3.03.2007

14. Francis Wey : "Récits d'histoire et de voyage. 1865". 4/5.

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4. Comment douter de la cellule, puisque le village voisin s'appelle Neuvecelle, mot que le chroniqueur assombrit d'une patine anglaise en l'écrivant New-Zell ? Comment douter de l'existence de l'ermite, puisque, ancien compagnon de Charles le Téméraire, il a pour caution le Solitaire de feu d'Arlincourt et que d'ailleurs, le châtaignier verdit encore? Je l'ai vu ! De son tronc, tour évidée de quarante-deux pieds de circonférence, dans l'intérieur de laquelle cinq à six personnes peuvent se tenir debout, quatre branches s'élancent qui, séparément replantées, formeraient autant de futaies. Cette légende populaire a vu pour la première fois le jour dans le livre d'un Suisse. […] Et il est toujours amusant de constater comment peut spontanément éclore et s'implanter en peu d'années, dans la crédulité vulgaire, une tradition de quatre cents ans. La réclame, en ce temps-là, naissait à peine à Paris: mais Genève est la patrie d'un peuple avancé. Certain bon vieux paysan m'a récité la Légende de l'ermite comme la tenant de ses aïeux: il le croyait, et il y croyait ! Ma bonne Flandre industrielle, je le constate à regret, s'assimilerait avec plus de difficulté le moyen âge de 1825.
Pourquoi classer sous des étiquettes équivoques les choses bonnes et sérieuses ? Les eaux d'Évian, recommandées par tant de cures, sanctionnées par des analyses irrécusables, mais dont les principes salins ont peu de saveur, n'ont-elles pas à subir déjà le désavantage de ne point infecter, et de n'avoir tué personne ! Un médecin qui n'appliquerait jamais la peine de mort ferait douter de sa puissance: ils savent éviter cet écueil.
Toujours est-il que le renom des bienfaisantes naïades d'Evian va grandissant de jour en jour. Il a fallu construire au sommet de la ville, au milieu d'un beau parc distribué par gradins, un nouvel établissement. Ce palais d'où l'on jouit d'un point de vue splendide, ne communique guère avec la cité que par des ruelles étroites encaissées de murailles, et ces couloirs sont d'une fâcheuse malpropreté. L'ascension, du reste, en est fatigante: pour se rendre compte de la rapidité de la rampe, il suffit de se rappeler que, dans plusieurs maisons, les fenêtres du quatrième étage sur la rue font face à des portes ouvrant de plain- pied sur des jardins.
L'activité française prépare ici d'heureuses métamorphoses. Une grande route embrassant l'étendue de ce versant, va s'étaler en pente adoucie, de Lugrin au-dessus de Meillerie, jusqu'à Publier qui domine Amphion; puis de là, se rabattre sur Saint-Paul et, par de nouveaux lacets, rejoindre le grand .chemin du Biot et du val d'Abondance. Ces belles contrées seront alors ouvertes, le haut de la ville et son établissement seront vivifiés par une magnifique avenue. Au bord du Léman, un large quai va remplacer des murailles sombres et, près du port, un hôtel princier avec des bains et un casino, rivalisera avec les phalanstères somptueux qui, à Lausanne et à Vevey, attirent dit-on la foule sur la rive Vaudoise.