Dans les messages qui suivent - 253 à 259 - je propose au lecteur sept extraits du "Livre de ma Vie", dans lesquels la Comtesse de Noailles évoque le Chablais, la route entre Amphion et Thonon, la villa Bassaraba au bord du lac où elle résidait pendant la belle saison lorsqu'elle était enfant. L'ouvrage, publié en 1932 chez Hachette a été réédité en 1976 au Mercure de France.
--------------------------
1/7. Eventails rebelles et décevants, qui toujours retombaient à l'état d'un mince et vertical plumeau ! Dès le seuil du salon, que rendaient séduisant l'odeur de la gaie cretonne imprégnée comme un végétal d’une légère humidité, l'arôme de parquet ciré et l'effluve des mille roses débordant les vases de cristal, j'étais, je le reconnais, l'orgueil de ma famille.
Mais je jugeais raisonnablement qu'on n'eût pas dû adresser à une petite fille les louanges qui m'étaient décernées publiquement. Ma mère, pour qui la musique représentait l'art suprême, ne doutait d'aucune de mes facultés. Elle entassait des volumes cartonnés de la collection Litolff sur le tabouret du piano, m'y faisait asseoir et annonçait que j'allais composer immédiatement des mélodies évocatrices, sur le sujet qui me serait donné.
C'est ainsi que, tremblante, embarrassée, mais l'oreille tendue nettement vers l'infini, je reproduisais, à la manière d'une dictée harmonieuse et colorée, le chant des oiseaux, la naissance pâle et puis éclatante du jour, la campagne pastorale, la caquetante et radieuse basse-cour, la rêverie du croissant de la lune au-dessus des magnolias en fleur qu'enveloppait l'haleine mouillée du lac.
Encouragée par un auditoire toujours trop bienveillant et, sans doute, sensible aux yeux verts allongés d'une enfant qui portait avec timidité les présents d'un destin privilégié, j'écrivis de petits morceaux de musique que ma mère fit relier dans un album de l'aspect le plus sérieux. Je demandai et j'obtins facilement qu'on inscrivit sur le cuir, couleur de noisette, en lettres d'or, le nom d'Anna.
C'est ainsi que, tremblante, embarrassée, mais l'oreille tendue nettement vers l'infini, je reproduisais, à la manière d'une dictée harmonieuse et colorée, le chant des oiseaux, la naissance pâle et puis éclatante du jour, la campagne pastorale, la caquetante et radieuse basse-cour, la rêverie du croissant de la lune au-dessus des magnolias en fleur qu'enveloppait l'haleine mouillée du lac.
Encouragée par un auditoire toujours trop bienveillant et, sans doute, sensible aux yeux verts allongés d'une enfant qui portait avec timidité les présents d'un destin privilégié, j'écrivis de petits morceaux de musique que ma mère fit relier dans un album de l'aspect le plus sérieux. Je demandai et j'obtins facilement qu'on inscrivit sur le cuir, couleur de noisette, en lettres d'or, le nom d'Anna.
Sur quoi n'ai-je pas, de ma main d'enfant, écrit ce nom ? Le besoin où se trouve un petit être de se constituer le porte à reproduire le plus qu'il peut le signe qui le représente. Écrire sur des cahiers, sur des livres, sur du papier buvard, sur des cartons à chapeaux, sur le sable des allées, le nom d'Anna, équivalait certainement à ces médications fortifiantes qu'on donne aux enfants pour assurer le bon état et la croissance des os.
---------------------------
Porte d'entrée de l'Hôtel de Ville d'Evian. Détail : "La peinture"