10.06.2007
112. François-René de Chateaubriand : "A Coppet".
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Je suis allé hier visiter Coppet. Le chateau était fermé; on m'en a ouvert les portes; j'ai erré dans les appartements déserts. Ma compagne de pélerinage a reconnu tous les lieux où elle croyait voir encore son amie.[...]
Du chateau, nous sommes entrés dans le parc; le premier automne commençait à rougir et à détacher quelques feuilles; le vent s'abattait par degré et laissait ouïr un ruisseau qui faisait tourner un moulin. Après avoir suivi les allées qu'elle avait coutume de parcourir avec Madame de Staël, Madame Récamier a voulu saluer ses cendres. A quelque distance du parc est un taillis mêlé d'arbres plus grands, et environné d'un mur humide et dégradé. ce taillis ressemble à ces bouquets de bois au milieu des plaines que les chasseurs appellent des remises : c'est là que la mort a poussé sa proie et renfermé ses victimes. [...]
Je ne suis point entré dans le bois. Madame Récamier a seule obtenu la permission d'y pénétrer. Resté assis sur un banc, devant le mur d’enceinte, je tournais le dos à la France et j’avais les yeux attachés tantôt sur la cime du Mont-Blanc, tantôt sur le lac de Genève. Les nuages d’or couvraient l’horizon derrière la ligne sombre du Jura. On eut dit d’une gloire qui s’élevait au-dessus d’un long cercueil.
J’apercevais de l’autre côté du lac la maison de Lord Byron dont le faîte était touché d’un rayon du couchant. Rousseau n’était plus là pour admirer ce spectacle et Voltaire, aussi disparu, ne s’en était jamais soucié. (Mémoires d'outre Tombe, Livre 36 - Genève, fin de septembre 1832)