2.25.2008

253. Anna de Noailles : "Le Livre de ma Vie". 1/7.

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Dans les messages qui suivent - 253 à 259 - je propose au lecteur sept extraits du "Livre de ma Vie", dans lesquels la Comtesse de Noailles évoque le Chablais, la route entre Amphion et Thonon, la villa Bassaraba au bord du lac où elle résidait pendant la belle saison lorsqu'elle était enfant. L'ouvrage, publié en 1932 chez Hachette a été réédité en 1976 au Mercure de France.
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1/7. Eventails rebelles et décevants, qui toujours retombaient à l'état d'un mince et vertical plumeau ! Dès le seuil du salon, que rendaient séduisant l'odeur de la gaie cretonne imprégnée comme un végétal d’une légère humidité, l'arôme de parquet ciré et l'effluve des mille roses débordant les vases de cristal, j'étais, je le reconnais, l'orgueil de ma famille.
Mais je jugeais raisonnablement qu'on n'eût pas dû adresser à une petite fille les louanges qui m'étaient décernées publiquement. Ma mère, pour qui la musique représentait l'art suprême, ne doutait d'aucune de mes facultés. Elle entassait des volumes cartonnés de la collection Litolff sur le tabouret du piano, m'y faisait asseoir et annonçait que j'allais composer immédiatement des mélodies évocatrices, sur le sujet qui me serait donné.
C'est ainsi que, tremblante, embarrassée, mais l'oreille tendue nettement vers l'infini, je reproduisais, à la manière d'une dictée harmonieuse et colorée, le chant des oiseaux, la naissance pâle et puis éclatante du jour, la campagne pastorale, la caquetante et radieuse basse-cour, la rêverie du croissant de la lune au-dessus des magnolias en fleur qu'enveloppait l'haleine mouillée du lac.
Encouragée par un auditoire toujours trop bienveillant et, sans doute, sensible aux yeux verts allongés d'une enfant qui portait avec timidité les présents d'un destin privilégié, j'écrivis de petits morceaux de musique que ma mère fit relier dans un album de l'aspect le plus sérieux. Je demandai et j'obtins facilement qu'on inscrivit sur le cuir, couleur de noisette, en lettres d'or, le nom d'Anna.
Sur quoi n'ai-je pas, de ma main d'enfant, écrit ce nom ? Le besoin où se trouve un petit être de se constituer le porte à reproduire le plus qu'il peut le signe qui le représente. Écrire sur des cahiers, sur des livres, sur du papier buvard, sur des cartons à chapeaux, sur le sable des allées, le nom d'Anna, équivalait certainement à ces médications fortifiantes qu'on donne aux enfants pour assurer le bon état et la croissance des os.
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Porte d'entrée de l'Hôtel de Ville d'Evian. Détail : "La peinture"

2.21.2008

252. Martine de Rosny-Farge : "Orage sur le Léman". 6/6.

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6. […] La pluie avait cessé de tomber, le vent s'essoufflait mais les vagues continuaient de bousculer la grève. Leur rumeur paralysa les passagers quelques instants au fond de la cochère.
L'équipage vérifia l'état de la cargaison, soulagé du peu de dommages. La chèvre se taisait, debout les quatre pattes écartées sur le fond encore branlant. Elle semblait s'être adaptée à la mobilité de l'eau en spécialiste des conjonctures précaires. Les poules ébouriffaient leurs plumes.
Le batelier jaugea la situation et s'adressant à un des matelots:
- Nicolas, tu vas surveiller le chargement et tu dormiras cette nuit dans le bateau. Nous reviendrons demain lorsque le temps sera tout à fait calmé. Nous tirerons la cochère de la roselière et la ramènerons au port.
Et s'adressant aux passagers:
- Nous allons gagner Nernier à pied. Ce n'est pas loin, un peu plus d'un quart de lieue. Prenez tout ce que vous pourrez.
La femme rassurée, tangua vers ses ballots. Elle les jeta un à un dans les bras du matelot qui les portait à la rive. Elle souleva ses jupes, y déposa ses sabots et sauta dans l'eau. Les cailloux lui labouraient les pieds mais elle avança sans se plaindre, se frayant un chemin dans les roseaux. Elle les écartait de sa main libre, veillant à ne pas se blesser aux bords de leurs feuilles tranchantes. Ils se refermaient derrière elle avec un bruit étrange. Ses cuisses nues poussaient l'eau avec bonne humeur.
Elle fut bientôt à pied sec sur une petite grève surplombée de noisetiers et de prunelliers. Dans ce fouillis de branchages et de roseaux, elle ne savait où passer.
- Monte tout droit, la Rosine! Accroche-toi aux branches.
Elle remit ses sabots, retroussant à nouveau ses jupes, elle s'introduisit dans la verdure. Elle glissait sur la terre argileuse mouillée par l'orage mais se tirant de branches en branches, elle finit par émerger à l'air libre au bord d'un champ de blé.

Yvoire. Source : http://www.flickr.com/photos/jeanrachez/2337054017/in/pool-20239347@N00

250. Martine de Rosny-Farge : "Orage sur le Léman". 4/6.

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La ronde infernale du temps paraissait hésiter. Les secondes, les minutes épargnaient le bateau en détresse. […] Des trombes d'eau s'abattirent sur le lac, éteignant les éclairs, étouffant le tonnerre, domptant les vagues. La pluie fouettait les visages et les yeux, hérissait la surface de l'eau. L'obscurité s'épaissit plus encore.
Nul ne savait où le vent les poussait. Le batelier cessant de chanter scrutait les flots. On ne voyait pas à plus de cent mètres. Il cria:
- Monsieur, veuillez vous poster à l'avant. On approche de la côte. Matelots parez aux manœuvres.
Le vieillard était parvenu à se mettre debout. Il accompagna Alphonse:
- J'ai fait la pêche autrefois. Je connais les fonds. Mais les yeux me manquent.
Il ajouta en levant un regard fatigué: - Dites-moi donc ce que vous voyez.
Presque aussitôt, Alphonse repéra une ombre sous les marbrures des vagues.
- A droite, un rocher!
- A quelle profondeur? s'écria le vieillard
- Environ trois brasses!
- Quelle forme?
-Allongée!
- Si vous en voyez d'autres, c'est qu'on se dirige vers la Pointe.
- J'en vois d'autres, plus petits, en chapelet.
- C'est la pointe de Messery ! Batelier, vire à gauche, hurla le vieillard de toutes les forces qui lui restaient.
- Matelots, à l'aviron droit, cria le capitaine.

251. Martine de Rosny-Farge : "Orage sur le Léman". 5/6.

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Les bacounis souquèrent avec une énergie multipliée par la peur. Le batelier accentua le virage de sa gouverne. Il était temps. Les rochers affleuraient l'eau comme les crêtes d'un monstre. Ils passèrent à quelques pieds de la cochère. Leur bouillonnement chuinta le long de la coque.
La côte était maintenant visible. Le bateau prêtait à nouveau le flanc aux vagues. Le vent avait légèrement faibli et les creux se tassaient sous la pluie.
- Essayons de regagner le large. Tous aux avirons!
Quel spectacle étrange, cette grande barque, nez au vent, comme une arche de Noé, nef de l'humanité en détresse! D'un côté Alphonse et l'enfant, de l'autre le vieillard et la femme secondant les bacounis. Le batelier tenant la barre à deux mains.
La cochère insensiblement se dirigeait vers Nernier. L'équipage souquait à perdre haleine. Mais elle dérivait. On voyait se rapprocher les noisetiers et les aulnes de la berge. Les cailloux du fond menaçaient la coque. Le naufrage semblait désormais inévitable.
Le batelier, la rage au cœur, se préparait à entendre le choc qui allait démantibuler son vieux navire, lorsqu'il songea aux roseaux qui poussaient drus non loin de là. Par quelques coups de barre adroits, il parvint in extremis à projeter la cochère dans leur épaisseur.
On entendit le crissement des joncs sur le bois. […] Le dernier choc de la quille sur le fond s'en trouva amorti. C'était comme si la cochère épuisée s'asseyait un peu brutalement dans un fauteuil secourable.
Le bateau avait cessé de craquer, la chèvre et les poules s'étaient tues, laissant la place à un étrange silence. Les passagers et l'équipage n'entendaient plus que la chanson des roseaux dans le vent.
Ils ne comprirent pas aussitôt qu'ils étaient sauvés. Mais lorsqu'ils virent sur leur tête le ciel s'éclaircir, lorsqu'ils comprirent que la vie ne les avait pas abandonnés, les larmes leur montèrent t aux yeux.
La femme tomba à genoux et s'écria:
- Merci, mon Dieu!
Les hommes s'étreignirent et le vieillard prit l'enfant par la main.

249. Martine de Rosny-Farge : "Orage sur le Léman". 3/6.


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Le lac se creusait davantage. Maintenant d'énormes lames jetaient dans la cochère des paquets d'écume. Elles frappaient les dos, inondaient les payots, mouillaient les poules et la chèvre. Plus le bateau se remplissait d'eau, plus il s'enfonçait, et plus les crêtes des vagues le rattrapaient. Sans s'inquiéter du ciel qui explosait au-dessus de sa tête, Alphonse se saisit d'un seau et commença à écoper. Il se démenait, se baissait, se relevait avec frénésie.
Dans le fracas de l'orage et du lac en délire, il entendit une voix vive et haut perchée :
- J'vas vous y aider!
- Non, pas toi, gamin! Reste au fond, hurla le batelier.
Mais l'enfant n'écouta pas. Se saisissant d'un autre seau, il écopa à son tour. Il palliait sa faiblesse par la rapidité. Il courait de la cale au bord comme un feu follet.
Les déflagrations électriques, les hurlements du vent à leur apogée, enveloppaient la cochère et ses occupants de malédiction. […] L'éclair suivant tarda à éclabousser la surface défoncée de l'eau. Le vieillard tourna sa carcasse épuisée. La femme apeurée sortit la tête de ses mains. La chèvre prostrée au fond du bateau souleva une paupière.

248. Martine de Rosny-Farge : "Orage sur le Léman". 2/6.


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Les bêlements affolés de la chèvre couvraient le bruit du vent et le chuintement des vagues. L'animal battait vainement des pattes pour ~e redresser. Elle valdinguait d'un bout à l'autre du bateau, yeux exorbités. Stoppée dans sa ronde folle par un ballot de tissu, la pauvre bête parvint à se relever. Elle lança le museau de côté pour chercher du secours, bondit sur des sacs et s'apprêta à sauter dans l'eau. La femme la renvoya d'un coup sec au fond du bateau, l'accrocha à un taquet d'où elle se remit à bêler de plus belle.
L'équipage soucieux écoutait la coque du bateau. Elle faisait entendre des craquements inhabituels. Les vagues se succédaient, de plus en plus creusées. La cochère se déhanchait sous les coups de butoirs. Il fallait au plus vite échapper aux chocs furieux qui ébranlaient son flanc.
- Courage! Souquez! ordonnait le batelier.
Alphonse s'assit à côté du bacouni au vent et tira sur la rame en cadence :
- Ohé ! Oh !
[…] A force de résistance et de persévérance, les hommes reprirent l'initiative sur les éléments déchaînés. La cochère en folie parvint enfin à se redresser. Le capitaine à petits coups de barre, la positionna dos au vent.
Désormais le vent les poussait. La cochère filait sur les vagues en direction de la Savoie. Mais l'orage redoublait de puissance. Les éclairs se succédaient. Le tonnerre claquait sans interruption. Ils formaient sur la surface, une proie pour la foudre.
- Allongez-vous au fond! Ecartez-vous du mât, cria le capitaine.
La tête dans les mains, les passagers ressentaient chaque lueur, chaque éclat comme la dernière seconde qui leur restait à vivre.

2.17.2008

247. Martine de Rosny-Farge : "Orage sur le Léman". 1/6.

247 à 252. "Orage sur le Léman"; quelques extraits de l'ouvrage de Martine de Rosny-Farge : "Lamartine, cent jours sur les rives du Léman . Collection Espace et Horizon,
Editions Cabedita, BP 09, 01220 DIVONNE LES BAINS
Je recommande à mes lecteurs les remarquables collections de cette maison d'édition dont le site mérite une visite attentive : http://www.cabedita.ch/

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1. Le vent forcissait. La grande barque s'inclinait dangereusement. Le lac s'était peu à peu creusé. Sans répit, des lames courtes frappaient désormais le bateau sur le côté, lui imprimant un balancement sinistre. Le roulis projetait les passagers sur la cargaison, bousculant la chèvre qui bêlait d'épouvante. Ils s'affalaient sur les ballots de tissus, se redressaient, retombaient. Du vieil homme et de l'enfant enlacés, on ne pouvait deviner lequel protégeait l'autre. La femme, le visage serré, se relevait avec obstination.
Alphonse qui retenait les caisses et la vergue, vit le miroir pivoter lentement sur lui-même presque détaché de ses cordes. Le batelier s'était déjà précipité. D'un coup de couteau, il avait tranché les derniers liens:
- Il faut s'en débarrasser. Monsieur, aidez-moi donc!
Ils se saisirent du miroir et le balancèrent dans les flots. Il ne s'enfonça pas tout de suite. Il flotta un moment, oscillant d'une vague à l'autre, à plat, sorte de petit radeau lumineux narguant Dieu et les hommes. C'est alors qu'un éclair troua les nues. Sa zébrure fouetta la surface de verre dans un ricanement terrifiant. Il avait rebondi vers le ciel en un prodigieux rayon qui traça dans les nues, une échelle de lumière. La terreur s'était emparée du bateau. […] La paysanne s'était signée.
- La mère, tu peux prier Dieu. Mais c'est le diable qui nous poursuit. Et nous ne nous laisserons pas entraîner en enfer, hurla le batelier.
- Hardi! Souquez matelots. Souquez! Les bacounis accélérèrent la cadence.
Les poules, pattes par-dessus bec, roulaient dans la panière en gémissant. Des plumes s'en échappaient qui s'élevaient vers les nuages.

246. Jacques Herman : "Le lac lentement se couvre de brume".


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C’est ici la limite de l’eau
Au-delà s’envolent les Alpes
De la Haute-Savoie
Et les nuages seuls arrêtent leur élan

Il est seize heures à peine
Et le soleil d’hiver
Glisse déjà
Vers l’Occident
Il sombrera bientôt
Dans l’ondulement
Doux et tendre
Du Jura

La neige la nuit dernière
Est tombée mais il n’en reste
Qu’un peu vers ma gauche
Sur les Rochers de Naye
Et la Dent de Jaman

Le lac lentement
Se couvre de brume
Mon âme a pour l’instant
Le poids d’une enclume.

Jacques HERMANN
Né en 1948, il vit et travaille en Suisse où il enseigne le français.
Il est membre de la Société des Poètes Français et auteur de trois recueils.


http://www.accents-poetiques.com/article.php3?id_article=1523

245. Pierre Lartigue : " Charlotte et la saison d'Evian".

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A la fin du printemps de cette année-là, la saison, à Evian, s'annonça comme particulièrement brillante. La paix revenue avait 1 donné un nouvel élan à l'activité des hôtels, qui regorgeaient à nouveau du gratin international. A la-mi juin, le Casino rouvrit ses' portes, pour le plus grand plaisir des touristes suisses, qui venaient régulièrement prendre une culotte, et repartaient pour Lausanne avec le dernier service de nuit des vapeurs de la Compagnie Générale de Navigation. Au Casino, on donnait aussi des comédies avec des célébrités parisiennes, et des séances de cinéma. Sur le sol français nettoyé du Boche, on attendait partout des fêtes autour du 14juillet; à Evian, elles promettaient d'être splendides.
Charlotte se découvrit du goût pour les plaisirs qu'offrait avec, générosité la ville. Elle qui, l'année passée, ne connaissait guère d'Evian que la Grand'Rue et sa librairie, souhaitait maintenant mettre à profit ses journées de liberté pour des loisirs moins austères.
Elle rendait toujours visite à Mademoiselle Desgranges, mais leurs, conversations étaient, bien plus qu'en hiver, interrompues par des' clients dont la bonne demoiselle devait s'occuper. Alors Charlotte la· quittait, et allait flâner autour de la Buvette, dans les jardins ou sur les quais, admirait les femmes élégantes, et le luxe des automobiles. Elle aimait aller s'asseoir, le matin, dans un des fauteuils de rotin de la Buvette, où, pour le verre de onze heures, se pressait la foule des baigneurs. Les plantes vertes qui ornaient le grand escalier, la naïade centrale, les vitres de la verrière, cernées par des boiseries en volutes, composaient une atmosphère d'aquarium où évoluaient lentement; des groupes de curistes assoiffés; les vieilles darnes entortillées de perles rythmaient avec leur canne la musique tantôt martiale, tantôt· sirupeuse, dispensée par le petit orchestre de la Buvette que son. chef, Monsieur Cherubini, s'efforçait de hisser au niveau de celui du Casino.
Pierre Lartigue. "Charlotte des carrières", page 51.

244. Pierre Lartigue : "Sur une barque de Meillerie". 2/2.

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2/2. On soufflait un peu, et on repartait pour
une autre tour. Pendant ce temps, l'équipe de la barque organisait le chargement sur le pont, formait le barin, en disposant les pierres, les plus grosses aux extrémités, vers le bordage, les autres au centre, vers les mats. C'était tout un art; il fallait être habile et soigneux, pour équilibrer la cargaison et éviter les ennuis pendant la traversée, si le mauvais temps se levait. Le pont était parfois si encombré qu'on ne pouvait guère circuler que sur les lisses, qui formaient une mince passerelle à l'extérieur de chacun des deux bords. Sous le poids de la caillasse, la barque s'enfonçait peu à peu, et quand les clous de jauge, à la poupe et à la proue, affleuraient l'eau, on savait que le tonnage était bon, et qu'on pouvait partir. Dans la journée, si la commande pressait, et si le vent donnait bien, ça ne traînait pas. On embarquait de quoi faire la soupe pour plusieurs jours si nécessaire, le bouilli, le pain, le vin, et vogue la barque.
Une fois les voiles réglées, les gars, crevés, descendaient à la cambuse piquer un roupillon, avec un seul homme à la barre, le nez vers Evian, Thonon, Ouchy, ou bien Genève, vers ces mangeuses de pierre insatiables. Mais si on finissait de charger trop tard, le soir, on attendait le lendemain, car on n'aimait pas beaucoup partir de nuit. Alors les bateliers qui habitaient en montagne, à Thollon ou Lajoux, allaient dormir dans des hangars loués, mais le plus souvent remontaient chez eux: une grosse heure de marche par le sentier des Epioutères; avec la journée de travail dans les jambes, ils se reposaient, pour ainsi dire, en grimpant, comme des somnambules, tirés par l'habitude, un pas après l'autre sans penser à rien. Encore heureux quand il ne pleuvait pas.
C'était pourtant cette vie de galère qui attirait Alexandre. Il serait resté des heures, dans la chaleur de ces après-midi d'août, à regarder le lac scintiller, les barques aller et venir, et les hommes trimer, avec leurs planches, leurs brouettes, et ces pierres que le ventre ouvert de la montagne offrait avec une générosité inépuisable, ces pierres qui donnaient aux hommes leur pain mais marquaient leur chair à vif, et qui, sciées, taillées, polies, allaient s'assembler comme pour des siècles dans la ligne sobre des quais, dans les façades splendides des grands hôtels, dans les villas éclatantes des cités du lac.

Pierre Lartigue. "Charlotte des carrières", page 49

243. Pierre Lartigue : "Sur une barque de Meillerie". 1/2.

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C'était un incessant défilé de brouettes à pierre, entre l'aire d'embarquement, où les tas avaient été préparés, et les barques immobilisées le long du rivage, le nez vers le port, en cas de coup de vent. Les brouettes, avec d'énormes mancherons, et une roue cerclée de fer, semblaient déjà lourdes à vide. Et chaque homme chargeait, avec peu d'efforts, semblait-il, quand on avait le coup, une masse de deux cents kilos de caillasse, puis bandait ses muscles et s'avançait, à pas mesurés, vers sa barque. Le plus dur était de franchir le plateau, la longue et épaisse planche qui, posée sur des chevalets, reliait la rive à la barque. Pas large, le plateau: juste la place pour la roue de la brouette, et pour les pieds. Il fallait l'œil. Il fallait ne pas dormir, ni avoir un verre de trop dans le nez. Pas question de poser sa charge pour souffler, même si les mancherons semblaient devoir glisser et échapper aux mains poisseuses de sueur, même si un éclat de lumière giclait sur la surface du lac et venait vous éblouir, ou si un putain de caillou s'était fichu dans une godasse et vous écorchait le talon. Deux, parfois même trois ou quatre chargeurs pouvaient se suivre à la queue-leu-leu sur le même plateau. Il fallait prendre alors le pas de celui qui précédait, et marcher en cadence, sinon le plateau sautait et, hop, tout le monde à la baille. Alors, c'étaient les quolibets des autres, les injures, l'amende, le risque de s'esquinter sur un rocher, ou de recevoir le contenu de la brouette sur les jambes. On faisait attention, mais, tout de même, ça arrivait. Parfois, au passage du sillage d'un bateau à aubes, la barque bougeait, et le plateau avec, et il fallait suivre le mouvement. Quand on arrivait sur le pont de la barque, avec la barre des muscles qui se nouait et s'appesantissait sur la nuque et entre les épaules, il fallait vider, doucement doucement.

Pierre Lartigue. "Charlotte des carrières", page 48.

2.15.2008

242. Pierre Lartigue : "Sur le lac, au temps des bacouni".

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Quelque chose bougea dans le paysage, et attira son attention. C'était en bas, dans la profondeur azurée du vide. Le long de la ligne dentelée des bois, qui masquait la rive et le village, une forme se mouvait, se détachait lentement de la côte et avançait vers le large. C'était une barque, une des grandes barques de Meillerie qui, profitant de la Vaudaire qui se levait, était sortie du port. De cette hauteur, on ne voyait guère la coque, sans doute lourdement chargée, mais seulement, sur leurs antennes croisées, les deux grandes voiles triangulaires qui dessinaient, chacune vers son bord, les ailes d'un oiseau qui prendrait son essor. Bientôt une deuxième apparut, puis une troisième. Suspendues dans l'espace, elles suivaient l'une après l'autre la même ligne uniforme du vent, dans une allure benoîtement paisible, régulière et équilibrée, celle de trois servantes en marche pour apporter chacune quelque offrande à un personnage invisible dans le lointain, en l'honneur de qui elles auraient revêtu leur plus belle coiffe, dont la blancheur lumineuse étonnait par sa netteté dans tout ce large environnement bleu et vague.
Longtemps, Joseph suivit des yeux le lent cheminement des trois barques, puis il vit leurs formes successives s'évanouir derrière le rideau de verdure qui, sur sa gauche, fermait la vue. Il restait ébloui de cette apparition, comme s'il n'avait jamais vu, auparavant, les gracieuses allées et venues qui rythmaient la vie de son village, ces arrivées et ces départs quotidiens vers le fond du haut lac, ou vers la rive opposée, ou Evian, ou Genève, dans une ronde incessante de chargements et de déchargements.
Quel que fût le temps, il y avait toujours un transport à faire. Le nombre des barques, dans le port, augmentait régulièrement. On embauchait des bateliers dans tous les villages du canton. Lui-même avait, à la fin du service et avant son mariage, hésité à prendre ce métier qui le tentait. Puis il avait connu Marthe, et tout s'était joué. Il sentait en lui, maintenant, comme une amertume inquiète de s'être laissé séduire si facilement par la sécurité monotone de la vie de cafetier. (Pierre Lartigue. "Charlotte des carrières", page 15)

241. Pierre Lartigue : "A Meillerie".


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A Meillerie, la montagne tombe si raide sur le lac que, dès novembre, on ne voit quasiment plus le soleil de deux mois. Il y a juste la place pour le village, tourné vers le Léman; et vers le nord. Sur le haut du village, […] tout de suite, la pente qui s'élève dans les bois; ou, passées les dernières maisons, les carrières, au-dessus du port. Pas le moindre petit champ qui serait plat, pour y faire un peu d'orge; et même, elle viendrait mal; ni même un pré, où mettre deux vaches. Le village vit de la pêche, et surtout des carrières. En face, de l'autre côté du lac, les Suisses ont toutes les veines, eux: de jolis coteaux bien ensoleillés, des vignes en veux-tu en voilà, des petites villes claires, nettes et propres. Ici, la pierre est grise, et la montagne vert sombre, presque noire. On s'y fait.
Joseph soufflait, dans sa montée. Depuis quelques mois, avec la vie sédentaire qu'il menait, il s'empâtait. Il décida de faire une pause, avança jusqu'au lacet suivant, où les sapins clairsemés laissaient une large ouverture sur le ciel, et s'installa sur une pierre au bord du chemin.
Sous ses pieds, et devant lui, s'arrondissait l'immense coupe bleue du lac, tout juste cernée, au loin, par la côte suisse qui formait comme un liseré pâle et doré, dans la brume légère du matin, entre l'eau et le ciel. Sous lui, la brosse sombre des crêtes de sapins, encore dans l'ombre, filait comme un vertige en marquant quelque temps les distances, puis s'évanouissait. A droite, les premières montagnes du pays de Vaud émergeaient en plaques brillantes et renvoyaient les éclats du premier soleil, jets lumineux portés par les souffles légers d'une brise d'est qui venaient lécher la surface du lac, faisaient fondre sous les risées les aires d'eau tranquille, en un immense mouvement concentrique et silencieux, comme si toute cette masse immobile d'air et d'eau allait, lentement, se décaler vers l'ouest.
Joseph, perdu dans une rêverie vague, soupirait de joie devant cette grandeur du lac, devant cette majesté paisible, où les vapeurs fuyantes découvraient un infini de possibles, un mirage de bonheur souhaité.

Pierre Lartigue.
"Charlotte des carrières", page 14. Collection Espace et Horizon, Editions Cabedita, BP 09, 01220 DIVONNE LES BAINS. Je recommande à mes lecteurs les remarquables collections de cette maison d'édition dont le site mérite une visite attentive : http://www.cabedita.ch/

240. Alain Mickiewicz : "Sur cette onde immense"

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Sur cette onde immense et limpide,
Des rangs de rocs étaient dressés
Et l'abîme d'eau translucide
Refléta leurs fronts obscurcis.

Sur cette onde immense et limpide,
Des nuages noirs ont passé
Et l'abîme d'eau translucide
Refléta leurs corps imprécis.

Sur cette onde immense et limpide,
Dans un fracas, l'éclair courut
Et l'abîme d'eau translucide
Refléta son feu -l'air se tut.

Et l'onde demeura limpide,
Toujours immense et translucide.
Cette onde est partout sous mes yeux :
Tout, fidèlement, je reflète;
Le front des rochers orgueilleux
Non plus que l'éclair, ne m'arrête.

Il faut, au rocher, menacer;
Au nuage, son eau verser;
Que l'éclair meure après sa rage ;
Moi, que je nage, nage, nage.

Tenu pour le plus beau poème d'un ensemble lyrique inspiré par le Léman, ce poème date probablement du séjour à Lausanne, ou l'auteur fut professeur de latin en 1838/1839.
in "Les écrivains et le voyage en Suisse", page 942

239. Rémi Mogenet : "Les eaux sacrées du Léman"

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Un très bel article de Rémi MOGENET, publié il y a quelques années
dans l'hebdomadaire "Le Messager de la Haute-Savoie"
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Cliquez sur la reproduction pour l'agrandir

238. Françoise Delamarre : "Fables du lac". 2/2.

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XXIII

La brume au-dessus des eaux étientes
le temps de froide pousière
le poids du silence blanc
le cri frileux des oiseaux
annoncent la promesse tacite
de la neige à venir.

XXVII

Le ciel bleu et froid
de notre hiver ensemble
pose sur ton dessin de craie
sa lumière de bise
et fait frissonner les branches
auxquelles ta main offre sa vie d'homme.

XXX

Le pêcheur du lac
a posé sa main sur les rames
de sa barque brune et vieillie
qui se confond avec l'écorce des branches
et d'un mouvement lent
s'est risqué vers des poissons d'or.

XL

Il a neigé si fort sur ton tableau
que cette douce blancher
a recouvert le bleu des eaux
et toutes les couleurs du lac.
Un étrange apaisement
a engourdi nos mains et fermé nos yeux.

Françoise Delamarre-Tindy in "Léman, expression sans rivages". Edition "La Manufacture", 1986.

237. Françoise Delamarre : "Fables du lac". 1/2.


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V

L'apaisement du monde
se reflète doucement
dans le calme miroitement
de l'eau tranquille
et de l'oubli du trouble évanoui.

IX

La fable du lac
raconte
le doux murmure des voiles
et le silencieux glissement
des bateaux solitaires
vers un destin
sans profondeur.

XII

Le ciel obscurcit les vagues
en de noirs sillons
la nuit bleutée
ricoche sur les galets du port
et s'enfuit à tire-d'aile
comme l'oiseau du désespoir.

XXI

L'envol de ces deux cygnes
dans leur parallèle alignement
déchire la tranquille quiétude
d'un lac de novembre
et redit le superbe dénuement
de l'appel des départs infinis.

Françoise Delamarre-Tindy in "Léman, expression sans rivages". Edition "La Manufacture", 1986

236. Une carte du Léman. 2/2.

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235. Une carte du Léman. 1/2.

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234. Hans Christian Andersen : "Journal". 2/2.


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Vendredi 23 août. Levé à quatre heures pour aller par la diligence à Vevey. Une contrée luxuriante, toute en fleurs. De Vevey, j'ai marché parmi les vignobles, on y avait planté du maïs et devant les maisons de paysans des melons étaient pendus par-dessus le toit. De grands marronniers se reflétaient dans le lac. L'endroit était si solitaire, le chemin tellement serpentant et étroit, avec de vieux murs sur lesquels fourmillaient les lézards. Le lac de Genève était ceint de hautes montagnes, l'une était tout enneigée, on aurait dit une mer peinte de lilas et d'écume très haut dans le ciel. Les nuages s'étendaient sur le flanc de monts plus bas. Dans la courbe, je découvris le château de Chillon que Byron m'a rendu intéressant par son poème. Un vieux soldat m'accueillit près du pont-levis et me conduisit a une femme, ou une vieille fille, qui me fit descendre profondément à l'intérieur de la prison, qui avait l'air d'une galerie semi-circulaire et où la lumière ne tombait que par quelques longues ouvertures dans la muraille; j'ai vu les anneaux de fer, dans les piliers, où les victimes avaient été attachées, sur le premier pilier, un peu plus haut, elle me montra le nom de Byron, que lui-même avait gravé avec un couteau en 1826.
Nous sommes montés alors dans l'un des étages supérieurs, il y avait là une tour au plancher amovible par lequel. on avait précipité le prisonniers sur un rocher, en bas. Dans une galerie, de l’autre coté j’ai vu des ouvertures destinées à verser de l'huile et de l'eau bouillante sur les attaquants. Dans une belle pièce éclairée, il y avait sur une tablette une notice sur le château, la tablette était couverte partout d’inscriptions, je ne pus trouver une place, alors, la demoiselle, me dit :
«Ecrivez au milieu du papier.»
«Mais personne ne l’a fait», répondis-je
«Oui, mais vous n'êtes pas un homme ordinaire», dit-elle.
Suis revenu chez moi à fond de train. Ai trouvé mes affaires à la poste, ai bu du thé, regardé le lac au clair de lune et me suis endormi.
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Le chateau de Chillon. Source de l'image : http://www.flickr.com/photos/pearbiter/

233. Hans Christian Andersen : "Journal". 1/2.

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Jeudi 22 août. Puerari était déjà sur le bateau à vapeur pour me dire au revoir; lorsque je suis arrivé, il m'a donné une lettre pour son fils à Milan et m'a présenté à quelques Genevois sur le bateau; il y avait là beaucoup d'Anglais. Le lac était infiniment bleu, la navigation dura de neuf heures à deux heures et demie. Au fur et à mesure que nous voguions, les montagnes devenaient de plus en plus grandes, le Mont-Blanc avec sa neige blanche nous salua. En regard, le Jura avait l'air d'une clôture, Les montagnes étaient tout à fait lilas, elles étaient comme peintes sur le ciel; la neige vous blessait les yeux, les bateaux que nous rencontrâmes avaient deux voiles, comme des ailes.
Nous sommes passés devant plusieurs petites villes avec de vieux châteaux. Vers Lausanne, le domaine le plus luxuriant était sur la gauche; à droite, le plus sauvage. A l'Hôtel Faucon, j'habite maintenant une chambre très élégante. Une terrasse au-dehors, en dessous une nature en fleurs, le lac, calme, les hautes montagnes, silencieuses, et un magnifique clair de lune, mais sous les fenêtres, vacarme d'une multitude d'enfants, des bourgeois débonnaires en foule, car ils attendaient un éléphant que, toutefois, ils ne purent voir, il fut emmené dans une maison fermée. Journal. 1833- 1873.
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Montreux, depuis le funiculaire des Rochers de Naye. 1959

232. Alphonse Guillot : "D'Evian à Saint-Gingolph".

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La côte suisse s'est voilée de grisaille, on n'aperçoit plus que la rive du lac, on se croirait au bord de la mer, le bruit des vagues qui parvient jusqu'ici complète l'illusion. L'avenue d'Abondance bordée de platanes, de jolies villas très modernes, conduit en quelques minutes au centre de la ville, mais, comme des écoliers, nous rentrerons par Petite-Rive, et Grande-Rive, et prolongerons jusqu'à l'heure où les lumières commenceront à paraître. [...]
Sur cette route dite du Simplon qui longe le lac et conduit à Meillerie, où Napoléon Ier fit sauter des rochers pour rendre la côte abordable, vingt siècles auparavant, en 218 avant Jésus-Christ, Annibal serait passé avec son armée, ses aigles, ses enseignes, et ses éléphants après avoir combattu contre les Allobroges et les Arvernes, dans les défilés de la haute Durance. Sur ce tracé Rome aurait fait construire, aux premiers siècles de l'ère chrétienne, une grande artère internationale, large de douze mètres, dont on a découvert des vestiges dans les carrières de Meillerie. Ce village fut le séjour de Jean Jacques Rousseau, d'où il se plaisait à regarder avec un télescope la maison de Clarens où habitait son amante Julie, héroïne de son ouvrage. La Belle Héloïse. [...]
Plus loin, le village le Locuum aurait été construit sur l'emplacement d'un autre appelé Tauredunum détruit en l'an 563. "Après soixante jours de grondements sourds, la montagne sur laquelle Tauredunum avait été construit se détacha et se sépara d'un autre mont contigu, engloutissant maisons, église, hommes et terres dans les eaux. Mille ans après, le 4 mars 1564, un nouvel éboulement moins considérable eut encore lieu.[...]
Plus près de nous : "A Maxilly-Lugrin, le château de Tourronde appartint longtemps à la famille de Blonay qui jouit encore dans la contrée d'une renommée chevaleresque antique, à laquelle on peut joindre celle de l'honneur, du courage et de la fidélité. On raconte que lors d'un incendie du château, au XVème siècle, un comte de Blonay qui habitait le château de Vevey, encore occupé par ses descendants, aurait traversé le lac à la nage sur un cheval et que, suivant le voeu fait au départ, il fut élevé une chapelle sur l'emplacement où le cheval atterrit. On dit également que le lendemain on vit sourdre à l'endroit où le cheval avait frappé le soi de son pied, une source d'eau ferrugineuse".
Alphonse Guillot, opus cité page 52.

231. Alphonse Guillot : "Une légende".

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Il existe beaucoup de légendes en Savoie ; je vais vous en conter une plus particulière à Evian et à Neuvecelle. Il y a quelques siècles, un certain baron de la Rochette avait une fille qui répondait au nom de Béatrix jolie, riche, elle avait été demandée en mariage par le seigneur d'Allinges, et celui de Coudrée. Mais Béatrix aimait en secret l'écuyer de son père, Arnold qui n'avait pour toute fortune que sa jeunesse « et son courage. Le baron souffrant d'un mal douloureux auquel on ne trouvait pas de remède, et fort embarrassé sur le choix du fiancé, eut la singulière idée d'annoncer qu'il donnerait sa fille à celui qui le délivrerait de sa maladie.
«Toujours aimé de Béatrix, Arnold, au cours de ses promenades, de ses courses folles, où il cherchait à calmer son âme et son coeur, vint à passer à Neuvecelle, et alla consulter l'ermite qui avait établi sa cellule près d'un grand châtaignier.
L'ermite le fit entrer dans sa retraite enduite de terre glaise et de mousse, qui constituait un refuge « contre les intempéries des saisons. Une lampe brûlait devant l'image de la Vierge une pierre servait d'escabeau. L'ermite fit asseoir Arnold, qui lui fit part du dilemme et de son inquiétude. «Va. mon fils, lui dit l'Ermite, et fais-lui boire tous les jours de l'eau de la fontaine qui coule au-dessus d'Evian, (la source Sainte-Catherine à cette époque, la source Cachat actuelle.) Après quelques semaines, le baron fut guéri et le mariage d'Arnold et de Béatrix célébré au château « de Ripaille. La tradition ajoute qu'ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants.
Alphonse Guillot, opus cité, page 52

230. François Broche : "La mort d'Anna de Noailles"

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L'abbé Mugnier va la voir le 10 février. Il note : «L'état empire ou semble empirer. Elle parle, elle parle, elle parle. [ ... ] Elle touche à tout, cohérente et incohérente à la fois. Elle n'a pas perdu la tête, mais la quantité d'impressions, de sujets abordés, de noms cités, est grande. Elle souffre infiniment de l'oreille ». A l'abbé, qui lutte contre la tentation de lui donner sa bénédiction, elle assure : «Je meurs ... je vais mourir…», et trouve encore la force de se moquer de Marthe Bibesco, mais surtout elle prononce le nom de Dieu, «à plusieurs reprises et bien mieux qu'autrefois», remarque-t-il.
Elle confie à Mme Mante, tante et belle-mère de Jean Rostand : « Je prie ... je prie sans cesse »
A la mi-mars, Mathieu a dit à l'abbé que les médecins n'y comprenaient rien : «C'est un cas qui sort de l'expérience». Quelques mois plus tard, Photiadès confiera à Catherine Pozzi qu'il s'agissait d'un «mal incompréhensible aux médecins», peut-être de l'hypocondrie. Il ne semble pas que le diagnostic de tumeur au cerveau ait été clairement formulé.
L'abbé Mugnier revient la voir le 15 avril, Samedi saint. «Depuis quatre ans, je ne dors plus, lui dit Anna. J'ai entendu les premiers bruits dans l'oreille chez Thérèse. Je l'accepte, je l'accepte ... » Elle baise la main de son visiteur, qui lui demande la permission de baiser la sienne. « C'étaient ses adieux. « J’ai fait ce que je devais faire ».
L'abbé se montrera plus explicite quatre ans plus tard avec son amie la poétesse Marie Noël :
Je levai la main sur elle et lui donnai l'absolution. Elle traça d'une main errante un lambeau de signe de croix. Puis elle reprit ma main, la baisa. Je baisai la sienne. Mais elle reprit ses deux mains et les joignit dans une attitude de prière. Et elle ne parla plus. »
Deux ou trois jours plus tard, elle confie à Albert Flament :
"Dites combien j'ai aimé la nature et que j'en étais un élément". La comtesse Murat vient la voir, alors qu'elle a subi un examen médical. Anna a la force de lui annoncer : "Aucun organe essentiel n'est atteint chez moi, et cependant je m'en vais. Je meurs de moi-même"
Ce serait là son dernier «mot», du moins si l'on en croit Corpechot. Il semble toutefois que sa dernière phrase complète fut pour demander à être enterrée au Père-Lachaise.
La dernière semaine fut calme, comme si elle avait enfin trouvé la « mâle paix» : elle prononçait quelques mots sans suite, parfois son nom, elle souriait. ..
Quand vint l'heure où la nature se fit la complice de ses vœux, écrit Jean Rostand, nous assistâmes au spectacle de sa calme résignation, Cette grande rebelle s'abandonnait, se soumettait aux lois de la réalité; cette nietzschéenne s'éteignait selon Marc Aurèle.
Elle ne paraissait pas souffrir, mais les traits de son visage, aux yeux maintenant à jamais clos, s'animaient parfois, comme si son sommeil était traversé de visions et, peut-être, de cauchemars. Le dimanche 30 avril, elle revint à elle vers 13 heures. Une demi-heure plus tard, veillée par Mathieu, Anne-Jules et Hélène, elle était morte.
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François Broche. "Anna de Noailles, un mystère en pleine lumière", page 405.

229. Anna de Noailles : "C'est après les moments ..."

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C'est après les moments les plus bouleversés
De l'étroite union acharnée et barbare,
Que, gisant côte à côte, et le front renversé,
Je ressens ce qui nous sépare !

Tous deux nous nous taisons, ne sachant pas comment,
Après cette fureur souhaitée et suprême,
Chacun de nous a pu, soudain et simplement,
Hélas ! redevenir soi-même

Vous êtes près de moi, je ne reconnais pas
Vos yeux qui me semblaient brûler sous mes paupières;
Comme un faible animal gorgé de son repas,
Comme un mort sculpté sur sa pierre

Vous rêvez immobile, et je ne puis savoir
Quel songe satisfait votre esprit vaste et calme,
Et moi je sens encore un indicible espoir
Bercer sur moi ses jeunes palmes !

Je ne puis pas cesser de vivre, mon amour !
Ma guerrière jolie, avec son masque sage,
Même dans le repos veut par mille détours
Se frayer encore un passage !

Et je vous vois content ! Ma force nostalgique
Ne surprend pas en vous ce muet désarroi
Dans lequel se débat ma tristesse extatique.
Que peut-il y avoir, ô mon amour unique,
De commun entre vous et moi !

228. Alphonse Guillot : "Vers Neuvecelle".

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On y entend le bruit d'orages lointains dont les échos viennent mourir sur le rivage. Nous irons donc à Neuvecelle, et si un orage vient à nous surprendre, il sera facile de trouver des abris qui permettront de laisser passer le grain et d'attendre l'embellie. Peut-être assisterons-nous au spectacle d'un arc-en-ciel, phénomène très fréquent dans cette région et se présentant presque toujours double, comme un pont gigantesque jeté sur les montagnes d'une rive à l'autre. On peut se rendre à Neuvecelle, en suivant le jardin Anglais, le quai de Grande-Rive, bordé de luxueuses villas, le paisible quartier de la Source des Crottes, oasis de verdure, tout rempli de chants d'oiseaux, mais, en ayant recours au funiculaire, notre promenade ne sera plus qu'une longue descente. Au sortir de la station des Mateirons, on traverse le parc du Royal Hôtel et de l'Ermitage, et on atteint l'avenue de Neuvecelle prolongée. D'un côté, c'est le parc avec toutes ses séductions, de l'autre, la campagne agreste des vergers et des châtaigneraies; on longe le mur du château de Neuvecelle restauré, où de Montalembert et Louis Veuillot firent des séjours vers 1863. Dans le parc, l'établissement thermal a créé un stade de culture physique. La petite église de Neuvecelle retient l'attention quelques instants. Du boulevard qui conduit lentement et par un long détour à Evian, le lac, les montagnes continuellement en vue apparaissent sous des aspects divers dûs aux premiers plans qui varient de forme, les encadrent, et les mettent en valeur, comme vos toilettes en vous parant différemment ne contribuent qu'à vous rendre plus séduisante, même quand un peu de mélancolie assombrit votre visage. (Alphonse Guillot, opus cité, page 50)

227. Alphonse Guillot : "Evian". 2/2.

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Evian peut ne pas avoir à s'enorgueillir d'un long passé historique ou glorieux lié à la vie nationale, mais cette cité peut à juste titre s'honorer de son histoire locale et régionale, de ses traditions d'hospitalité et de bon accueil, qui font partie de ses quartiers de noblesse ; elle peut être fière de sa situation privilégiée sur le lac où la nature a prodigué toutes ses splendeurs, de son développement dû à des richesses naturelles mises à la portée de tous, d'un ensemble d'avantages et de beautés qui dominent et voilent ce que peut avoir de matériel l'expédition de ses eaux salutaires. Cette cité avait longtemps vécu languissamment étalée sous les rayons de soleil, à l'ombre de ses clochers aux nombreux carillons, fréquentée par les princes de la maison de Savoie, quelques privilégiés parmi lesquels on cite Mme de Warens, Mme de Staël, le Duc de Bedford, longtemps ignorée du grand public, comme certaines fleurs qui, solitaires, croissent, s'épanouissent, sans connaître la douceur d'une main de femme, la caresse de deux yeux, sans avoir donné leur parfum, semblables à certains hommes et à certaines femmes qui peuvent vivre longtemps, et disparaître sans avoir révélé le secret et la sensibilité de leur coeur, sans que la beauté et la grandeur de leur âme aient été connues de leurs semblables et même de leurs proches. (Alphonse Guillot, opus cité, page 38)

226. Alphonse Guillot : "Evian". 1/2.

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Evian est certainement la ville d'eaux idéale. A l'arrivée en gare, ce sont les wagons chargés d'eau Cachat, les services d'expédition reliés à la voie ferrée par des rails particuliers, et la source des Ducs de Savoie. Avenue de la Gare, les tracteurs et les camions rencontrés, transportent de l'eau contenue dans des bouteilles vert clair, qui seront dirigées sur Marseille ou le Havre. Avenue des Sources, ce sont les vastes bâtiments de manutention, de mise en bouteilles ou en bonbonnes, opérations fort intéressantes, rapides, ingénieuses et auxquelles on peut assister. C'est ensuite dans un hall aux grandes et belles proportions la grande buvette de la Source Cachat. En face, près de l'escalier qui conduit au Splendide Hôtel, la buvette du Parc, de style roman, plus loin, le griffon de la source Cachat, encore intéressant à visiter, la source des Cordeliers, la source Première, la source des Grottes.
Sur le quai Baron de Blonay, ancien administrateur de la ville, se dresse l'établissement thermal, surmonté d'une coupole, de trente mètres de haut ; dans le hall octogonal d'où partent les escaliers et les couloirs de service et l'ascenseur, quatre fontaines, allégories des sources Cachat, Bonnevie, Clermont, Cordelier, dispensent l'eau dans des vasques de marbre rouge. Au Casino, l'eau des sources Clermont et des Cordeliers est à la disposition du public. L'eau d'Evian Cachat est encore sur toutes les tables des restaurants et dans les hôtels, c'est le verre d'eau pour la nuit, et un service spécial en assure la distribution en cruchons bleu de Sèvres, dans toutes les maisons particulières et les villas. (Alphonse Guillot, opus cité, page 38)

225. Henry Verne : "Evian".

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La nature qui a répandu ses trésors sur les rives enchanteresses du Léman s'est plu à les grouper à Evian en un ensemble des plus harmonieux. Les alentours sont eux-mêmes pleins de poésie. Nous sommes loin de l'aspect un peu rude et sauvage de Meillerie ou de Saint-Gingolph; les sites se sont peu à peu adoucis, le paysage s'est magnifié ; une teinte chaude s'épand sur les prairies et vergers. La végétation est d'une vigueur étonnante. […]
Evian-les-Bains, la station haut-savoisienne à la mode, la ville d'eaux de renommée mondiale compte environ 4.000 habitants. Son climat d'une action sédative remarquable, est tempéré et très heureusement équilibré ; il convient admirablement aux tempéraments nerveux, aux organismes surmenés. L'hygiène de la station est parfaite et, d'année en année, des embellissements successifs accentuent « encore le cachet moderne d'Evian. Monuments anciens et modernes, quai merveilleusement ombragé, bordé de constructions somptueuses, banlieue de villas et de châteaux, environs délicieusement pittoresques. Tout à Evian concourt à séduite l'hôte de passage, à le retenir ou à le ramener par le charme puissant « des souvenirs. (Henry Verne : "Le lac Léman)

224. Docteur Bordet : "Evian, panorama splendide".

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Ce panorama splendide, ces sites privilégiés qui charment les yeux, reposent l'esprit et le corps, font d'Evian une station balnéaire unique appropriée aux dernières exigences, où le malade trouve à la fois le « calme et la distraction. Dans le choix à faire d'une station, dit le Docteur Macé, on doit tenir compte non seulement de la composition chimique de l'eau, mais aussi du climat, de l'altitude, des ressources de la station, des habitudes du malade, de ses dispositions morales. Tout dans cette zone tempérée concourt à donner aux grandes fonctions de l'organisme, l'impulsion « la plus forte et la plus salutaire. Un court aperçu sur- la beauté du paysage, sur les conditions cosmiques et telluriques, sur les agréments d'Evian n'est point un hors-d'oeuvre.
Protégé des vents du midi par les contreforts des Alpes, Evian jouit d'une température douce ; les chaleurs de juillet et août, toujours tempérées par une légère brise, n'amènent jamais ces journées lourdes, brûlantes qui accablent, anéantissent et créent un état nerveux des plus pénibles. Pendant l'hiver, il est rare que le thermomètre descende plus bas que 5°, au-dessous de zéro ; le climat modéré que nous devons au voisinage du lac, permet de cultiver en plein vent le figuier, le grenadier et une - grande variété de plantes d'orangerie. (Docteur Gaspar Bordet in "Evian Médical")

223. Alphonse Guillot : "Arrivée en Chablais".

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Après un arrêt de quelques minutes le train avance dans les rayons de soleil faisant fuir les papillons jaunes, bleus, posés sur les fleurs des talus, la vue s'élargit, le lac prend plus d'ampleur, un léger brouillard en estompe encore la surface ; on a une impression analogue à celle éprouvée sur la côte normande, près de Dives-Cabourg.
Dans la plaine, le delta de la Dranse s'étend sur plusieurs kilomètres de largeur et de profondeur. C'est un immense dépôt d'alluvions, de sable et de galets apportés des montagnes, roulés depuis des milliers et des milliers d'années par les torrents aux eaux fougueuses dans les hauteurs, et qui maintenant, assagies, calmes, s'écoulent en plusieurs petites branches sous les ruines d'un pont datant de l'occupation romaine et, contraste bien moderne, alimentent une manufacture de papier à cigarettes.
On prend de plus en plus contact avec le panorama qui attire, émerveille, captive, et exerce son influence sur tous les voyageurs, même sur ceux qui le connaissent ; nul n'y reste indifférent. De l'ensemble, se dégage une impression toute particulière faite de douce langueur du voyage, des sites traversés, des groupes de touristes aperçus dans les gares, et sur les routes, de l'apothéose offerte aux regards par la nature, qui, du chaos des montagnes, des dentelures de la Dent d'Oche, descend jusqu'aux molles ondulations de la terre et à la surface unie du lac. (Alphonse Guillot, opus cité, page 15 et 16)
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Le viaduc ferroviaire de Longeray au défilé de Fort l'Ecluse.

222. Alphonse Guillot : "A propos du Chablais".

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«Le Chablais - d'après Bertholotti - est la perle la plus petite, mais la plus brillante de la couronne ducale de Savoie. Cette expression un peu dynastique dessine toutefois d'une manière assez pittoresque l'aspect d'une « contrée trop belle sous le rapport des sites, des magnificences naturelles et de la fertilité du sol pour n'avoir rien à envier aux cantons de Genève et du Valais qui forment les trumeaux extrêmes du cadre dans lequel elle est pour ainsi dire enchâssée.
Cadre admirable dont les branches latérales sont d'un côté le Léman aux eaux diaphanes larges et profondes, de l'autre, le Faucigny avec ses pyramides de montagnes gigantesques dont la tête se couronne de neiges éternelles, tandis que leurs flancs cachent comme autant de nids de verdure, les plus charmantes « vallées que le voyageur puisse visiter.
Sans avoir des montagnes aussi majestueuses et surtout aussi renommées que le Faucigny, le Chablais, dans la ramification des Alpes qui couronnent les hauteurs, offre aux touristes quelques excursions pleines de charmes, telles que celles des dents d'Oche, des Memises, des cornettes de Bise.
Le Chablaisien est affable et hospitalier, le sexe est remarquable dans plusieurs localités et le montagnard est doué de la plus robuste constitution. On retrouve le type de la race bourguignonne - Burgondes - dans les habitants de cette province qui « ont en général une taille élevée, les yeux bleus, les cheveux blonds et la peau blanche. (Joseph Dessaix : Evian-Thonon)
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Evian, l'ancienne métropole du pays de Gavot - lieu solitaire - est la seconde ville du Chablais. Assise dans la contrée la plus délicieuse et la plus enchantée que l'on puisse imaginer, elle tire son nom et sa célébrité de ses eaux minérales et s'élève en amphithéâtre comme pour se mirer dans la limpidité de son lac. Située sur la route romaine reliant l'Alpe Pennine à Genève, elle fut connue des maîtres du monde « qui recherchaient avec soin les stations thermales. Son nom Evian - du celtique EW. Evoua, eau - dit que son origine se perd dans la nuit des temps ; les Romains le traduisirent par Aquianum (L.E. Piccard : Thonon-Evian : le Chablais moderne)
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Borne marquant la frontière entre le canton de Genève et le Chablais

221. Alphonse Guillot : "Impressions de voyage" : dédicace.


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"EVIAN-LES-BAINS , le Lac Léman, la montagne.
Impressions de voyage et de séjour" par Alphonse Guillot
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Ce modeste ouvrage est dédié à vous, Madame,
qui me l'avez demandé, et au nom de notre amitié.
Mais, je veux également le dédier à vos soeurs,
à toutes les inconnues d'hier, d'aujourd'hui, de demain,
à toutes les âmes qui auront aimé, souffert parfois,
et recherché la beauté et l'idéal.
à tous ceux qui auront respiré et senti passer sur leur front
l'air pur et frais des Alpes.
à tous ceux qui auront admiré
les vertes campagnes de la Savoie,
contemplé l'azur du ciel et les feux du soleil couchant
se reflétant dans les eaux limpides du lac Léman.
à tous ceux qui auront senti cette émotion particulière, pénétrante et douce, dont on est saisi devant ce vaste et prestigieux panorama.
et à tous les habitants de la Haute-Savoie, et des rives du Léman, où je me plais à vivre, et voudrais reposer. (Alphonse Guillot. clos petite source, Evian-les-Bains)

2.14.2008

220. Evian : la fondation de l'établissement thermal.

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Autorisation pour la fondation d'un établissement thermal----------------------------CHARLES FÉLIX, par la grâce de Dieu Roi de Sardaigne, de Cypre et de Jérusalem, duc de Savoie, de Gênes, prince de Piémont,
François Fauconnet, de Genève, désirant établir des bains publics à Evian avec la source d'eau alcaline gazeuse qui sourd d'un jardin appartenant à Gabriel Cachat,
Nous a suppliés de lui permettre d'acquérir tant le jardin où jaillit ladite source, que d'autres immeubles adjacents appartenant audit Cachat, à ,la Ville d'Evian et à divers autres particuliers indiqués dans le plan signé Gruz joint à la supplique dudit Fauconnet ;
Les avantages que représenterait cet établissement pour cette partie de notre Province du Chablais, Nous ayant déterminés à accueillir favorablement cette demande, c'est pourquoi de notre science certaine et autorité Royale, eu sur ce l'avis de notre Conseil, avons permis et permettons à François Fauconnet de Genève d'acquérir et posséder ladite source d'eau et les immeubles indiqués sur ledit plan, situés dans les deux milles frontière, et figurés sous les numéros 1584, 1584 […] 2139de la mappe de fa ville d'Evian, de la contenance totale de mil six cent quatre-vingt-dix neuf toises, sept pieds, à la forme du plan signé Gruz en date du 2 octobre passé, lequel restera joint aux présentes, après avoir été visé par notre Premier Secrétaire d'Etat pour les affaires internes, lesdits immeubles appartenant les uns à Gabriel Cachat, et les autres à la ville d'Evian, à Antoine Constantin, à la veuve Gurnel, aux hoirs Martin, à François-George et Claude Coffy, aux hoirs Vadaux, aux hoirs Morel, à Gaspard Chatillon et à Marie Jacquier, en tant toutefois que ceux-ci consentent à vendre leurs respectives propriétés.[…]
Mandons à notre Sénat de Savoie d'enregistrer les présentes, de les observer et de faire observer suivant leur forme et teneur; car ainsi Nous plait.
Données à Turin, le vingt du mois de janvier l'an de grâce mil huit cent vingt-six et de notre Règne le sixième. Signé Charles-Félix
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Source : Brochure "Evian au fil du temps"
Médiathèque Ch. RAMUZ. Evian

219. Evian : une eau miraculeuse. 2/2

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UNE EAU MIRACULEUSE : LETTRE DE LA COMTESSE LOUISE-FRANÇOISE DE LESSERT A SON AMIE RENÉE DE MIREMONT (seconde partie)
Château de Blonay à Evian par Amphion, ce 21 septembre 1790.
Or c'est ici que nous entrons dans l'extraordinaire, même dans le merveilleux: au bout de quelques jours de ce manège, le marquis a cru se sentir mieux, le sommeil et l'appétit lui revenant un peu en même temps que l'humeur agréable et la vivacité du regard. Je tremblais à part moi que ce mieux ne fut qu'un leurre. C'est alors, ma chère Renée, que l'idée me vint de suggérer au malade d'abandonner quelques jours à la suite l'emploi de cette eau singulière. Il s'y résigna sur mon conseil mais avec peine. Et qu'en advint-il ? Vers le cinquième jour de cette abstention, la maladie reparut plus aigue, plus torturante que devant. Il n'y avait qu'à revenir au remède.[…]
Le comte est à peu près remis; son rétablissement n'est plus qu'une affaire de jours. Il ne tarit pas d'éloges sur les vertus de l'eau qui l'a guéri, et se propose pour utiliser ses loisirs d'écrire par le détail la narration de sa cure. […] Votre chère Françoise est dans le ravissement. Elle ne cesse de bénir le ciel qui l'a conduite en ce pays qu'elle tient maintenant pour le plus plaisant qui soit au monde. C'est qu'elle le voit en femme heureuse, en épouse aimée qui - approchez bien près votre oreille de mes lèvres - qui sera mère. Je vous embrasse bien fort pour cacher ma rougeur. Votre tendre et très heureuse . L. Françoise de Lessert

2.08.2008

218. Evian : une eau miraculeuse. 1/2

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LETTRE DE LA COMTESSE LOUISE.FRANÇOISE DE LESSERT A SON AMIE RENÉE DE MIREMONT

Château de Blonay à Evian par Amphion, ce 21 septembre 1790.

Ma chère Renée,

Que je vous fasse vite part, après vous avoir tendrement embrassée, de certain événement heureux lequel me met en si grande joie que mes esprits en sont tout à l'envers. […] Vous savez que M. de Lessert depuis bien des années souffre du rein et de l'estomac. Ces affections, qui tenaient en échec tout le savoir des médecins, tourmentaient à tel point le comte que l'existence lui était devenue un supplice de chaque instant. Son caractère aimable et enjoué, heureux résultat d'un tempérament bien équilibré et d'une parfaite égalité d'humeurs, s'était, à la longue, altéré profondément, passant du doux à l'aigre, du galant.au grognon ; là, le mot est lancé !
C'est l’effet ordinaire, parait-il, de ces sortes de maladies. Mon rôle d'épouse vous savez combien affectionnée avait ainsi mué en celui de garde de malade, ce dont je me trouvais tant marrie que mortifiée.
Sur la consultation des médecins tous en accord, nous sommes, il y a quatre mois pleins, partis de Montaiguz sans grand domestique, nous dirigeant à petites journées sur Amphion en Chablais, à quelques lieues de poste de Genève, tout au bord du lac Léman que tout le monde dit à raison être le plus beau du monde. Comme nous arrivions, là Cour de Savoie qui y vient de temps à autre depuis Turin, s'en allait, et nous avons pu ainsi, sans autre incommodité que de renoncer à toutes nos aises, nous loger dans une méchante hôtellerie du près de l'eau.
Chaque jour après avoir fait usage des eaux martiales qui le devaient guérir, M. de Lessert se laissait promener un peu aux environs dans sa chaise, car il ne pouvait presque plus marcher. Certain dimanche du mois passé, ses porteurs le menèrent jusqu'à Evian, assez gros bourg de ce que l'on nomme ici Pays de Gavot, je ne sais pourquoi. Passant près d'une eau qui coulait belle et fraîche, s'échappant d'un jardin au midi, il s'en désaltéra abondamment, le site d'Evian lui ayant par ailleurs plu beaucoup, il s'en est fait porter le lendemain et les jours suivants et a continué à boire de cette eau qu'il trouvait agréable.

Extrait de la brochure "Evian au fil du temps"
Médiathèque Ch. RAMUZ. Evian

217. Le tour de la France par deux enfants. 3/3.

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Fac-similé des pages dont le texte est reproduit dans le message 216
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2.07.2008

216. Le tour de la France par deux enfants. 2/3

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Le clair de lune était splendide, la route lumineuse comme en plein jour; mais l'air était froid, car il gelait sur ces hauteurs, et les noirs sapins avaient sur toutes leurs branches de grandes aiguilles de glace qui brillaient comme des diamants.
Après plusieurs heures de marche sur une route toujours montante, on traversa un dernier défilé entre deux montagnes.
- Vous savez sans doute, mes enfants, dit alors M. Gertal, que nous sommes ici à deux pas de la Suisse, et nous arriverons bientôt au haut d'un col d'où l'on découvre toute la Suisse, la Savoie et les Alpes. Descendons de voiture, et nous regarderons le soleil se lever sur les montagnes : le temps est pur, ce sera magnifique.
Le petit Julien en un clin d'œil fut éveillé, il se hâta de sauter sur la route et courut en avant. Mais André l'avait devancé, et lorsqu'il fut au sommet du col:
- Oh Julien, s'écria-t-il, viens voir !
L'enfant arriva vite. Les deux frères se trouvaient placés au haut de la chaîne du Jura comme sur une muraille énorme presque droite. A leurs pieds s'ouvrait un vaste horizon: la Suisse était devant eux. Tout en bas, dans la plaine, s'étalait à perte de vue le grand lac de Genève, le plus beau de l'Europe, dominé d toutes parts par des montagnes blanches de neige.
- Comme ce lac brille sous les rayons de la lune! dit Julien; moi je l'aurais pris volontiers pour la mer, tant je le trouve grand !
- Mais dis-moi, André, comment s'appellent ces montagnes là-bas, si hautes, si hautes, qui enferment le lac comme dans une grande muraille?
- Ce sont les Alpes de la Savoie, dit M. Gertal qui arrivait. A nos pieds est la Suisse, mais à droite, c'est encore la France qui se continue, bornée par les Alpes. Dans la Savoie, en France, se trouvent les plus hautes montagnes de notre Europe. Ces neiges qui couvrent leurs sommets sont des neiges éternelles.
- Vois-tu, en face de nous, sur la droite, ce grand mont dont la cime blanche s'élève par dessus toutes les autres? C'est le Mont Blanc. Il y a sûrement sur sa cime glacée des neiges qui sont tombées depuis des siècles et que nul rayon du chaud soleil d'été n'a pu fondre.
- Quoi! vraiment? dit Julien, d'un air réfléchi, en poussant un soupir d'étonnement.
- Oui, continua M. Gertal, chaque hiver de nouvelles neiges recouvrent les anciennes. Aussi, aux endroits où la montagne en est trop chargée, il suffit d'un coup de vent, [...] pour ébranler des blocs de neige et de glace entassés; ces blocs s'écroulent alors avec un bruit effroyable, écrasent tout sur leur passage, ensevelissent les troupeaux, les maisons, parfois des villages entiers. C'est ce qu'on appelle les avalanches. (pages 85 et 86)

215. Le tour de la France par deux enfants. 1/3.

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In "Le tour de la France par deux enfants" de G. BRUNO

Le tour de la France par deux enfants est un manuel scolaire qui a été écrit par Mme Augustine Fouillée (née Tuillerie) sous le pseudonyme de G. Bruno. Publié en 1877, il a été réédité près de 400 fois. Il a donc servi pendant près de 50 ans de manuel scolaire. Le charme de ce livre de lecture provient à la fois de son histoire pleine de bons sentiments, prétexte pour aborder la géographie de la France, son histoire, les sciences et techniques, mais aussi des 220 gravures de cette édition. 30 ans après l'avoir lu pour la première fois, il tout à fait possible de passer dans un coin de France et de reconnaître un lieu ou un paysage.

http://www.demassieux.fr/Site/Tour_de_la_France.html

2.06.2008

214. Les pastels de la Comtesse de Noailles. 2/2.

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Deux "pastels" de la comtesse de Noailles
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Source : collection de la ville d'Evian

2.04.2008

213. Les pastels de la Comtesse de Noailles. 1/2.

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Source : Ville d'Evian

212. Bernard Sache : "Les barques du Léman".

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Bernard SACHE
"Meillerie ou les cailloux de la gloire".
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Silhouettes emblématiques du Léman d'autrefois, les barques en oreilles chargées à ras bord des cailloux de la gloire, ont pendant près d'un siècle, acheminé vers Genève et les autres villes lémaniques, ces pierres à bâtir, arrachées par les Meillerans aux falaises surplombant leur village. Ces barques de Meillerie symbolisent la période la plus mouvementée et fructueuse d'une localité, guère connue autrement qu'un refuge de l'amour malheureux décrit par un certain Jean-Jacques Rousseau.
Bernard Sache, dont les ancêtres furent intimement liés à la saga Meillerane, - son grand-père Simon, batelier du Léman ne fut-il pas amputé de sa chair et de sa raison de vivre par la Grande-Guerre - met ici en scène le drame de cette communauté âprement confrontée à une Nature belle mais avare et terriblement difficile.
L'auteur, après une vie professionnelle consacrée à l'enseignement et à la formation, accomplit un travail de mémoire avec passion, verve et compétence, à la recherche du destin de ceux de Meillerie luttant farouchement pour leur survie.

211. Les barques du Léman et la voile latine

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Les barques de Meillerie, en 1912
(collection personnelle de François MARMOUD que je remercie)

1. Les études d’archéologie lacustre portant sur l’histoire des bateaux du Léman, montrent la coexistence de deux familles de navires : le bateau à fond plat, navis et la barque sur quille, galea, inspirés des galères militaires et marchandes méditerranéennes. La batellerie lémanique tire profit des experts en construction navale que sont les Vénitiens, Génois, Niçois et Provençaux que l’on retrouve sur les côtes du Léman dès la fin du XIIIème siècle. Invités par les ducs de Savoie - les Bernois, Valaisans et Genevois - à construire des navires leur permettant d’assurer leur empire commercial et politique, ils stimulent l’évolution architecturale de la flotte lacustre. À la fin du XVème siècle, période de troubles politiques et religieux, il devient nécessaire de posséder des embarcations rapides et sûres. Des bateaux inspirés des navires marchands méditerranéens, de la famille des galères, apparaissent alors. Quant à la voile latine, elle est importée en Suisse à la fin du XVIème siècle par un constructeur vénitien. Ces « barques » constituent donc les ancêtres de la barque du Léman – inventée à Genève au cours du XVIème siècle – et dont l’évolution architecturale aboutit à un navire de transport particulièrement bien adapté au contexte lacustre
2. La voile latine, c'est peut-être la plus ancienne de toutes les voiles auriques du monde ; on en connaît des représentations précises sur des manuscrits Byzantins du IXème siècle, elle y est exactement semblable à certaines de celles que nous avons connues jusqu'à aujourd'hui. C'est la voile de la mer latine : C'est à dire de la méditerranée occidentale. C'est la voile des Italiens, des Provençaux, des Espagnols, des Portugais et aussi des Maghrébins. C'est la voile des galères, des tartanes, des felouques et des chébecs.
La voile latine a joué un rôle primordial dans l'histoire des techniques de la voile, c'est elle qui est à l'origine de toutes les voiles axiales modernes : celles des sloops, celles des cotres, et plus près de nous celles des planches à voile dernières nées des inventions véliques occidentales.
Voile triangulaire ou quadrangulaire qui fonctionne indifféremment en recevant le vent, selon le côté d'où il souffle, sur sa face tribord ou bâbord mais dont la chute, côté vertical, avant est toujours au vent et sa chute arrière toujours sous le vent
Voile triangulaire et enverguée sur une antenne, c'est une voilure très commune en Méditerranée, ce qui explique aisément son appellation. De ce groupement nous retrouvons le Foc (du néerlandais Fok), dont nul n'ignore la forme. Il existe également le Grand Foc qui se hisse à la tête du petit mât de hune ; le Foc d'Artimon (du grec Artemo) s'installant entre le grand mât et le mât d'artimon. En Suisse, c'est aux bernois et à leur goût affirmé pour l'économie que le Léman doit ses merveilleuses barques de commerce à voile latine.
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A lire : Bernard SACHE : "Meillerie où les cailloux de la gloire" (voir 212)

210. Alphonse Guillot : "La saison d'Evian".

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Aux XVIIème et XVIIIème siècles, la fontaine ferrugineuse d'Amphion était fréquentée par les princes de Savoie dont la cour attirait les seigneurs et les nobles des environs en leur château d'Evian.
Voici quelques lignes extraites d'une communication faite à un Congrès des Sociétés savantes :
« La célébrité des eaux s'accroît par la présence de leurs altesses royales, qui reçoivent les étrangers avec une politesse et une liberté qu'on n'avait pas vues jusqu'ici. Le duc et la duchesse se rendent à la fontaine chaque matin, sur un bateau décoré et manoeuvré par des matelots, revêtus de toile de Hollande. L'arrivée et le départ des princes sont annoncés par une bordée de canons dont le bruit fait naître dans les coeurs la sérénité et la joie. Le lac de Genève semble le rendez-vous de la paix, le temple de la joie ; tous les, coeurs y manifestent la satisfaction des plaisirs dont ils sont enivrés. Des riches et fortunés rivages du pays de Vaud, descendent de nombreuses princesses ou duchesses « qui foulent le débarcadère" .
[...] Amphion par ses modernes et somptueuses propriétés sur le lac, les parcs, les terrasses, les débarcadères, semble continuer ces temps écoulés, et c'est dans le parc des anciens bains d'Amphion que l'Hôtel des Princes a été édifié. En partant de la plage d'Evian, s'espacent sur la rive le château du Martelay avec ses quatre tours, la villa Désirée, les Hortensias, les Lilas, le château de la Léchère, la villa de la Sapinière, bas-relief dû au ciseau de Falguière, le Pré Curieux, le Pré Riant, la Folie Amphion très moderne, très fleurie, le Pré Fleuri, Bassaraba, avec sa tour à créneaux, propriété de la princesse de Brancovan où Mme la comtesse de Noailles, Anna de Brancovan, passa son enfance, écoutant chanter en elle toutes les voix de la lumière, les beautés de la nature, les sons, les parfums, les vols d'ailes que ses poèmes nous ont transmis.
Alphonse Guillot, opus cité page 58

2.01.2008

209. Alphonse Guillot : "Une fête à Evian".

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A quelques minutes d'ici, sur une esplanade naturelle, existe encore un magnifique bois de châtaigniers, qui fut au XVIIème siècle le rendez-vous favori de la société élégante qui fréquentait les eaux de la contrée durant la saison. Un auteur a décrit ces fêtes en ces termes (Congrès des Sociétés savantes, Evian) :
"Dans l'après-midi, une longue file de chars dorés sur une longueur d'une lieue et demie conduit le sexe le plus brillant en promenades sur les bords du lac, les femmes se reposent sous les châtaigniers du bois de Blonay et des peintres empressés fixent sur la toile les scènes les plus tendres. La musique fait entendre des notes harmonieuses. Pan, au son de sa flûte, éveille les nymphes des eaux et les sylvains de la Forêt ; les hommes de service dressent les tables avec des fruits délicieux, du champagne et du bourgogne, qu'on déguste entre deux danses.
Un amant alors s'enfonce en secret avec son amante dans les allées ombreuses du parc pour goûter la «solitude, le charme de cet asile enchanteur.
La fête finie, les voitures reprennent la route d'Evian et d'Amphion, escortées au loin par les bateaux enguirlandés qui voguent sur le lac cependant qu'une troupe d'artistes fait entendre les mélodies d'une «fanfare de hautbois. [...]
Musique légère, gavottes et menuets, robes de soie à paniers, qui à la contredanse saviez découvrir le pied et laisser deviner la jambe, chapeaux bergère qui ombriez les yeux et donniez plus de douceur au regard, rubans Fontanges ou Pompadour qui flottiez au vent, dentelles d'Alençon ou de Malines qui couvriez ou découvriez les épaules, parfums d'ambre et d'iris, d'oeillet et de jasmin, coeurs sensibles, belles et tendres amoureuses, qu'êtes-vous devenus ?
Les décades ont passé comme les hivers qui neigent sur nos fronts. Donnons-leur ce souvenir et souhaitons que les violons de Lulli et de Mozart se fassent toujours entendre. (Alphonse Guillot, opus cité, page 57)

208. Le bureau d'Anna de Noailles.

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Le bureau de la Comtesse de Noailles, exposé à Evian
lors d'une exposition organisée au Chateau de Fontbonne .

207. Jean Cocteau évoque Anna de Noailles

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Texte de Jean Cocteau
extrait de l’ouvrage "La Comtesse de Noailles, oui ou non"


Rien ne prouvera donc aux intellectuels que la comtesse Anna de Noailles soit un très grand poète, car la toute mystérieuse sexualité dont je parle n'est pas le fait d'un milieu qui confond avec du brio ce qui brille et pour lequel un certain ennui semble être le signe de sérieux et le privilège de chef-d'œuvre. Après une gloire que peu de personnes vivantes connurent, la comtesse de Noailles tomba brutalement dans la fosse commune où la gloire, qui est femme, abandonne les cendres de ceux qui ont trop voulu se faire aimer d'elle. [...] La comtesse fut la pâture de ces clames terribles qu'elle croyait ensorceler par ses charmes.
« Je n'étais pas faite pour être morte »,
ajoute Anna de Noailles et, s'adressant à sa jeunesse
La bouche pleine d'ombre et les yeux pleins de cris
Je te rappellerai d'une clameur si forte
Que pour ne plus m'entendre appeler de la sorte
La mort entre ses mains prendra mon cœur meurtri.
Quatre vers qui suffiraient pour convaincre la gloire si cette déesse était accessible à l'attendrissement. [...]
Un soir de novembre 1918, j'entendis Joseph Reinach dire à la comtesse : « Il existe en France trois miracles : Jeanne d'Arc, la Marne et vous ». Moréas la surnommait l'abeille de l'Hymette. Quelle jeune femme ne s'enfiévrerait de tels éloges ! Roumaine par les Brancovan, grecque par les Musurus, portant un : des noms les plus représentatifs de l'aristocratie française, sanctifiée déjà, petite:fille, au bord du lac de Genève par l'extase d'une mère, pianiste virtuose, la comtesse se laissa glisser sur la pente où j'eusse continué de glisser moi-même si je ne m'étais aperçu à temps que ma glissade était une chute vertigineuse. Cette chute se termine fort mal pour ceux qui refusent la porte étroite et se laissent pousser par les flatteurs.
[...] Hélas ! la comtesse adorait cette éloquence à laquelle Verlaine conseille de tordre le cou. Il arrivait à l'oraculeuse sibylle de tomber dans le bavardage et je l'ai vue, à table, boire de la main droite et agiter la main gauche afin que les convives ne lui enlèvent pas le crachoir.
[...] La comtesse se bouchait les oreilles à ce qui n'était pas fanfare. Comme les charmantes rainettes, dont elle avait les mains étoilées, la taille fine et la gorge palpitante, elle ne résistait pas au rouge. Pourpre des Césars ou Cardinalice, cravate de la Légion d'honneur, drapeau socialiste, n'importe quel rouge et la voilà prise.
C'est d'une conception naïve de la grandeur qu'elle fut victime. [...] La comtesse se refusait d'admettre que des oeuvres closes l'emportassent parfois sur des œuvres. ouvertes et ne pouvait imaginer que le poète de "Une saison en enfer" partagerait vite avec Hugo le privilège officiel des figures sur les timbres-poste.
Seulement, rien de tout cela ne compte à côté des trésors qu'elle mélangeait avec un bric-à-brac de bazar oriental. Son honneur est justement, à mon estime, de n'avoir pas su faire le partage et de montrer par là qu'elle logeait un ange auquel il advint de guider sa plume lorsque, malade ou lasse d'un excès de vie, elle consentait à se taire et à lui céder sa place.
Le prodige de la comtesse qui faisait Léon- Paul Fargue s'écrier : « La mâtine ! Elle a encore tiré dans le mille ! », c'est lorsque, sans directives et sans contrôle, l'expiration, prise pour inspiration (car elle ne sort pas de quelque ciel mais de nos entrailles) se mettait à vaincre des couches de matières mortes, à jaillir comme la flèche du Zen, seule consciente du but.
Elle estimait qu'en tirant à l'aveuglette, il y a des chances pour que quelques balles atteignent la cible. On regrette que ces balles chanceuses soient des balles perdues, et que pour sauver certaines strophes il faille en abandonner d'autres. Sans doute se référait-elle à l'exemple torrentiel de Hugo. C'est alors qu'il ne s'agissait plus de fleurs qui rêvent de finir dans des vases, ni de ce délire que la comtesse confondait avec le sublime. Brusquement, sa foudre invente de surprenantes audaces, sa flèche quitte l'arc, traverse des désordres, frôle la catastrophe et se plante dans la pomme, sur la tète du fils Tell.
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Une version différente et complémentaire de cet hommage est publiée dans le message 347. Dans la même série (350-341), le lecteur pourra prendre connaissance des témoignages de Maurice Barrès, Charles Maurras, François Mauriac, Edouard Herriot, Emmanuel Berl, Colette, Jean Rostand et Francis Jammes.