11.11.2007

156. Ménaché : "Parenthèses". 2


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2. Je portais à mon cou le collier léger de la Croix-Rouge (G.E. 9419). J'ignorais l'étoile jaune. Je ne devais pas mourir à Auschwitz comme mes grands-parents paternels Marcos et Rébecca, restés à Lyon, dans la tourmente, et que jamais plus nous ne reverrions ...
La Suisse, c'était l'asile, le Pérou des parias de la domination nazie, de ceux tout au moins qui avaient eu la bonne fortune, dans leur misère, de n'avoir pas été repoussés à coups de crosse ou de talon.
Et pour Abraham, l'autre grand-père que je n'ai pas connu, le Léman avait déjà été, trente années plus tôt, un havre de paix, un Bosphore de substitution, puisque lui aussi, membre de la communauté juive sépharade de Constantinople (on ne disait pas Istanbul dans ma famille!) avait, avec nombre de ses coreligionnaires fébriles, emprunté le bateau de l'exil, fuyant la xénophobie, le nationalisme imbécile, qui rompaient un pacte de quatre siècles de coexistence relative, depuis la fuite d'Espagne ... Ce Bosphore du Nord, Abraham venait le goûter à Amphion, dans les années vingt. Ce petit port de pêche portait d'ailleurs le même nom, phonétiquement, qu'un port turc voisin de Constantinople. Il aimait à savourer là des poissons du lac, dans un restaurant sur pilotis, puis digérant, heureux, il regardait nager ses cinq enfants.
Parenthèses pour parenté. Parenthèses en aparté. De ce petit port d'Amphion également, fuyant l'occupation, des familles juives purent gagner de nuit la rive suisse, échappant ainsi aux trains de la mort. Toutes n'eurent pas cette chance. Du port de Rives, à Thonon, Mendès-France lui-même s'embarqua, après son évasion de la prison de Clermont-Ferrand, pour rejoindre Londres, en été 1942, sauvé par les pêcheurs professionnels Louis Duchêne et Lolé Lugrin. La barque a vieilli mais elle est toujours ancrée à la même place. De la guerre mondiale à la guerre d'Indochine, elle a tout de même changé de nom ! C'était l'oncle Paul, puis ce fut l'oncle Ho. Allez savoir !
A Constantinople, Abraham Papô avait été ferblantier. C'était un artisan habile qui vous découpait un plat dans une tôle et lui donnait la juste forme en quelques tours de main ... En Suisse, après quelques péripéties, il devint grossiste en porcelaine, à Bienne d'abord, à Genève ensuite, important la plupart des marchandises de son négoce de France et de Tchécoslovaquie, tant et si bien que l'affaire reprise par ses deux fils après sa mort, périclita un peu durant les années de guerre, le trafic étant quasiment interrompu avec les pays occupés ... Parenthèses à peine ouvertes ? Déjà refermées ?