2.15.2008

242. Pierre Lartigue : "Sur le lac, au temps des bacouni".

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Quelque chose bougea dans le paysage, et attira son attention. C'était en bas, dans la profondeur azurée du vide. Le long de la ligne dentelée des bois, qui masquait la rive et le village, une forme se mouvait, se détachait lentement de la côte et avançait vers le large. C'était une barque, une des grandes barques de Meillerie qui, profitant de la Vaudaire qui se levait, était sortie du port. De cette hauteur, on ne voyait guère la coque, sans doute lourdement chargée, mais seulement, sur leurs antennes croisées, les deux grandes voiles triangulaires qui dessinaient, chacune vers son bord, les ailes d'un oiseau qui prendrait son essor. Bientôt une deuxième apparut, puis une troisième. Suspendues dans l'espace, elles suivaient l'une après l'autre la même ligne uniforme du vent, dans une allure benoîtement paisible, régulière et équilibrée, celle de trois servantes en marche pour apporter chacune quelque offrande à un personnage invisible dans le lointain, en l'honneur de qui elles auraient revêtu leur plus belle coiffe, dont la blancheur lumineuse étonnait par sa netteté dans tout ce large environnement bleu et vague.
Longtemps, Joseph suivit des yeux le lent cheminement des trois barques, puis il vit leurs formes successives s'évanouir derrière le rideau de verdure qui, sur sa gauche, fermait la vue. Il restait ébloui de cette apparition, comme s'il n'avait jamais vu, auparavant, les gracieuses allées et venues qui rythmaient la vie de son village, ces arrivées et ces départs quotidiens vers le fond du haut lac, ou vers la rive opposée, ou Evian, ou Genève, dans une ronde incessante de chargements et de déchargements.
Quel que fût le temps, il y avait toujours un transport à faire. Le nombre des barques, dans le port, augmentait régulièrement. On embauchait des bateliers dans tous les villages du canton. Lui-même avait, à la fin du service et avant son mariage, hésité à prendre ce métier qui le tentait. Puis il avait connu Marthe, et tout s'était joué. Il sentait en lui, maintenant, comme une amertume inquiète de s'être laissé séduire si facilement par la sécurité monotone de la vie de cafetier. (Pierre Lartigue. "Charlotte des carrières", page 15)

241. Pierre Lartigue : "A Meillerie".


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A Meillerie, la montagne tombe si raide sur le lac que, dès novembre, on ne voit quasiment plus le soleil de deux mois. Il y a juste la place pour le village, tourné vers le Léman; et vers le nord. Sur le haut du village, […] tout de suite, la pente qui s'élève dans les bois; ou, passées les dernières maisons, les carrières, au-dessus du port. Pas le moindre petit champ qui serait plat, pour y faire un peu d'orge; et même, elle viendrait mal; ni même un pré, où mettre deux vaches. Le village vit de la pêche, et surtout des carrières. En face, de l'autre côté du lac, les Suisses ont toutes les veines, eux: de jolis coteaux bien ensoleillés, des vignes en veux-tu en voilà, des petites villes claires, nettes et propres. Ici, la pierre est grise, et la montagne vert sombre, presque noire. On s'y fait.
Joseph soufflait, dans sa montée. Depuis quelques mois, avec la vie sédentaire qu'il menait, il s'empâtait. Il décida de faire une pause, avança jusqu'au lacet suivant, où les sapins clairsemés laissaient une large ouverture sur le ciel, et s'installa sur une pierre au bord du chemin.
Sous ses pieds, et devant lui, s'arrondissait l'immense coupe bleue du lac, tout juste cernée, au loin, par la côte suisse qui formait comme un liseré pâle et doré, dans la brume légère du matin, entre l'eau et le ciel. Sous lui, la brosse sombre des crêtes de sapins, encore dans l'ombre, filait comme un vertige en marquant quelque temps les distances, puis s'évanouissait. A droite, les premières montagnes du pays de Vaud émergeaient en plaques brillantes et renvoyaient les éclats du premier soleil, jets lumineux portés par les souffles légers d'une brise d'est qui venaient lécher la surface du lac, faisaient fondre sous les risées les aires d'eau tranquille, en un immense mouvement concentrique et silencieux, comme si toute cette masse immobile d'air et d'eau allait, lentement, se décaler vers l'ouest.
Joseph, perdu dans une rêverie vague, soupirait de joie devant cette grandeur du lac, devant cette majesté paisible, où les vapeurs fuyantes découvraient un infini de possibles, un mirage de bonheur souhaité.

Pierre Lartigue.
"Charlotte des carrières", page 14. Collection Espace et Horizon, Editions Cabedita, BP 09, 01220 DIVONNE LES BAINS. Je recommande à mes lecteurs les remarquables collections de cette maison d'édition dont le site mérite une visite attentive : http://www.cabedita.ch/

240. Alain Mickiewicz : "Sur cette onde immense"

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Sur cette onde immense et limpide,
Des rangs de rocs étaient dressés
Et l'abîme d'eau translucide
Refléta leurs fronts obscurcis.

Sur cette onde immense et limpide,
Des nuages noirs ont passé
Et l'abîme d'eau translucide
Refléta leurs corps imprécis.

Sur cette onde immense et limpide,
Dans un fracas, l'éclair courut
Et l'abîme d'eau translucide
Refléta son feu -l'air se tut.

Et l'onde demeura limpide,
Toujours immense et translucide.
Cette onde est partout sous mes yeux :
Tout, fidèlement, je reflète;
Le front des rochers orgueilleux
Non plus que l'éclair, ne m'arrête.

Il faut, au rocher, menacer;
Au nuage, son eau verser;
Que l'éclair meure après sa rage ;
Moi, que je nage, nage, nage.

Tenu pour le plus beau poème d'un ensemble lyrique inspiré par le Léman, ce poème date probablement du séjour à Lausanne, ou l'auteur fut professeur de latin en 1838/1839.
in "Les écrivains et le voyage en Suisse", page 942

239. Rémi Mogenet : "Les eaux sacrées du Léman"

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Un très bel article de Rémi MOGENET, publié il y a quelques années
dans l'hebdomadaire "Le Messager de la Haute-Savoie"
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Cliquez sur la reproduction pour l'agrandir

238. Françoise Delamarre : "Fables du lac". 2/2.

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XXIII

La brume au-dessus des eaux étientes
le temps de froide pousière
le poids du silence blanc
le cri frileux des oiseaux
annoncent la promesse tacite
de la neige à venir.

XXVII

Le ciel bleu et froid
de notre hiver ensemble
pose sur ton dessin de craie
sa lumière de bise
et fait frissonner les branches
auxquelles ta main offre sa vie d'homme.

XXX

Le pêcheur du lac
a posé sa main sur les rames
de sa barque brune et vieillie
qui se confond avec l'écorce des branches
et d'un mouvement lent
s'est risqué vers des poissons d'or.

XL

Il a neigé si fort sur ton tableau
que cette douce blancher
a recouvert le bleu des eaux
et toutes les couleurs du lac.
Un étrange apaisement
a engourdi nos mains et fermé nos yeux.

Françoise Delamarre-Tindy in "Léman, expression sans rivages". Edition "La Manufacture", 1986.

237. Françoise Delamarre : "Fables du lac". 1/2.


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V

L'apaisement du monde
se reflète doucement
dans le calme miroitement
de l'eau tranquille
et de l'oubli du trouble évanoui.

IX

La fable du lac
raconte
le doux murmure des voiles
et le silencieux glissement
des bateaux solitaires
vers un destin
sans profondeur.

XII

Le ciel obscurcit les vagues
en de noirs sillons
la nuit bleutée
ricoche sur les galets du port
et s'enfuit à tire-d'aile
comme l'oiseau du désespoir.

XXI

L'envol de ces deux cygnes
dans leur parallèle alignement
déchire la tranquille quiétude
d'un lac de novembre
et redit le superbe dénuement
de l'appel des départs infinis.

Françoise Delamarre-Tindy in "Léman, expression sans rivages". Edition "La Manufacture", 1986

236. Une carte du Léman. 2/2.

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235. Une carte du Léman. 1/2.

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234. Hans Christian Andersen : "Journal". 2/2.


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Vendredi 23 août. Levé à quatre heures pour aller par la diligence à Vevey. Une contrée luxuriante, toute en fleurs. De Vevey, j'ai marché parmi les vignobles, on y avait planté du maïs et devant les maisons de paysans des melons étaient pendus par-dessus le toit. De grands marronniers se reflétaient dans le lac. L'endroit était si solitaire, le chemin tellement serpentant et étroit, avec de vieux murs sur lesquels fourmillaient les lézards. Le lac de Genève était ceint de hautes montagnes, l'une était tout enneigée, on aurait dit une mer peinte de lilas et d'écume très haut dans le ciel. Les nuages s'étendaient sur le flanc de monts plus bas. Dans la courbe, je découvris le château de Chillon que Byron m'a rendu intéressant par son poème. Un vieux soldat m'accueillit près du pont-levis et me conduisit a une femme, ou une vieille fille, qui me fit descendre profondément à l'intérieur de la prison, qui avait l'air d'une galerie semi-circulaire et où la lumière ne tombait que par quelques longues ouvertures dans la muraille; j'ai vu les anneaux de fer, dans les piliers, où les victimes avaient été attachées, sur le premier pilier, un peu plus haut, elle me montra le nom de Byron, que lui-même avait gravé avec un couteau en 1826.
Nous sommes montés alors dans l'un des étages supérieurs, il y avait là une tour au plancher amovible par lequel. on avait précipité le prisonniers sur un rocher, en bas. Dans une galerie, de l’autre coté j’ai vu des ouvertures destinées à verser de l'huile et de l'eau bouillante sur les attaquants. Dans une belle pièce éclairée, il y avait sur une tablette une notice sur le château, la tablette était couverte partout d’inscriptions, je ne pus trouver une place, alors, la demoiselle, me dit :
«Ecrivez au milieu du papier.»
«Mais personne ne l’a fait», répondis-je
«Oui, mais vous n'êtes pas un homme ordinaire», dit-elle.
Suis revenu chez moi à fond de train. Ai trouvé mes affaires à la poste, ai bu du thé, regardé le lac au clair de lune et me suis endormi.
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Le chateau de Chillon. Source de l'image : http://www.flickr.com/photos/pearbiter/

233. Hans Christian Andersen : "Journal". 1/2.

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Jeudi 22 août. Puerari était déjà sur le bateau à vapeur pour me dire au revoir; lorsque je suis arrivé, il m'a donné une lettre pour son fils à Milan et m'a présenté à quelques Genevois sur le bateau; il y avait là beaucoup d'Anglais. Le lac était infiniment bleu, la navigation dura de neuf heures à deux heures et demie. Au fur et à mesure que nous voguions, les montagnes devenaient de plus en plus grandes, le Mont-Blanc avec sa neige blanche nous salua. En regard, le Jura avait l'air d'une clôture, Les montagnes étaient tout à fait lilas, elles étaient comme peintes sur le ciel; la neige vous blessait les yeux, les bateaux que nous rencontrâmes avaient deux voiles, comme des ailes.
Nous sommes passés devant plusieurs petites villes avec de vieux châteaux. Vers Lausanne, le domaine le plus luxuriant était sur la gauche; à droite, le plus sauvage. A l'Hôtel Faucon, j'habite maintenant une chambre très élégante. Une terrasse au-dehors, en dessous une nature en fleurs, le lac, calme, les hautes montagnes, silencieuses, et un magnifique clair de lune, mais sous les fenêtres, vacarme d'une multitude d'enfants, des bourgeois débonnaires en foule, car ils attendaient un éléphant que, toutefois, ils ne purent voir, il fut emmené dans une maison fermée. Journal. 1833- 1873.
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Montreux, depuis le funiculaire des Rochers de Naye. 1959

232. Alphonse Guillot : "D'Evian à Saint-Gingolph".

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La côte suisse s'est voilée de grisaille, on n'aperçoit plus que la rive du lac, on se croirait au bord de la mer, le bruit des vagues qui parvient jusqu'ici complète l'illusion. L'avenue d'Abondance bordée de platanes, de jolies villas très modernes, conduit en quelques minutes au centre de la ville, mais, comme des écoliers, nous rentrerons par Petite-Rive, et Grande-Rive, et prolongerons jusqu'à l'heure où les lumières commenceront à paraître. [...]
Sur cette route dite du Simplon qui longe le lac et conduit à Meillerie, où Napoléon Ier fit sauter des rochers pour rendre la côte abordable, vingt siècles auparavant, en 218 avant Jésus-Christ, Annibal serait passé avec son armée, ses aigles, ses enseignes, et ses éléphants après avoir combattu contre les Allobroges et les Arvernes, dans les défilés de la haute Durance. Sur ce tracé Rome aurait fait construire, aux premiers siècles de l'ère chrétienne, une grande artère internationale, large de douze mètres, dont on a découvert des vestiges dans les carrières de Meillerie. Ce village fut le séjour de Jean Jacques Rousseau, d'où il se plaisait à regarder avec un télescope la maison de Clarens où habitait son amante Julie, héroïne de son ouvrage. La Belle Héloïse. [...]
Plus loin, le village le Locuum aurait été construit sur l'emplacement d'un autre appelé Tauredunum détruit en l'an 563. "Après soixante jours de grondements sourds, la montagne sur laquelle Tauredunum avait été construit se détacha et se sépara d'un autre mont contigu, engloutissant maisons, église, hommes et terres dans les eaux. Mille ans après, le 4 mars 1564, un nouvel éboulement moins considérable eut encore lieu.[...]
Plus près de nous : "A Maxilly-Lugrin, le château de Tourronde appartint longtemps à la famille de Blonay qui jouit encore dans la contrée d'une renommée chevaleresque antique, à laquelle on peut joindre celle de l'honneur, du courage et de la fidélité. On raconte que lors d'un incendie du château, au XVème siècle, un comte de Blonay qui habitait le château de Vevey, encore occupé par ses descendants, aurait traversé le lac à la nage sur un cheval et que, suivant le voeu fait au départ, il fut élevé une chapelle sur l'emplacement où le cheval atterrit. On dit également que le lendemain on vit sourdre à l'endroit où le cheval avait frappé le soi de son pied, une source d'eau ferrugineuse".
Alphonse Guillot, opus cité page 52.

231. Alphonse Guillot : "Une légende".

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Il existe beaucoup de légendes en Savoie ; je vais vous en conter une plus particulière à Evian et à Neuvecelle. Il y a quelques siècles, un certain baron de la Rochette avait une fille qui répondait au nom de Béatrix jolie, riche, elle avait été demandée en mariage par le seigneur d'Allinges, et celui de Coudrée. Mais Béatrix aimait en secret l'écuyer de son père, Arnold qui n'avait pour toute fortune que sa jeunesse « et son courage. Le baron souffrant d'un mal douloureux auquel on ne trouvait pas de remède, et fort embarrassé sur le choix du fiancé, eut la singulière idée d'annoncer qu'il donnerait sa fille à celui qui le délivrerait de sa maladie.
«Toujours aimé de Béatrix, Arnold, au cours de ses promenades, de ses courses folles, où il cherchait à calmer son âme et son coeur, vint à passer à Neuvecelle, et alla consulter l'ermite qui avait établi sa cellule près d'un grand châtaignier.
L'ermite le fit entrer dans sa retraite enduite de terre glaise et de mousse, qui constituait un refuge « contre les intempéries des saisons. Une lampe brûlait devant l'image de la Vierge une pierre servait d'escabeau. L'ermite fit asseoir Arnold, qui lui fit part du dilemme et de son inquiétude. «Va. mon fils, lui dit l'Ermite, et fais-lui boire tous les jours de l'eau de la fontaine qui coule au-dessus d'Evian, (la source Sainte-Catherine à cette époque, la source Cachat actuelle.) Après quelques semaines, le baron fut guéri et le mariage d'Arnold et de Béatrix célébré au château « de Ripaille. La tradition ajoute qu'ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants.
Alphonse Guillot, opus cité, page 52

230. François Broche : "La mort d'Anna de Noailles"

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L'abbé Mugnier va la voir le 10 février. Il note : «L'état empire ou semble empirer. Elle parle, elle parle, elle parle. [ ... ] Elle touche à tout, cohérente et incohérente à la fois. Elle n'a pas perdu la tête, mais la quantité d'impressions, de sujets abordés, de noms cités, est grande. Elle souffre infiniment de l'oreille ». A l'abbé, qui lutte contre la tentation de lui donner sa bénédiction, elle assure : «Je meurs ... je vais mourir…», et trouve encore la force de se moquer de Marthe Bibesco, mais surtout elle prononce le nom de Dieu, «à plusieurs reprises et bien mieux qu'autrefois», remarque-t-il.
Elle confie à Mme Mante, tante et belle-mère de Jean Rostand : « Je prie ... je prie sans cesse »
A la mi-mars, Mathieu a dit à l'abbé que les médecins n'y comprenaient rien : «C'est un cas qui sort de l'expérience». Quelques mois plus tard, Photiadès confiera à Catherine Pozzi qu'il s'agissait d'un «mal incompréhensible aux médecins», peut-être de l'hypocondrie. Il ne semble pas que le diagnostic de tumeur au cerveau ait été clairement formulé.
L'abbé Mugnier revient la voir le 15 avril, Samedi saint. «Depuis quatre ans, je ne dors plus, lui dit Anna. J'ai entendu les premiers bruits dans l'oreille chez Thérèse. Je l'accepte, je l'accepte ... » Elle baise la main de son visiteur, qui lui demande la permission de baiser la sienne. « C'étaient ses adieux. « J’ai fait ce que je devais faire ».
L'abbé se montrera plus explicite quatre ans plus tard avec son amie la poétesse Marie Noël :
Je levai la main sur elle et lui donnai l'absolution. Elle traça d'une main errante un lambeau de signe de croix. Puis elle reprit ma main, la baisa. Je baisai la sienne. Mais elle reprit ses deux mains et les joignit dans une attitude de prière. Et elle ne parla plus. »
Deux ou trois jours plus tard, elle confie à Albert Flament :
"Dites combien j'ai aimé la nature et que j'en étais un élément". La comtesse Murat vient la voir, alors qu'elle a subi un examen médical. Anna a la force de lui annoncer : "Aucun organe essentiel n'est atteint chez moi, et cependant je m'en vais. Je meurs de moi-même"
Ce serait là son dernier «mot», du moins si l'on en croit Corpechot. Il semble toutefois que sa dernière phrase complète fut pour demander à être enterrée au Père-Lachaise.
La dernière semaine fut calme, comme si elle avait enfin trouvé la « mâle paix» : elle prononçait quelques mots sans suite, parfois son nom, elle souriait. ..
Quand vint l'heure où la nature se fit la complice de ses vœux, écrit Jean Rostand, nous assistâmes au spectacle de sa calme résignation, Cette grande rebelle s'abandonnait, se soumettait aux lois de la réalité; cette nietzschéenne s'éteignait selon Marc Aurèle.
Elle ne paraissait pas souffrir, mais les traits de son visage, aux yeux maintenant à jamais clos, s'animaient parfois, comme si son sommeil était traversé de visions et, peut-être, de cauchemars. Le dimanche 30 avril, elle revint à elle vers 13 heures. Une demi-heure plus tard, veillée par Mathieu, Anne-Jules et Hélène, elle était morte.
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François Broche. "Anna de Noailles, un mystère en pleine lumière", page 405.

229. Anna de Noailles : "C'est après les moments ..."

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C'est après les moments les plus bouleversés
De l'étroite union acharnée et barbare,
Que, gisant côte à côte, et le front renversé,
Je ressens ce qui nous sépare !

Tous deux nous nous taisons, ne sachant pas comment,
Après cette fureur souhaitée et suprême,
Chacun de nous a pu, soudain et simplement,
Hélas ! redevenir soi-même

Vous êtes près de moi, je ne reconnais pas
Vos yeux qui me semblaient brûler sous mes paupières;
Comme un faible animal gorgé de son repas,
Comme un mort sculpté sur sa pierre

Vous rêvez immobile, et je ne puis savoir
Quel songe satisfait votre esprit vaste et calme,
Et moi je sens encore un indicible espoir
Bercer sur moi ses jeunes palmes !

Je ne puis pas cesser de vivre, mon amour !
Ma guerrière jolie, avec son masque sage,
Même dans le repos veut par mille détours
Se frayer encore un passage !

Et je vous vois content ! Ma force nostalgique
Ne surprend pas en vous ce muet désarroi
Dans lequel se débat ma tristesse extatique.
Que peut-il y avoir, ô mon amour unique,
De commun entre vous et moi !

228. Alphonse Guillot : "Vers Neuvecelle".

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On y entend le bruit d'orages lointains dont les échos viennent mourir sur le rivage. Nous irons donc à Neuvecelle, et si un orage vient à nous surprendre, il sera facile de trouver des abris qui permettront de laisser passer le grain et d'attendre l'embellie. Peut-être assisterons-nous au spectacle d'un arc-en-ciel, phénomène très fréquent dans cette région et se présentant presque toujours double, comme un pont gigantesque jeté sur les montagnes d'une rive à l'autre. On peut se rendre à Neuvecelle, en suivant le jardin Anglais, le quai de Grande-Rive, bordé de luxueuses villas, le paisible quartier de la Source des Crottes, oasis de verdure, tout rempli de chants d'oiseaux, mais, en ayant recours au funiculaire, notre promenade ne sera plus qu'une longue descente. Au sortir de la station des Mateirons, on traverse le parc du Royal Hôtel et de l'Ermitage, et on atteint l'avenue de Neuvecelle prolongée. D'un côté, c'est le parc avec toutes ses séductions, de l'autre, la campagne agreste des vergers et des châtaigneraies; on longe le mur du château de Neuvecelle restauré, où de Montalembert et Louis Veuillot firent des séjours vers 1863. Dans le parc, l'établissement thermal a créé un stade de culture physique. La petite église de Neuvecelle retient l'attention quelques instants. Du boulevard qui conduit lentement et par un long détour à Evian, le lac, les montagnes continuellement en vue apparaissent sous des aspects divers dûs aux premiers plans qui varient de forme, les encadrent, et les mettent en valeur, comme vos toilettes en vous parant différemment ne contribuent qu'à vous rendre plus séduisante, même quand un peu de mélancolie assombrit votre visage. (Alphonse Guillot, opus cité, page 50)

227. Alphonse Guillot : "Evian". 2/2.

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Evian peut ne pas avoir à s'enorgueillir d'un long passé historique ou glorieux lié à la vie nationale, mais cette cité peut à juste titre s'honorer de son histoire locale et régionale, de ses traditions d'hospitalité et de bon accueil, qui font partie de ses quartiers de noblesse ; elle peut être fière de sa situation privilégiée sur le lac où la nature a prodigué toutes ses splendeurs, de son développement dû à des richesses naturelles mises à la portée de tous, d'un ensemble d'avantages et de beautés qui dominent et voilent ce que peut avoir de matériel l'expédition de ses eaux salutaires. Cette cité avait longtemps vécu languissamment étalée sous les rayons de soleil, à l'ombre de ses clochers aux nombreux carillons, fréquentée par les princes de la maison de Savoie, quelques privilégiés parmi lesquels on cite Mme de Warens, Mme de Staël, le Duc de Bedford, longtemps ignorée du grand public, comme certaines fleurs qui, solitaires, croissent, s'épanouissent, sans connaître la douceur d'une main de femme, la caresse de deux yeux, sans avoir donné leur parfum, semblables à certains hommes et à certaines femmes qui peuvent vivre longtemps, et disparaître sans avoir révélé le secret et la sensibilité de leur coeur, sans que la beauté et la grandeur de leur âme aient été connues de leurs semblables et même de leurs proches. (Alphonse Guillot, opus cité, page 38)

226. Alphonse Guillot : "Evian". 1/2.

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Evian est certainement la ville d'eaux idéale. A l'arrivée en gare, ce sont les wagons chargés d'eau Cachat, les services d'expédition reliés à la voie ferrée par des rails particuliers, et la source des Ducs de Savoie. Avenue de la Gare, les tracteurs et les camions rencontrés, transportent de l'eau contenue dans des bouteilles vert clair, qui seront dirigées sur Marseille ou le Havre. Avenue des Sources, ce sont les vastes bâtiments de manutention, de mise en bouteilles ou en bonbonnes, opérations fort intéressantes, rapides, ingénieuses et auxquelles on peut assister. C'est ensuite dans un hall aux grandes et belles proportions la grande buvette de la Source Cachat. En face, près de l'escalier qui conduit au Splendide Hôtel, la buvette du Parc, de style roman, plus loin, le griffon de la source Cachat, encore intéressant à visiter, la source des Cordeliers, la source Première, la source des Grottes.
Sur le quai Baron de Blonay, ancien administrateur de la ville, se dresse l'établissement thermal, surmonté d'une coupole, de trente mètres de haut ; dans le hall octogonal d'où partent les escaliers et les couloirs de service et l'ascenseur, quatre fontaines, allégories des sources Cachat, Bonnevie, Clermont, Cordelier, dispensent l'eau dans des vasques de marbre rouge. Au Casino, l'eau des sources Clermont et des Cordeliers est à la disposition du public. L'eau d'Evian Cachat est encore sur toutes les tables des restaurants et dans les hôtels, c'est le verre d'eau pour la nuit, et un service spécial en assure la distribution en cruchons bleu de Sèvres, dans toutes les maisons particulières et les villas. (Alphonse Guillot, opus cité, page 38)

225. Henry Verne : "Evian".

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La nature qui a répandu ses trésors sur les rives enchanteresses du Léman s'est plu à les grouper à Evian en un ensemble des plus harmonieux. Les alentours sont eux-mêmes pleins de poésie. Nous sommes loin de l'aspect un peu rude et sauvage de Meillerie ou de Saint-Gingolph; les sites se sont peu à peu adoucis, le paysage s'est magnifié ; une teinte chaude s'épand sur les prairies et vergers. La végétation est d'une vigueur étonnante. […]
Evian-les-Bains, la station haut-savoisienne à la mode, la ville d'eaux de renommée mondiale compte environ 4.000 habitants. Son climat d'une action sédative remarquable, est tempéré et très heureusement équilibré ; il convient admirablement aux tempéraments nerveux, aux organismes surmenés. L'hygiène de la station est parfaite et, d'année en année, des embellissements successifs accentuent « encore le cachet moderne d'Evian. Monuments anciens et modernes, quai merveilleusement ombragé, bordé de constructions somptueuses, banlieue de villas et de châteaux, environs délicieusement pittoresques. Tout à Evian concourt à séduite l'hôte de passage, à le retenir ou à le ramener par le charme puissant « des souvenirs. (Henry Verne : "Le lac Léman)

224. Docteur Bordet : "Evian, panorama splendide".

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Ce panorama splendide, ces sites privilégiés qui charment les yeux, reposent l'esprit et le corps, font d'Evian une station balnéaire unique appropriée aux dernières exigences, où le malade trouve à la fois le « calme et la distraction. Dans le choix à faire d'une station, dit le Docteur Macé, on doit tenir compte non seulement de la composition chimique de l'eau, mais aussi du climat, de l'altitude, des ressources de la station, des habitudes du malade, de ses dispositions morales. Tout dans cette zone tempérée concourt à donner aux grandes fonctions de l'organisme, l'impulsion « la plus forte et la plus salutaire. Un court aperçu sur- la beauté du paysage, sur les conditions cosmiques et telluriques, sur les agréments d'Evian n'est point un hors-d'oeuvre.
Protégé des vents du midi par les contreforts des Alpes, Evian jouit d'une température douce ; les chaleurs de juillet et août, toujours tempérées par une légère brise, n'amènent jamais ces journées lourdes, brûlantes qui accablent, anéantissent et créent un état nerveux des plus pénibles. Pendant l'hiver, il est rare que le thermomètre descende plus bas que 5°, au-dessous de zéro ; le climat modéré que nous devons au voisinage du lac, permet de cultiver en plein vent le figuier, le grenadier et une - grande variété de plantes d'orangerie. (Docteur Gaspar Bordet in "Evian Médical")

223. Alphonse Guillot : "Arrivée en Chablais".

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Après un arrêt de quelques minutes le train avance dans les rayons de soleil faisant fuir les papillons jaunes, bleus, posés sur les fleurs des talus, la vue s'élargit, le lac prend plus d'ampleur, un léger brouillard en estompe encore la surface ; on a une impression analogue à celle éprouvée sur la côte normande, près de Dives-Cabourg.
Dans la plaine, le delta de la Dranse s'étend sur plusieurs kilomètres de largeur et de profondeur. C'est un immense dépôt d'alluvions, de sable et de galets apportés des montagnes, roulés depuis des milliers et des milliers d'années par les torrents aux eaux fougueuses dans les hauteurs, et qui maintenant, assagies, calmes, s'écoulent en plusieurs petites branches sous les ruines d'un pont datant de l'occupation romaine et, contraste bien moderne, alimentent une manufacture de papier à cigarettes.
On prend de plus en plus contact avec le panorama qui attire, émerveille, captive, et exerce son influence sur tous les voyageurs, même sur ceux qui le connaissent ; nul n'y reste indifférent. De l'ensemble, se dégage une impression toute particulière faite de douce langueur du voyage, des sites traversés, des groupes de touristes aperçus dans les gares, et sur les routes, de l'apothéose offerte aux regards par la nature, qui, du chaos des montagnes, des dentelures de la Dent d'Oche, descend jusqu'aux molles ondulations de la terre et à la surface unie du lac. (Alphonse Guillot, opus cité, page 15 et 16)
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Le viaduc ferroviaire de Longeray au défilé de Fort l'Ecluse.

222. Alphonse Guillot : "A propos du Chablais".

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«Le Chablais - d'après Bertholotti - est la perle la plus petite, mais la plus brillante de la couronne ducale de Savoie. Cette expression un peu dynastique dessine toutefois d'une manière assez pittoresque l'aspect d'une « contrée trop belle sous le rapport des sites, des magnificences naturelles et de la fertilité du sol pour n'avoir rien à envier aux cantons de Genève et du Valais qui forment les trumeaux extrêmes du cadre dans lequel elle est pour ainsi dire enchâssée.
Cadre admirable dont les branches latérales sont d'un côté le Léman aux eaux diaphanes larges et profondes, de l'autre, le Faucigny avec ses pyramides de montagnes gigantesques dont la tête se couronne de neiges éternelles, tandis que leurs flancs cachent comme autant de nids de verdure, les plus charmantes « vallées que le voyageur puisse visiter.
Sans avoir des montagnes aussi majestueuses et surtout aussi renommées que le Faucigny, le Chablais, dans la ramification des Alpes qui couronnent les hauteurs, offre aux touristes quelques excursions pleines de charmes, telles que celles des dents d'Oche, des Memises, des cornettes de Bise.
Le Chablaisien est affable et hospitalier, le sexe est remarquable dans plusieurs localités et le montagnard est doué de la plus robuste constitution. On retrouve le type de la race bourguignonne - Burgondes - dans les habitants de cette province qui « ont en général une taille élevée, les yeux bleus, les cheveux blonds et la peau blanche. (Joseph Dessaix : Evian-Thonon)
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Evian, l'ancienne métropole du pays de Gavot - lieu solitaire - est la seconde ville du Chablais. Assise dans la contrée la plus délicieuse et la plus enchantée que l'on puisse imaginer, elle tire son nom et sa célébrité de ses eaux minérales et s'élève en amphithéâtre comme pour se mirer dans la limpidité de son lac. Située sur la route romaine reliant l'Alpe Pennine à Genève, elle fut connue des maîtres du monde « qui recherchaient avec soin les stations thermales. Son nom Evian - du celtique EW. Evoua, eau - dit que son origine se perd dans la nuit des temps ; les Romains le traduisirent par Aquianum (L.E. Piccard : Thonon-Evian : le Chablais moderne)
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Borne marquant la frontière entre le canton de Genève et le Chablais

221. Alphonse Guillot : "Impressions de voyage" : dédicace.


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"EVIAN-LES-BAINS , le Lac Léman, la montagne.
Impressions de voyage et de séjour" par Alphonse Guillot
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Ce modeste ouvrage est dédié à vous, Madame,
qui me l'avez demandé, et au nom de notre amitié.
Mais, je veux également le dédier à vos soeurs,
à toutes les inconnues d'hier, d'aujourd'hui, de demain,
à toutes les âmes qui auront aimé, souffert parfois,
et recherché la beauté et l'idéal.
à tous ceux qui auront respiré et senti passer sur leur front
l'air pur et frais des Alpes.
à tous ceux qui auront admiré
les vertes campagnes de la Savoie,
contemplé l'azur du ciel et les feux du soleil couchant
se reflétant dans les eaux limpides du lac Léman.
à tous ceux qui auront senti cette émotion particulière, pénétrante et douce, dont on est saisi devant ce vaste et prestigieux panorama.
et à tous les habitants de la Haute-Savoie, et des rives du Léman, où je me plais à vivre, et voudrais reposer. (Alphonse Guillot. clos petite source, Evian-les-Bains)