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Barivier n’était guère à la mode. Son débarcadère, quelques planches clouées sur quelques pieux, voyait aborder presque en vain les bateaux à vapeur grouillants de foule et ronflants d’orchestres. Il n’en débarquait que des femmes en bonnet rond, panier au bras, qu’accompagnait une odeur de fruits, de fromage et de poisson […] En juin pourtant, des écoles vaudoises traversaient Barivier derrière un drapeau vert et blanc. De retour avec le soir, fleuries et traînant le pied, elles dépouillaient l’épicerie ; elles raflaient les cartes postales illustrées ; elles assiégeaient la gargotte où s’épongeait une bizarre hôtesse à court de limonade […] Inassouvies, les écoles se groupaient sur la berge. L’instituteur battait la mesure. Et les petits Barivois qui ne savaient que siffler, s’émerveillaient de ces chants à quatre parties qui célébraient le Créateur, l’Alpe, la Liberté. Fouettant l’eau de ses roues, sonnant sa cloche pour dire : me voici ! le bateau s’empressait, s’immobilisait un instant. Le radeleur recevait la corde dans le creux de son bras gauche, en entourait un pilotis, poussant la passerelle, la retirait, renvoyait la corde. Sur l’eau empourprée, le vapeur fuyait et il avait disparu derrière la pointe de la presqu’île que parvenaient encore, flottant dans la douceur du soir, les chants qu’écoutaient les petits Barivois coiffés d’un béret et vêtus, en tout et pour tout, d’un pantalon serré à la taille par une ficelle.(Ibid. pp. 11-12)
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Fac-similé des pages du Guide du Léman de Paul Guichonnet, dont est extrait ce texte.