10.27.2008

268. Jules Michelet.

----------------------
Tout le monde a vu, à Genève, l'incomparable élan avec lequel le Rhône, d'un âpre azur, se précipite pour aller en France […] Ici, des vertes collines de Montreux, pleines de sources, je le vois remplir le lac, celte incomparable coupe, d'un riche et profond azur, qui ne doit rien au bleu du ciel. Le ciel change, il ne change pas. Ce qui m'attache à ce lac, c'est moins son extraordinaire beauté. que d'y sentir vivre et battre cette artère puissante du Rhône. Ce qui m'attache à cette terre, c'est moins le charme délicat du golfe si bien découpé, des contrastes gracieux de Vevey et de Clarens et des rochers de Savoie; c'est moins tout cela que de sentir partout des veines de vie, murmurantes, gazouillantes, qui s'agitent sous mes pieds. De là, une jeunesse invincible, répandue sur toutes choses. Ici, la sève est visible. J'en sens, au doigt et à l'œil, le fort mouvement.
Byron a dit un mot très fort sur la vue du lac, mot qui semble contre la Julie de Rousseau: "Ce paysage est trop grand pour l'amour individuel. " Quel amour convient donc ici? La Patrie et Dieu. C'est la vertu singulière de ce lieu-ci, que nulle part plus aisément le cœur ne s'élève d'un amour à l'autre. L'amour individuel, que l'austère Byron reproche à Rousseau, y monte, par un degré facile. A l'amour des grandes choses. Le paysage lui-même semble un escalier colossal, de la femme à la Patrie et de la Patrie à Dieu.

(ln Gabriel Monod, Pour le mariage d'Olga Herzen avec Frank Abauzit, 1900.)