1.27.2008

198. Anna de Noailles et Evian. 1/2

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La petite ville d'Evian, en Savoie, au bord du lac Léman, est pour moi le lieu de tous les souvenirs. C'est là que j'ai, dans mon enfance, tout possédé, et, dans l'adolescence, tout espéré. Si le parfum est le plus prompt véhicule pour rejoindre le passé, l'infini, les cieux, je suis ici au royaume de la mémoire. Je reconnais les vives odeurs du lac, légères et mouvementées, où l'on distingue un parfum d'algues et de pêcheries, de goudron éventé, de barques peintes et clapotantes qui font rêver des grands ports et des voyages Là j'ai vraiment connu la joie, visiteuse forcenée, archange tumultueux qui pénétrait en moi avec toutes ses ailes pour m'entraîner, trébuchante de radieux vertiges, vers les régions illimitées de l'espérance […] Quand mon esprit est sans cesse transformé par les arabesques des événements, semblable à la course des nuages, je retrouve toujours pareille, active, satisfaite, honnête, la petite ville rêveuse de mon enfance. Je suis au milieu de ma vie qu'encore le couvent des Clarisses garde dans un matin de mai sa juvénile beauté. […] Ce cloitre modeste, sa joie rustique, sa blancheur de tubéreuse, ses lignes bien entendues qui, contenant l'azur, le silence, la musique, de frémissantes prières et le sol vivace d'un jardin abandonné me dispensaient tour à tour le calme captivant et l'allégresse dionysiaque […]. (Exactitudes)