------------------------------
Dans les temps calmes, le Léman présente l’aspect féérique d’une glace immobile, aux reflets changeants, et la lumière y produit, à chaque heure, des accidents de vue étranges. Un rayon de soleil qui colore une rive et déshérite l’autre, un nuage qui passe, tout contribue à varier le spectacle étonnant de cette magnifique goutte d’au. En hiver, dans les grands froids, d’après l’expression populaire, « le lac fume » ; vue du bord chablaisien, cette vaporeuse fumée, qui sort du sein des eaux, masque quelquefois la rive vaudoise ; alors, c’est une mer sans rivage ; l’œil croit se perdre dans l’immensité ; on ne voit plus que le ciel et l’eau. Puis lorsque tout à coup, dans un endroit donné, se fait une éclaircie, le regard plonge et semble découvrir des rivages inconnus. Mais il faut se hâter de jouir d’un spectacle aussi ravissant, car, au moment où vous croyez saisir les délicieux contours du magique paysage, la main d’une fée en a brisé l’image, sa baguette l’a touché pour tout évanouir. Un souffle qu’on aperçoit à peine dans l’air ride et frange en losanges la surface de l’eau, les vapeurs semblent rentrer dans le profond, les petites nues disparaissent et fondent on ne sait où, puis le miroir redevient calme et tranquille pour montrer, échelonnées sur son encadrement, des groupes de petites villes qui y brillent comme des émeraudes et qu’on semble toucher du doigt. (La Savoie historique, pittoresque, statistique et biographique p. 79)