10.30.2008

277. Charles-Ferdinand Ramuz. 2.

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2. Maintenant, c'est l'eau que nous avons épousée.
Et, subissant les vents, nous sommes perdus au large, heureux de n'avoir point à dérouler l'ancre, heureux d'errer, parce que rien n'est doux pour l'homme comme la jalouse rivalité des flots Quand, laissant nos yeux fixés sur le rivage qui s'éloigne, nous nous sentons tristes de ce que nous y laissons et de la solitude qui se fait autour de nous, il suffit que nous nous tournions vers la proue, et là, considérant l'étrave fendre le flot qui se referme, sans garder trace de notre passage, nous nous sentions aussitôt libérés de nos regrets. Nous n'entendrons même plus sonner les heures de la terre, car nous sommes sur l'eau où il n'y a plus de temps. Nous ne parlons pas. La bise souffle par rafales. Le bateau penche, l’eau sombre a des reflets violets. Des lampes s’allument dans les villages, comme au ciel, et nous ne savons plus où commence la terre, et nous ne savons plus où il finit, ce ciel, comme si, s’étant abaissé, et que nous fussions voyageant, de concert avec les nuages, vers cette Vénus qui exhorte aux longues navigations. (Guilbert Guisan, in "Ramuz", page 90)