10.07.2007

149. Anna de Noailles : "Trois extraits en prose".

-----------------------------------------
1. Ce mois de cristal est le plus beau qui soit, au bord du lac Léman. L’été finissant traîne ses caresses ensoleillées sur les praires encore en fleurs, qui soupirent de satisfaction. Les rayons plus vifs du matin amollissent l’onde en sa profondeur, jusqu’à tenir immobile et presque oppressée la vive et preste truite. Les oiseaux, pris de vertige, tournoient sans discernement, dans une confusion bleuâtre, se trompent d’élément, pénètrent les vagues, d’où ils rejaillissent, si bien qu’on croit voir une hirondelle qui nage, ou une ablette. (Histoire de ma vie, p. 91)
---------------------------------
2. Petite fille, j’ai goûté des moments de paradis à Amphion, dans l’allée des platanes étendant sur le lac une voûte de vertes feuilles ; dans l’allée des rosiers, où chaque arbuste, arrondi et gonflé de roses, laissait choir ses pétales lassés sur une bordure de sombres héliotropes ; je respirais avec prédilection le parfum de vanille qu’exhalaient ces fleurs exiguës, grésillant et se réduisant au soleil, commun charbon violet. (Le livre de ma vie, p. 91.)
---------------------------------
3. Je revois la véranda du vieux chalet d’Amphion qui tressaillait le soir aux cris élégiaques des hirondelles, dont le vol, en sombres et légers coups de couteau poignardait un azur poudré de rose, flamboyant et puis voilé, sur lequel se détachait la danse silencieuse, aux angles aigus, des chauves-souris. (Ibid., p. 135.)