Jusqu'à Saint-Saphorin, où l'on fit souffler les chevaux, les cavaliers restèrent silencieux. La route, contrainte à grimper dans les vignes, développait, en quelques lacets, une rude montée. Elle franchissait un haut promontoire rocheux dont la proue, incontournable par la berge, plongeait dans le lac. Mais, au faîte, l'œil, le corps et l'esprit avaient leur récompense. Saint-Saphorin, posé sur son piédestal, ressemblait à un gros nid de maisons. Serrées autour d'une église au clocher massif comme un donjon, de toutes tailles, mais faites des mêmes pierres d'un blond grisé, couvertes des mêmes tuiles brunes, hérissées des mêmes cheminées trapues, parées des mêmes persiennes, ces demeures exhalaient une inaltérable sérénité. Cerné de vignes plantées sur des terrasses biscornues qui s'élevaient comme des marches sur les pentes, jusqu'à l'altitude où la végétation alpestre et les arbres reprennent leurs droits, le village parut à Fontsalte un site privilégié, en parfaite harmonie avec la nature environnante, comme enfanté par elle dans un moment de compassion, pour offrir aux hommes une chance de quiétude. […] Depuis des générations, les hommes d'ici avaient entassé, sur tous les replains, entre les barres rocheuses, dans tous les creux, anfractuosités, failles et cassures, la terre qu'ils montaient dans des hottes de roseau et tassaient derrière des murets, eux aussi apportés d'en bas, pierre à pierre, par les plus forts. Les grandes pluies et la neige défaisaient chaque année leur ouvrage, renvoyaient en coulées glaiseuses la chair du vignoble au pied des pentes, au risque de la faire se dissoudre dans les eaux du lac. Et les hommes, inlassablement, remontaient la terre en ahanant.
(ouvrage cité, page 25 et 26)
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Le village de Saint-Saphorin et les vignobles.