10.30.2008

281. Guy de Pourtalès. 2.

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Le vent était triste. Déjà quelques flocons de neige voltigeaient, hésitants. Ils traversèrent la voie du chemin de fer. La neige commença de tomber plus serrée et le sol blanchissait partout. Le port était rempli de plongeons et de poules d'eau venus se mettre à l'abri du môle et des rochers. Ils nageaient en formation militaire. […] Une famille de cygnes les observait de loin, avec dédain, ainsi qu'un vaste congrès de mouettes, cent petits ventres blancs plantés sur des pattes roses rangés au long de la balustrade du débarcadère comme des porcelaines de Copenhague.[…] Ils s'enlacèrent étroitement au fond du bateau. Des éclairs allumèrent de nouveau le ciel, comme un lointain feu d'artifice et le tonnerre roula sourdement à distance, dans un autre monde. Le bateau dérivait, ils ne savaient où, poussé par un coup de vent qui frisait l'eau méchante. En levant la tête, Paul aperçut, déjà fort loin, le feu rouge du port. Il vit briller sous le falot tremblotant accroché au bordage des yeux pleins d'une vie étrangère qui interrogeaient la sienne, semblaient s'élancer à sa rencontre. Et cette fois il la prit tout entière avec une sorte d'épouvante délicieuse. Le tonnerre gronda plus fort, mais ils n'entendaient rien, ne redoutaient rien. Ils étaient perdus en eux-mêmes. Ils étaient comme deux vagues qui se heurtent pour se fondre en une oscillation uniforme. Ils avaient l'air de se battre, de se dévorer l'un l'autre, mais une espérance les emportait ensemble au fond des ténèbres. ("Marins d'eau douce" p. 247.)