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Madame,
En quittant le rivage où respirèrent Iphigénie et Antigone, quel délice de trouver au front d'une jeune vivante les glaces flexibles et l'étincelle de l'Ionie ! C'est que, jadis, vous avez vécu dans l'Érechthéion avec les jeunes filles qu'on nommait « les porteuses de rosée » On vous entrevoit, dans la procession, qui tenez de vos deux mains le voile d'Athéna ; et les jeunes gens de Platon vous ont appelée : ma sœur.
Quand les Acropoles cessèrent de porter leurs fruits particuliers et redevinrent des rochers stériles auprès de la mer, vous ne vous êtes pas couchée dans le sable des morts avec les figurines d’argile. Vous avez vécu dans Byzance, d'où, votre ancêtre nous apporta le trésor des lettres antiques. Toute la suite des voyageurs ont vu les jeunes Phanariotes chanter, danser et pleurer sous les vergers de la mer Noire. Mais votre nom paternel évoque l'effort des vieilles races pour s'affranchir de la Babel ottomane. Obscurs frissons, fièvres royales, quel beau livre on pourrait écrire avec l'histoire d'une goutte de sang grec ! Hier enfin, vous êtes venue, du Danube comme Ronsard, et de Byzance comme Chénier, nous offrir toute vive, mais attendrie par des siècles d'exil, cette délicatesse grecque dont les archéologues ne nous donnent qu'une idée languissante. Vos poèmes remplissent de plaisir nos débutants et nos maîtres. On s'émerveille du mariage d'un jeune cœur païen avec nos paysages. Un jardin que vous regardez en a plus de parfum et d'éclat ; il devient tel que furent, avant votre migration, j'imagine, les îles de l'Archipel.
Les réminiscences involontaires qui soutiennent votre génie nous aident à comprendre les mystères de l'inspiration, et l'on voit dans votre âme, comme dans une ruche de verre, se composer les lourds rayons dorés. Vous paraissez obéir docilement aux propositions de l'heure : votre fantaisie bondit avec une sûreté joyeuse sur la minute qui passe, ou bien vous cédez à votre inclination comme une herbe qui ploie au bord du chemin, mais vous demeurez toujours une avisée petite-fille d'Ulysse. Quand je lis vos romans, je songe parfois aux ruses des héros grecs. Il semble qu'un divinité champêtre se soit déguisée en Parisienne pour observer, avez un détachement cruel, le petit manège des femmes. [...] Ainsi, Madame, ce n'est pas sans sujet que j'ai désiré inscrire votre jeune gloire sur la première page de ce voyage à Sparte. Elle place sous l'invocation de la poésie un livre qui pourrait parfois sembler irrévérent à l'égard des belles choses. On ne me traitera pas de barbare, si vous me permettez de mettre à vos pieds mon admiration respectueuse.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Maurice_Barr%C3%A8s