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Il en est de ces rives comme des montagnes. La lumière, qui divinise toutes choses, confond les méandres, de même qu’elle dissimule l’âpreté des ravins et des pics. Elle les unit en lignes harmonieuses et molles, qui forment un lointain élyséen et bleuâtres, tel qu’en montrent les tableaux de Breughel, une faucille d’argent. Mais l’eau diversifie et sculpte la côte, et par un travail incessant, crée avec la complicité lente des matières qu’elle roule et des essences qu’entraîne le vent, de nouveaux paysages. Elle creuse les inflexions douces des baies tranquilles ; elle égalise au pied des taillis couleur de bronze une grève de galets blancs ;elle effile des pointes, aiguës comme la proue d’un navire, au-dessus desquelles se balancent des peupliers aux disques trembleurs, et suivant qu’elle rencontre le granit ou la terre substantielle et profonde brise en lames heurtées ou en ondulations caressantes […]. Les formes naturelles ont une mesure qui fait songer aux sites apaisés de l’Ile-de-France ; les montagnes elles-mêmes dissimulent leurs rehauts et leurs angles sous la verdure des spins et de la mousse et ce n’est qu’en s’éloignant au large qu’on les découvre, rangées comme une assemblée de prélats, au-dessus des coteaux qui leur servent de soubassement ; ainsi les yeux éblouis par le miroir des eaux se reposent avec une sécurité délicieuse sur un premier plan paisible et s’élèvent, par degrés, jusqu’à une nature exceptionnelle et presque monstrueuse. La chaîne des monts et des collines, s’abaissant jusqu’aux petits golfes, dont les pentes sont couvertes d’un trésor céréal, semble vraiment déposer son offrande […].. Un bois sombre alterne avec un champ de lin en fleurs : sa nuance azurée rejoint le lac, qui retrouve le ciel.
(La Savoie, pp. 6-7.)
Léandre VAILLAT : critique parisien, auteur d'une histoire de la danse, qui a grandi à Publier