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L'abbé Mugnier va la voir le 10 février. Il note : «L'état empire ou semble empirer. Elle parle, elle parle, elle parle. [ ... ] Elle touche à tout, cohérente et incohérente à la fois. Elle n'a pas perdu la tête, mais la quantité d'impressions, de sujets abordés, de noms cités, est grande. Elle souffre infiniment de l'oreille ». A l'abbé, qui lutte contre la tentation de lui donner sa bénédiction, elle assure : «Je meurs ... je vais mourir…», et trouve encore la force de se moquer de Marthe Bibesco, mais surtout elle prononce le nom de Dieu, «à plusieurs reprises et bien mieux qu'autrefois», remarque-t-il.
Elle confie à Mme Mante, tante et belle-mère de Jean Rostand : « Je prie ... je prie sans cesse »
A la mi-mars, Mathieu a dit à l'abbé que les médecins n'y comprenaient rien : «C'est un cas qui sort de l'expérience». Quelques mois plus tard, Photiadès confiera à Catherine Pozzi qu'il s'agissait d'un «mal incompréhensible aux médecins», peut-être de l'hypocondrie. Il ne semble pas que le diagnostic de tumeur au cerveau ait été clairement formulé.
L'abbé Mugnier revient la voir le 15 avril, Samedi saint. «Depuis quatre ans, je ne dors plus, lui dit Anna. J'ai entendu les premiers bruits dans l'oreille chez Thérèse. Je l'accepte, je l'accepte ... » Elle baise la main de son visiteur, qui lui demande la permission de baiser la sienne. « C'étaient ses adieux. « J’ai fait ce que je devais faire ».
L'abbé se montrera plus explicite quatre ans plus tard avec son amie la poétesse Marie Noël :
Je levai la main sur elle et lui donnai l'absolution. Elle traça d'une main errante un lambeau de signe de croix. Puis elle reprit ma main, la baisa. Je baisai la sienne. Mais elle reprit ses deux mains et les joignit dans une attitude de prière. Et elle ne parla plus. »
Deux ou trois jours plus tard, elle confie à Albert Flament :
"Dites combien j'ai aimé la nature et que j'en étais un élément". La comtesse Murat vient la voir, alors qu'elle a subi un examen médical. Anna a la force de lui annoncer : "Aucun organe essentiel n'est atteint chez moi, et cependant je m'en vais. Je meurs de moi-même"
Ce serait là son dernier «mot», du moins si l'on en croit Corpechot. Il semble toutefois que sa dernière phrase complète fut pour demander à être enterrée au Père-Lachaise.
La dernière semaine fut calme, comme si elle avait enfin trouvé la « mâle paix» : elle prononçait quelques mots sans suite, parfois son nom, elle souriait. ..
Quand vint l'heure où la nature se fit la complice de ses vœux, écrit Jean Rostand, nous assistâmes au spectacle de sa calme résignation, Cette grande rebelle s'abandonnait, se soumettait aux lois de la réalité; cette nietzschéenne s'éteignait selon Marc Aurèle.
Elle ne paraissait pas souffrir, mais les traits de son visage, aux yeux maintenant à jamais clos, s'animaient parfois, comme si son sommeil était traversé de visions et, peut-être, de cauchemars. Le dimanche 30 avril, elle revint à elle vers 13 heures. Une demi-heure plus tard, veillée par Mathieu, Anne-Jules et Hélène, elle était morte.
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François Broche. "Anna de Noailles, un mystère en pleine lumière", page 405.