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Montreux est une île épouvantable […] Je rêve de punitions publiques, de saintes fureurs qui feraient tomber ces arrogances et jetteraient dans la rue, sous les yeux des Montreusiens incrédules et terrorisés, les maharadjas, les potentats, les armateurs grecs, les propriétaires de pipe-lines et de mines de cuivre, avec le harem caquetant de ces nobles étrangers dont l’urine nourrit nos perchettes et les chèques abêtissent cette rive. Montreux ! Honte d’une côte qui descendait, chênaies et vignobles, jusqu’au mare nostrum lémanique ! C’est la douleur qui pointe sous la colère. Toute une vie vraie a été trahie par le frelaté. Une peau stupide et vaniteuse a poussé sur la vieille figure du pays. Une vieille figure qui ne vieillissait pas ! Qui renaissait, nature et culture ![…] Devant le chaud palace dans la brume, les chauffeurs à casquette marine font les cent pas entre les buissons d’hortensias, de lauriers-roses et de palmiers. Des bouffées de tango tombent des fenêtres Renaissance. La lune flotte sur le Léman où dansent de petites lumières, lune jaune comme un cendrier où secouer un havane au-dessus d’une épaisse encre de Chine, jusqu’en Savoie. Là-bas, en France, sont les opaques forêts, les sentiers de bûcherons sous les cascades plumeuses, les dents de scie d’un sommet dans la nuit pure et froide. (Portraits des Vaudois)