10.26.2008
267. Léandre Vallat
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La Dranse franchie, c'est une contrée plus efféminée, plus orientale, participant de la Savoie, qu'on vient de quitter, et de l'Italie, dont on s'approche. On s'attend moins à voir des clochers que des campaniles, des villas toutes blanches, de petits palais de marbre avec un toit plat, une galerie-portique, des frises pompéiennes.
Au-dessus d’Evian, le lac, entrevu dans le treillis des branches, est pareil à l’œil bleu de Vergognosa, qui regarde entre ses doigts, dans les fresques du Campo Santo de Pise, et la berge aux nuances de chair, étirant son corps de nymphe, s'avance pour étreindre l’eau verte et bleue. On évoque les rives de la Brenta, ces rives si proches, aux cent trente palais de marbre, bâtis sur le gazon ; ce sont des jardins et des labyrinthes, des berceaux de pampres, des retraites profondes, où la nature se fait enjôleuse et complice de l'amour. […]
Alors même que le croissant de la lune devient un "corno ducal" et qu'au ciel apparaît l'étoile de Vénus, marquant l'heure du berger, l'eau ne renonce pas à sa fantaisie colorée; tendue de linon rose, elle s'irise de reflets, se couvre de pierreries, comme les ailes des anges de Benozzo Gozzoli, ces ailes pointues et longues qu'on prendrait pour les grandes voiles carguées.
A Meillerie, les voiles découpées en triangle, couleur de lys ou rie safran, simulent l'essor d'une mouette ou d'un papillon d'or et, suivant que le ciel est d'un bleu de faïence, on pense à quelque tartane pleine d'oranges, voguant sur la Méditerranée.
(La Savoie, pp.33 à 42.)