11.11.2007

158. Jean Louis Jacquier-Roux : "Le lac perdait son temps". 1/2.

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« Plus vite, chauffeur! C'est à nos épousailles que tu nous mènes » Contre mon cœur, dans la poche de ma chemise, j'ai nos deux anneaux d'argent achetés la veille chez Walther Weber, horloger-bijoutier à Aigle. Poignets menottés au volant, le conducteur hoche la tête, sans arrêt, comme une bête énervée. Le car file le long du lac dans la chaleur cuivrée.
Eté 67. Va-et-vient Genève-Lausanne-Vevey. Pressé d'amour dans des trains proprets. Vitres et chromes brillent tout contre la peau ternie, la peau malade du lac. L'eau gruge les voyageurs d'un bleu idéal. Nous comptions les jours.
Genève. Nous nous tenons embrassés contre la barrière d'un ponton. Cohen s'avance en souriant vers nous: il vient d'achever Belle du Seigneur. En peu de mots, nous lui disons notre vie à venir. Il jubile. Elle court acheter son otoscope quelque part dans une rue à tramways. Une affaire. Elle veut que je regarde dans le fond de son oreille. Lumière de cave. Je tremble: si quelqu'un nous bouscule, je lui perce le tympan. A Cornavin, je la mets dans un rapide, mais cette fois, je pars avec elle. Au pied des Diablerets, gardiens d'un sale troupeau d'enfants riches, nous allons vivre ensemble des jours et des nuits. Des nuits entières. Au réveil, nous pouvons voir, en haussant le cou, une anse du lac. Endrapés de blanc sur notre balcon au-dessus du monde, nous attendons le soleil. Parfois d'en-bas montent des brumes tiédasses qu'exhale le marigot. Elie dit qu'elle attend des jours plus beaux que celui de notre mariage.
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Evian : fresque murale, rue Nationale