1.26.2008

196. Charles-Ferdinand Ramuz : "Pensée à la Savoie". 3/3.

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De tous les villages rangés sur la rive, serrés à la rive comme sont les nôtres et poussés à l'eau par le mont (rien que la place pour la route et la pente, aussitôt, commence), ils se sont mis en marche, un soir, pour les grandes marches d'ensuite et qui auraient pu être les nôtres. Presque rien à changer au grand décor des rochers et presque rien aux personnages. Et celles qui maintenant se désolent sont, elles aussi, tout près de nous. Je me souviens de certaines maisons et de certains petits jardins, et les bonnets noirs ruchés que mettent les vieilles, nos vieilles aussi les mettent. Elles se lamentent avec nos mots, presque, et alors c'est comme si le drame, anticipant là-bas l’événement, allait soudain passer les eaux. Parenté de la chair qui seule situe l'image. Certes il nous est possible, parce que le cœur est grand, de souffrir avec tous ceux qui souffrent, ceux mêmes d'une autre couleur, ceux de l'autre bout de la terre, mais quelle netteté, quelle intensité, quelle précision quand ceux qu'on pleure sont de notre sang !
Par où toucherions-nous de plus près à la guerre que par ceux qui sont nos voisins, de la même race, du même pays, bien qu'un voile bleu soit jeté sur eux, mais qui se déchire?
Et ne faut-il pas leur faire signe, à présent que tous nos garçons à nous sont rentrés, pas les leurs, et que leurs villages, de plus en plus, vont être des villages de femmes et des villages de vieillards ?