11.06.2008

320. Marcel Proust : correspondance depuis Evian.

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1. A Constantin de Brancovan.
Paris, 15 août 1899.
Cher Prince,
Je viens vous demander un service. J'ai l'intention, sans être encore pourtant décidé, de rejoindre dans quelques jours ou un peu plus tard mes parents au lac de Genève. Mes parents sont à Evian, mais comme je demande aux hôtels des qualités de solitude et de silence dont les hôtels d'Evian bondés de monde me paraissent dépourvus, je voudrais habiter un coin moins fréquenté. […] Mais ce que je voudrais savoir, c'est pour moi le point important, c'est si l’hôtel à Amphion est assez vide pour qu'on puisse y avoir une chambre isolée, où l'on puisse dormir aussi tard qu'on veut, sans entendre marcher au-dessus de sa tête et dans les chambres contiguës […]. Rappelez-moi au souvenir de vos beaux-frères et croyez-moi votre bien dévoué ami.
PS. Et ce serait très intéressant pour moi de savoir si dans cet hôtel il y a des volets et des vrais rideaux aux fenêtres qui font la nuit dans la chambre, et si les gens de l'hôtel sont aimables et sympathiques. Marcel

2. A sa mère.
Evian, Dimanche 10 septembre 1899.
Ma chère petite Maman,
Une demi-heure après t'avoir quittée, et toi déjà consolée, […] nous sommes allés dîner à la villa Bassaraba. Comme j'entrais dans le pavillon de Constantin pour fumer avant le dîner j'ai entendu des gémissements. C'était la petite Noailles, la poétesse, qui passait en sanglotant de toutes ses forces, en gémissant d'une voix entrecoupée, « Comment ont-ils pu faire cela, comment ont-ils osé venir lui dire, et pour les étrangers, pour le monde, comment a-t-on pu ? " Elle pleurait avec tant de violence que c'était attendrissant et que cela me l'a réhabilitée. […] Mille tendres baisers au père, au frère et à toi mille tendres baisers. Marcel