3.03.2007

11. Francis Wey : "Récits d'histoire et de voyage. 1865". 1/5

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1. Quand vous verrez la jolie retraite où je vous attends au bord du lac de Genève, son nom qui éveille des idées mythologiques vous paraîtra moins ambitieux. Seulement, vous penserez comme moi que l'instrument d'Amphion n'a pas accompagné de ses accords la construction de Thonon, ni celle d'Évian, deux villes séparées par une courte distance et qui ne doivent rien, je le regrette, à un fils de Jupiter.
Elles se présentent, cependant, avec tant de grâce au voyageur embarqué sur les eaux du Léman, qu'en arrivant du Boveret, je n'ai pas eu le courage, après avoir passé devant Évian, de résister aux séductions de son chef-lieu et je me suis fait descendre à Thonon. On y déjeune mal, on y est logé plus mal encore. Gite peu attrayant pour un touriste fatigué. Je me suis hâté de parcourir la ville et de prendre une voiture pour rebrousser chemin jusqu'à Évian, où il faut constamment monter ou descendre, inconvénient pour moi, dans l'état où m'ont mis mes dernières aventures. Voilà pourquoi je suis venu chercher à Amphion, entre ces deux localités, un asile plus favorable au repos. […]
Pour occuper mes loisirs, je les partage entre la lecture et des promenades assez courtes; car on peut, sans aller bien loin, rencontrer des merveilles en si grand nombre, que les deux cités mes voisines groupent autour d'elles vingt-huit motifs bien comptés d'excursions intéressantes. Ce pays qui borde mon lac si bleu n'est à vrai dire que le cadre d'un miroir; mais l'ornementation en est si riche, qu'elle cause un perpétuel étonnement. Aperçu du milieu des eaux, ce terrain, aux cultures entremêlées d'arbres comme on n'en voit nulle part, et dominé par des montagnes, fait l'effet d'un simple coteau comme ceux de la Seine en Normandie; mais, dès qu'on veut gagner le plateau par les châtaigneraies du pays de Gavot qui a Évian pour chef-lieu, on est tout surpris d'avoir à monter deux ou trois heures à travers un jardin d'Armide. Partout, la végétation se développe sur des proportions énormes. Des arbres morts, plantés avec leurs rameaux le long du rivage, servent de tuteurs aux vignes, qui vêtissent ces crosses de leurs pampres, et font pleuvoir du sommet, des cascades de raisins. […]
Vous voyez que j'ai la tête un peu montée et que, vous ayant devancé dans le bas Chablais, je ne crains pas d'abuser de mon avantage pour devenir cicerone à mon tour. Mon palais aquatique d'Amphion a les pieds dans l'eau. Je pourrais pêcher la truite et les ferrats des fenêtres du salon. Le golfe a quatre lieues de largeur, et on découvre à l'autre rive les versants du Jorat, le coteau de Lausanne, les lignes du Jura, où l'œil se perd. Quelle retraite pour se remettre de l'agitation des villes, ou de la fatigue des excursions alpestres !
Cette résidence a pour prétexte une source d'eau ferrugineuse acidulée, analysée en 1772 par Tingry, et où l'on vient boire la santé, et recouvrer des forces que l'on ne dépense guère ici. Les eaux attirent chaque matin des caravanes de malades qui ont la mine de s'en trouver à merveille. Leur visite anime pendant quelques heures le jardin du petit établissement d'Amphion, d'où l'oh rayonne avec facilité, grâce à un service d'omnibus, sur Thonon et sur Evian. Je suis fortement tenté, pour y abréger votre séjour et me donner les airs d'un voyageur, de vous dire quelques mots à propos de ces deux cités. Je suis si désœuvré et les soirées sont si longues.