2.21.2008
249. Martine de Rosny-Farge : "Orage sur le Léman". 3/6.
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Le lac se creusait davantage. Maintenant d'énormes lames jetaient dans la cochère des paquets d'écume. Elles frappaient les dos, inondaient les payots, mouillaient les poules et la chèvre. Plus le bateau se remplissait d'eau, plus il s'enfonçait, et plus les crêtes des vagues le rattrapaient. Sans s'inquiéter du ciel qui explosait au-dessus de sa tête, Alphonse se saisit d'un seau et commença à écoper. Il se démenait, se baissait, se relevait avec frénésie.
Dans le fracas de l'orage et du lac en délire, il entendit une voix vive et haut perchée :
- J'vas vous y aider!
- Non, pas toi, gamin! Reste au fond, hurla le batelier.
Mais l'enfant n'écouta pas. Se saisissant d'un autre seau, il écopa à son tour. Il palliait sa faiblesse par la rapidité. Il courait de la cale au bord comme un feu follet.
Les déflagrations électriques, les hurlements du vent à leur apogée, enveloppaient la cochère et ses occupants de malédiction. […] L'éclair suivant tarda à éclabousser la surface défoncée de l'eau. Le vieillard tourna sa carcasse épuisée. La femme apeurée sortit la tête de ses mains. La chèvre prostrée au fond du bateau souleva une paupière.