par les logiciens, elle croyait aux mots comme à un moyen de poursuivre les réalités mouvantes où, comme le remarquait Victor Hugo prêtant l'oreille à la parole de la bouche d'ombre, « les choses et l'être ont un grand dialogue ».
Un dialogue sans limites, qui n'aboutit pas, qui ne peut pas aboutir à une définition im­muable : rien, en effet, de ce qui existe dans l'univers n'arri­vera jamais à être tout à fait atteint. Un dialogue qui per­pétue la quête du vrai à travers le possible. Un dialogue qui est la meilleure et la pire des choses, puisqu'il permet la commu­nication des esprits, et il s'ingénie à ne point découvrir de point final puisque tout aboutit à une recherche de ce qui dépasse l'homme.
L'aventure du langage à travers les siècles n'a pu que servir à des approches d'un mystère semé d'embûches, de Sophocle et de Virgile à Racine et à Pascal, de Victor Hugo, Nerval, de Baudelaire à Rimbaud, à Mallarmé et aux surréalistes, enfants terribles du désespoir anarchiste de ne rien vouloir savoir quand on tente de dire. (Extrait de l'introduction de l'ouvrage de Louis PERCHE)

59. Emmanuel Berl : "Cimetière". 3/3.

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En 1913, Anna de Noailles devait pousser la gentillesse jusqu’à me chercher en voiture à Evian, pour me mener à Amphion. J'étais ému de la voir dans le beau jardin qu’elle avait tant chanté. Elle m'y a présenté à sa mère, et j'ai eu la grande joie d'entendre Mme de Brancovan jouer au piano Schubert et Chopin. Sans effort apparent, elle m'émouvait plus que n'avait pu faire le plus grand orchestre de Munich. Je n'ai pas entendu Paderewski qui logeait face à Amphion, à Morges, mais je ne pense pas qu'il ait pu être plus touchant que ne l'était Madame de Brancovan dans ses morceaux préférés.
Devant elle, dans son jardin, Anna de Noailles redevenait par instants la petite fille avec laquelle j'aurais pu parler sans être intimidé. Mais bientôt l'éloquence reprenait son jaillissement et faisait refleurir mon angoisse de mal comprendre, de mal répondre, de ne pas me rappeler ses formules décisives et fugaces. (Cimetière)
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Montage de portraits d'Anna de Noailles (archives de l'auteur)

58. Emmanuel Berl : "Cimetière". 2/3.

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L'année suivante, elle a permis que je l'accompagne à Lausanne. C'était alors la mode d'y faire je ne sais quelle cure. [...] L'après-midi, elle m'emmenait en promenade sur les collines, dans les bois qui surplombent Lausanne et prodiguent tant de points de vue sur le Léman. Quand je me rappelle ces randonnées, j'ai quelque peine a comprendre que je n'aie pas été amoureux d'elle. Tout y invitait, depuis ses boucles noires jusqu'aux paysages de Vevey sur lesquels flottait toujours l'ombre de Jean-Jacques Rousseau. Je poussais la sottise jusqu'à lui parler des jeunes filles entre lesquelles mon cœur avait balancé. Elle me dit : « Comment pouvez-vous être amoureux de ces petits monstres gros de tout le mal qu’elles feront pendant cinquante ans ! » Elle avait trop raison. En quête d'une mère, j'aurais mieux fait de me tourner vers elle, quoiqu'elle n'eût pas passé trente-cinq ans, que vers des gamines. (Cimetière)
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Le bureau d'Anna de Noailles, présenté à Evian, lors d'une exposition.

57. Emmanuel Berl : "Cimetière". 1/3.

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Historien, journaliste, essayiste, Emmanuel Berl est né en 1892. Ami de Proust et de Malraux, Emmanuel Berl a été directeur de l’hebdomadaire Marianne puis du Pavé de Paris. Historien de l'Europe, il a reçu le grand prix de littérature de l’Académie française en 1967 et le prix Marcel Proust en 1975. Il a été le mari de la musicienne et chanteuse Mireille. Il est mort le 21 septembre 1976 à Paris.
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Le destin devait me gratifier de la bienveillance inespérée et imméritée d’Anna de Noailles envers moi. Notre époque ne peut que mal se représenter ce qu'a pu être la gloire d'Anna de Noailles dans le Paris de 1910. Les premiers livres de vers de la Comtesse avaient été, d'emblée, rangés entre ceux de Musset et ceux de Victor Hugo. Cette princesse grecque, à qui le mariage avait donné un nom français illustre, paraissait descendre tout droit du Parnasse avec le trépied de la Pythie pour prononcer ses oracles. Émerveillement d'autant plus doux que la Comtesse avait un visage plus séduisant, dévoré par ses admirables yeux sur les paupières desquels tombait la frange de ses cheveux noirs. A tous ces prestiges, elle joignait celui d'une éloquence dont je n'ai pas connu l'égale au cours de ma vie. Inspirée, quand elle parlait, comme Sarah Bernhardt quand elle jouait, elle provoquait le même respect, chacun l'écoutant en silence quels que fussent les circonstances, les heures et les lieux. Pour elle, la poésie restait la compagne du discours ! (Cimetière)
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Reproduction d'un manuscrit de la comtesse de Noailles.