11.11.2007

159. Jean-Louis Jacquier-Roux : "Le lac perdait son temps". 2/2.


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Au chalet, Itzak et Farouk se battent à tout moment; ils s'ouvrent le nez ou les arcades à coups de raquettes de ping-pong sans d'autre haine que celle qu'excite la montée de la colère. Elle dit : « La guerre des Six Jours, j'ai eu peur pour toi. C'est fini à présent » Ce n'est pas fini : Itzak, Farouk, ils ont douze ans. Je leur enfonce la paix dans le crâne, à grands coups de poing. Les petites filles U.S. se frottent contre moi : leurs grands frères sont en Asie. Elles me font lire les lettres qu'ils leur envoient. Elles voudraient faire l'amour.
Tout au long du lac claquent les drapeaux des nations. L'asphalte est lisse couche de goudron régulière, confortable. Juste au-dessous toujours la même rive acérée.
Je heurte le coude du chauffeur dodelinant. Le car bascule, s'empale sur une poutrelle d'acier fichée dans l'eau; les roues tournent dans le vide.
J'ai simplement effleuré le bras strié de veines noires. Coup de frein. Il veille, le bougre. Panique. Ç'aurait pu ... Vu de la barque, là-bas sur le lac, le car file rutilant et têtu. Il semble emporter au moins deux jeunes gens vers quelque chose d'éblouissant. Veines noires et dures à crever la peau l'autre éperonne son siège. Il marmonne dans sa tête qui hoche, il marmonne tout le temps l'air triste : « Putain de lac, putain de lac » Nous avons à présent les dents serrées sur notre bonheur: « Plus vite chauffeur ! Plus vite, Bon Dieu !

Jean-Louis Jacquier-Roux