10.06.2007

115. Victor Hugo : "Meillerie".

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La Lune était dans son plein ; la haute crête de Meillerie, noire au sommet et vaguement modelée à mi-côte emplissait l’horizon. Au fond, à ma gauche, au-dessous de la lune, les dents d’Oche mordaient un charmant nuage gris perle, et toutes sortes de montagnes fuyaient tumultueusement dans la vapeur…. Des bruits de voix m’arrivaient de la ville, et je voyais sortir du port de Vevey un bateau allant à la pêche. Ces bateaux pêcheurs du Léman ont une forme que le lac leur a donnée. Ils sont munis de deux voiles latines attachées, en sens inverse, à deux mâts différents, afin de saisir les deux grands vents qui s’engouffrent dans le Léman par ses deux bouts, l’un par Genève, qui vient des plaines, l’autre par Villeneuve, qui vient des montagnes. [...] Au jour, au soleil, le lac est bleu, les voiles sont blanches, et elles donnent à la barque la figure d’une mouche qui courrait sur l’eau, les ailes dressées ; la nuit, l’eau est grise et la mouche est noire. Je regardais donc cette gigantesque mouche noire qui marchait lentement vers Meillerie, découpant sur la clarté de la lune ses ailes membraneuses et transparentes. Le lac jasait à mes pieds ; il y avait une paix immense dans cette immense nature. C’était grand et c’était doux. Un quart d’heure après, la barque avait disparu, la fièvre du lac s’était calmée, la ville s’était endormie. J’étais seul, mais je sentais vivre et rêver toute la création autour de moi. (Victor HUGO)