3.03.2007

12. Francis Wey : "Récits d'histoire et de voyage. 1865". 2/5.

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2. Thonon, où les guerres de religion n'ont rien laissé debout, où les citoyens appauvris par les malheurs publics n'ont pu embellir leurs demeures, où le régime de l'étranger n'a élevé aucun de ces monuments que font ailleurs les communes et les princes, Thonon est admirablement situé, au bord d'une assez haute plate-forme qui domine le lac. Je n'y ai trouvé que deux édifices dignes d'une mention: l'un est l'ancien couvent des Minimes, qui sert aujourd'hui d'hôpital civil; son cloître, de la fin du règne de Louis XIII, offre dans une ornementation recherchée, des souvenirs de la Renaissance avec la lourdeur d'une époque où la pureté des lignes n'était plus de saison. L'autre monument de Thonon, c'est son église paroissiale, mais à l'intérieur seulement; car la façade a été crépie et barbouillée de deux fresques telles, que le peuple de Paris ne souffrirait pas sans faire une émeute, qu'on en montrât de semblables aux regards scandalisés des passants. Entrez dans cette vaste église de village; vous tombez au milieu d'un boudoir du temps où les chicorées s'entremêlaient de lis, de palmiers, de marguerites et de roses. Vous m'avez fait copier tant de notes, que je cède à la tentation de singer mon maître, en essayant à mon tour de crayonner sur le vif. Voyez plutôt ! La nef est un treillage de guirlandes, où voltigent parmi les fruits et les fleurs, en guise d'oisillons, des cupidonneaux sculptés que l'on est obligé de prendre pour des chérubins. Ces reliefs, d'un blanc d'albâtre sur un fond très-faiblement teinté de bleu, réjouissent la vue; c'est une décoration de salle de bal, mais elle est charmante. Une chapelle, à droite, est ornée d'un joli tableau signé B. Glaris; dans celle du baptistère, vous verrez une statue bancale, trapue et étrangement accoutrée, du bienheureux duc Amédée IX, qui naquit en 1435 au château de Thonon. - On a relevé pour vous une kyrielle de dates.
En 1252, Amédée IV fit don à son frère l'archevêque de Canterbury, de ce castel qui protégeait une chapelle et deux couvents : le tout a disparu. C'était une forteresse redoutable, pour ses défenseurs surtout; car chacun l'a prise et reprise. Elle eut même l'honneur d'être bloquée par une flottille. Une jolie promenade, la Place du château, remplace les donjons supprimés à la suite des guerres bernoises. La terrasse, bordée d'un parapet où l'on vient s'accouder à l'ombre des tilleuls, est exposée sur le lac en face d'un beau point de vue. Un obélisque commémoratif consacre la situation de la résidence favorite d'Amédée VITI, avant qu'il habitât Ripaille, étalé sur la rive à peu de distance: l'inscription rappelle aussi les noms du duc Louis et d'Amédée IX.
[…] Thonon va se transformer. Les rues assainies, les places animées par des fontaines préludent à des entreprises qui vous intéresseront. On commence à bâtir une sous-préfecture qui sera un monument véritable; sur le rivage, on trace un beau port de commerce, qui fera de Thonon le Marseille de cette petite Méditerranée. Mais la complète régénération de la ville sera l'œuvre d'une Société qui vient de se constituer pour l'exploitation des eaux médicinales de ce littoral de la Savoie. Elle doit amener du pied des Allinges, jusqu'à Rives, hameau de pêcheurs situé sous le roc de Thonon, les eaux alcalines de la Versoix, qui contiennent un principe résineux et benzoïque apprécié dès le dix-septième siècle, sources recommandables par une série de cures non interrompues. Un bel établissement de bains s'élèvera devant le port, de nouveaux hôtels se grouperont alentour; des chalets hospitaliers, disséminés aux sites les plus en renom et notamment au sommet des Allinges, donneront pour auxiliaires à la thérapeutique des eaux, les plaisirs champêtres qu'on va chercher ailleurs, et Thonon deviendra une des retraites favorites des gens de loisir.