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Si j'étais un autre, j'essayerais de vous peindre ces monts neigeux et embrasés, ces vallées vaporeuses, les noirs escarpements de la côte de Savoie, les collines de Lavaux et du Jorat, peut-être trop riantes mais surmontées par les Alpes de Gruyère et d'Ormont ; et les vastes eaux du Léman, et le mouvement de ses vagues et la paix mesurée. [...]
Je me suis assis auprès de Chillon sur la grève. Le lac est bien beau lorsque la lune blanchit nos deux voiles, lorsque les échos de Chillon répètent les sons du cor, et que le mur immense de Meillerie oppose des ténèbres à la douce clarté du ciel, aux lumières mobiles des eaux ; quand elles font entendre au loin leur roulement sur les cailloux innombrables que la Veveyse a fait descendre des montagnes. [...]
Ce beau bassin de la partie orientale du Léman, si vaste, si romantique, si bien environné ; ces maisons de bois, ces chalets, ces vaches qui vont et reviennent avec leurs cloches des montagnes ; les facilités des plaines et la proximité des hautes cimes [...] la douceur d'une terre qui voit le couchant, mais le couchant éloigné du Nord ; cette longue plaine d'eau courbée, prolongée indéfiniment, dont les vapeurs lointaines s'élèvent sous le soleil du midi, s'allument et s'embrasent aux feux du soir et dont la nuit laisse entendre les vagues qui se forment, qui viennent, qui grossissent et s'étendent pour se perdre sur la rive où l'on repose.
Etienne Piver de Sénancour (1770-1846)
Obermann (1804)
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Ce texte, d'un auteur aujourd'hui relativement oublié, est emprunté remarquable "Guide du Léman" du Professeur Paul Guichonnet. Dans un long chapitre consacré au "Léman dans la littérature et la peinture" l'auteur propose un florilège d'extraits toujours très significatifs, auquel j'ai pris la liberté de faire parfois appel dans ce blog".