11.11.2007

161. Jean Dutrait : "Points de repère". 2/2.


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2. Installé loin de ce pays, j'ai découvert le fleuve Rhône en le traversant à la nage de rive gauche à rive droite et retour après longue dérive. Cette eau glisse, lourde, en aval de la ville de Lyon; c'est une fureur muette et froide - je ne savais pas où le Rhône pouvait mener ni d'où il venait.
Un jour, je découvre à Paris le peintre Turner. Un Anglais qui avait aimé les montagnes et les eaux. Il avait voyagé, le dessin et la peinture lui avaient permis de s'implanter pour
un temps sur des territoires qui cessaient d'être étrangers puisqu'il parvenait à en dégager la beauté principale. Le choc! L’émotion, l'amusement : je découvre un tableau sous-titré: «Bonneville, Savoie, avec le Mont-Blanc». Une large vallée dont la vue avait enthousiasmé le peintre, une montagne, des montagnes jamais encore contemplées par moi sous cet angle : je me trouvais tardivement et tout à coup situé dans le lieu précis où j'étais né - mon pays natal dans un tableau. Le peintre avait exécuté un grand nombre de dessins durant l'année 1802 dans cette région par laquelle il était émerveillé ; puis l'année suivante, il réalisa des tableaux d'après ses dessins. Je n'eus qu'une hâte, celle de retrouver ce pays, trop tôt abandonné par mes parents. Parti en direction de ce lieu, je me suis égaré: c'est le lac que j'ai rencontré, traversé par "mon" fleuve. J'ai contourné cette étendue d'eau travaillée par des hommes que je ne connaissais pas et fus pris du désir de m'orienter vers la mer.
Jean Dutrait