3.26.2008

254. Anna de Noailles : "Le Livre de ma Vie". 2.


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2. L'enfant que je fus et que, pareille en cela à tous les êtres, je suis restée, car rien n'est plus vrai que le magnifique vers de Victor Hugo, adressé par un adulte à un vieillard: "La beauté de l'enfance est de ne pas finir", était donc tout différent des autres. J'éprouvais, parmi ma société enfantine, un sentiment erroné de parité, alors même que mes parents et leurs amis m'entouraient de louanges, qui, loin de corrompre mon cœur, suscitaient en moi un amour plein de gratitude et de, modestie. L'orgueil qui devait s'affirmer et m'accompagner dans la vie n'était ni fat ni envahissant, mais n'a cessé de ressembler à une prière élevée vers l’inconnu.
J'étais dotée de cette sympathie envers tous les êtres dont le seul obstacle est pour moi l'inimitié chagrinante d'autrui. A chaque témoignage de tendresse qui m'était adressé un désir suffocant de rendre au donateur un peu de son bienfait et davantage encore m'écartelait le cœur. C'est une des tragiques pauvretés de l'enfance que tout échange lui soit interdit; elle n'a aucun moyen d'offrir; elle ne peut qu'être aimée ; l'immense amour dont elle-même dispose, n'est pas recueilli, pas entendu.
Que de pelotes à épingles confectionnées par moi, pour mon entourage protecteur, au moyen de vieux journaux dont je bourrais des lambeaux d'étoffe mal rapprochés et mal cousus !
Que d'éventails espérés, en joignant puis en déployant les plumes que les paons phosphorescents et blancs, d'Amphion abandonnaient comme un branchage verdoyant ou neigeux sur le gravier du jardin !
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Porte d'entrée de l'Hôtel de Ville d'Evian. Détail : "La sculpture"