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1. Enfant, je possédais une étendue d'eau - je peux dire qu'elle m'appartenait puisque, l'été, je m'y baignais; j'avais l'impression de me jeter dans la montagne de la Chartreuse qui domine, et que je ne pouvais pas encore atteindre. J'avais nagé depuis le bord jusqu'à une île minuscule - à bout de souffle, parce que c'était la première fois que je parcourais une vingtaine de mètres à la nage. Quand j'ai agrippé la racine qui saillait, horizontale, au-dessus de l'eau, j'ai été certain d'avoir accompli un bonheur.
Lac creusé sans doute par un, ébranlement très ancien de la terre, je l'abordais à cinq heures du matin, en juillet, pour pêcher - c'était surtout pour jouir du silence et surprendre la montée de la lumière par étapes successives au contact de la terre, de l'eau, de la montagne jusqu'à ce que la brûlure me contraigne de rentrer, soûlé d'éblouissement.
D'autres étendues d'eau douce, cent fois plus vastes, furent visitées, devinrent familières grâce à la nage - le long des roseaux ou bien droit devant soi, sans accomplir la traversée parce que le rivage, en face, semblait reculer - et toujours la montagne bleue ou grise, barrait l'horizon.
D'un lac à l'autre, pays montueux - parcouru à pied ou à bicyclette, patiemment aimé ; de l'un à l'autre, beaucoup de douceur et de paix: durant l'été, ce paysage ne me paraissait pas devoir supporter le travail et la peine.
Un jour, on me fit découvrir la saveur du poisson des profondeurs lacustres : le lavaret, puis une autre fois celle de la féra - repères gustatifs importants, car je m'étais senti emmené bien loin des goûts de vase ou des parfums terreux que la nourriture courante offrait tristement; il y avait un raffinement quelque peu mystérieux dans cette chair nouvelle.