10.30.2008

279. Charles-Ferdinand Ramuz. 4.

------------------
4. Je retourne au lac. . . .
On y est en moins de cinq minutes, et il arrive étrangement Tout le long de la rive, de gros blocs de granit affleurent et on ne les devine qu'aux remous qui se forment à leur extrémité, quand les vagues arrivent. C'est un peu un verre d'eau, ce petit lac, qu'il soit tellement remué, et jusque dans ses fonds et ses dessous, par ces roues mollement battantes dont le bruit se distingue à peine et meurt peu à peu, tout là-bas. On a un peu honte pour lui. On pense aux grandes mers, à l'agitation des vastes Atlantiques, même à ce cours puissant de certains fleuves africains; et ici, c'est si mort, si étroit, si mesuré.
* * * * *
C'est un pays sans eau. Le village est sur une crête, avec une pente qui descend au lac, et l'autre s'en va, vers Douvaine. Ils n'ont que des puits.
* * * * *
Ils disent septante et nonante, mais ils ne disent pas huitante. C'est une nuance d'avec chez nous, et elle est amusante. Et amusant aussi le mot de Céline, à qui je demande ces renseignements et qui me répond : « C'est que septante, c'est joli, tandis que huitante, c'est laid ».
* * * * *
Il y a des labours qui fument et quatre bœufs blancs tirent la charrue et l'homme à côté, tenant l'aiguillon […] à part quoi, presque personne. Des petites filles, assises toutes seules au milieu d'un pré. qui font des bouquets. Je pense à nos campagnes vaudoises, si populaires. si animées. Auprès, ici, c'est l'abandon. Et l'abandon est aussi sur les maisons qu'on rencontre, trop petites, sans écuries, un peu des maisons de banlieue.
* * * * *
Cette barque est comme abandonnée, ce noir et blanc sur ce bleu foncé, le violet du sable et le jaune des buis, cette solitude et puis ce silence: tout cela ensemble prend pour le cœur un air de mystère et d'exception qui le serre soudain. C'est ainsi que le lac a une si grande variété d'aspects; mais ici, au lieu d'inviter au repos et à la contemplation comme ailleurs, il agite d'une secousse: il donne envie de fuir, au lieu de s'attarder.
(Un coin de Savoie)