3.06.2007

35. Charles Ferdinand Ramuz : "Chant de notre Rhône". 2/4.

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Je regarde tout le temps le Rhône. Ici à présent est son berceau. je regarde bouger le berceau, avec ses rives en bordure. La savoyarde, la vaudoise : je regarde bouger le berceau entre les deux rives rejointes du bout qui donnent au berceau sa forme, et inégalement elles sont mises en vis-à-vis. L'ouvrage n'est pas tellement régulier qu'il ennuie, le bon ouvrier n'ennuie pas, le bon ouvrier ne fait pas trop égal, le bon ouvrier s'amuse à des différences. La savoyarde, la vaudoise.
Tu ne peux pas te plaindre de l'Ouvrier, ni te plaindre de son ouvrage, n'est-ce pas ? ô toi qui es là, et déjà tu remplis la couche que tes parents t'ont préparée, cette Savoie et ce Pays de Vaud, maintenant que tu es couché, ô Rhône, la Savoie à ta gauche, le Pays de Vaud à ta droite, celle-là poussant du pied le berceau qui penche vers nous, et nous du pied le repoussant, qui penche à nouveau de l'autre côté. La Savoie à ta gauche, le Pays de Vaud à ta droite, tu as un temps à tes côtés, ici, quelque chose comme tes parrain et marraine, et soucieux de toi ils te bercent en mesure quand, en effet, par les beaux jours, on voit cette surface s'incliner toute dans un sens, puis s'incliner dans l'autre sens. Pays doux et grands, pays bien de toi, et dignes de toi. (Chant de notre Rhône)