11.11.2007

155. Ménaché : "Parenthèses". 1

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Les textes 155, 156, 157 (MENACHE), 158, 159 (Jean-Louis JACQUIER-ROUX), 160,161 (Jean DUTRAIT), 162 (Michèle MEYER), ont été empruntés à une très bel ouvrage collectif richement illustré, intitulé "Léman - Expressions sans visage", ISBN 2 904 638 71 7. Il peut être consulté à la médiathèque C. RAMUZ à Evian-les Bains---------------------------------------------------Parenthèses.

Depuis sept années, mes fenêtres s'ouvrent sur le Léman. C'est un bonheur dont je n'ai de cesse de m'étonner chaque jour, au théâtre vacillant des flots et des saisons.
Le soir par temps clair, Lausanne est hallucinée de lumières inquiètes qui envoûtent la nuit. Telle une toile de Radziwill que j'ai l'impression de posséder, immense, projetée dans mon horizon nocturne.
J'éprouve un vertige délicieux et douloureux à la pensée que cela n'a rien que de provisoire, qu'il y aura d'autres panoramas sous mes fenêtres, d'autres bruits que celui des vagues, d'autres routes, d'autres horizons. Les rives du Néant après celles, somptueuses, du Léman
Pour moi, tout a commencé, c'est-à-dire mon premier enchantement direct avec le lac, en 1943, à Genève. J'avais deux ans. C'était la guerre. Seconde naissance. J'étais là sans le comprendre, en réfugié. Mais, paraît-il, j'en avais eu l'intuition précoce, en ne bronchant pas, dans les bras de ma mère, lorsqu'il avait fallu se déchirer aux griffes d'acier, à quelques dizaines de mètres des soldats italiens, précédés de chiens zélés. Ne pas hurler. Ne rien dire. Se blottir. Attendre la paix de l'autre côté de ce providentiel espoir de barbelés.
Première parenthèse ouverte d'une rive à l'autre rive. D'une vie à l'autre vie. Je m'y engouffre. M'y suive le lecteur, s'il ne craint pas les éclaboussures en haute mémoire ...
A deux ans donc, fuyant l'enfer, j'étais recueilli en cet envers de la terreur, dans l'appartement de Lucie, ma grand-mère maternelle, rue de Monthoux, au-dessus d'une boulangerie-pâtisserie débordante de chauds parfums, et qu'on démonte aujourd'hui, pierre à pierre, derrière l'actuel grand casino, pour la transplanter ailleurs ! Là, deux années durant, j'ai découvert la pointe du Léman, à courtes enjambées. J'ai aimé aussitôt ce goulot d'étranglement du lac. J'y ai abouché mon enfance. J'en ai gorgé avidement ma rétine. Oh ! Ce n'était pas vraiment votre lac, dans son enclave montagneuse, dont j'irriguais ma joie d'être au monde. J'aimais la danse des voiles, le balancement nonchalant des barques de pêche, les grands bateaux à roues aux arrogantes stridulations, les petits canots à moteur hoquetant ou aboyant dans leur sillage.
J'aimais le pain sec pour les cygnes, défi aux restrictions. L'envol tourbillonnant des mouettes vitupérantes. Le petit train de bois polychrome remorqué de la main, sur le quai, à la merci des saboteurs potentiels de la promenade, sans doute indifférents à mes voyages oniriques. Le prestigieux jet d'eau, douchant le ciel, et maintenant à distance les bombardiers fous de l'Europe en guerre ... Margelle de sécurité sous d'heureux auspices.