12.08.2007

180. René Mossu : "Les secrets d'une frontière".

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Si les objets inanimés ont l'âme que leur prêta le poète, le frêle esquif a souffert davantage du génie de la destruction de son bourreau que de ses coups. Naguère, pendant les belles soirées d'été, quand le mystère de la nuit rejoignait le mystère des eaux, les cris de la jeunesse exubérante se mêlaient aux chants' des dîneurs, attirés sur les terrasses par la friture. Et les batelets manquaient de chavirer en même temps que les cœurs.
Heureux temps ! Celui où les bateaux-salons étaient les traits d'union mouvants de deux pays. Maintenant ils nous fuient par ordre, à regret, semble-t-il, car ils paraissent, de Nyon, mettre le cap sur Excenevex, puis brusquement se ravisent et se tournent vers Morges, sous l'effet d'un brusque coup de barre. Ils n'osent même pas s'aventurer dans les eaux occupées. Chaque jour, nous les suivons de halte en halte, quand ils ne se confondent pas avec le mur d'un parc ou la façade d’une maison. Nous les citons aussi : "Le Vevey" entre en rade d'Ouchy. Ou bien :  "Le Simplon" cingle vers Hermance.
Il arrive que nous les perdions de vue ; c'est qu'une baie les a absorbés ou que le soleil irradie les hublots au point que nous ne pouvons plus les fixer. Alors, nous guettons leur sortie de 1'anse où ils ont disparu entre deux pointes de terrain et jusqu'à leur réapparition, nous sommes impatients. Combien de mois, d'années s'écouleront avant que nous puissions distinguer la casquette cerclée d'or du maître timonier, avant que gémisse la corde sur les piliers de nos escales ?
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A la frontière suisse. Le document ci-dessus est un Autochrome Lumière, procédé photographique couleur très ancien, à base de grains d'amidon colorés sur plaque de verre. Les clichés, mis à disposition par Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France, ont été réalisés entre le 16 et le 23 juin 1917 par le photographe Paul Castelnau (1880–1944).