1.28.2008

203. La poésie d'Anna de Noailles. 3.

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3. Plus qu'un exercice de langue, la poésie a une valeur thérapeutique pour Anna de Noailles. L'action poétique s'impose comme une nécessité vitale qui engage tout son être. En soulageant sa psyché encombrée, la poésie n'est pas un fait extérieur à l'artiste, mais résulte de ses impulsions psychologiques profondes. Pour décharger le surplus de vie et d'émotion, le poète s'exprime au sens étymologique du terme. Il soulage la pression intérieure en écrivant, projette sur l'espace lyrique un flot continu de mots qui le libèrent de ses sensations accumulées. Ainsi, Anna de Noailles a nécessairement besoin d'écrire pour vivre, comme elle l'explique dans une lettre à Tristan Derème : « J'écris des vers un peu tous les soirs, non par devoir et avec acharnement, mais parce que je ne puis pas faire autrement ».
Rainer Maria Rilke note dans ses Lettres à un jeune poète : « Une œuvre d'art est bonne quand elle est issue de la nécessité ». Autant dire que l'authenticité de l'œuvre noaillienne est incontestable. C'est justement ce critère de véracité sur lequel se base Rilke pour fonder un jugement qualificatif. Et il ne fait pas de doute que toute l'œuvre poétique noaillienne est le reflet, aussi véridique que possible, de sa vie intérieure.
Marcel Proust note : « Ce n'est pas du tout que ses poésies ne fussent pas sincères, mais, au contraire, qu'elles exprimaient quelque chose qui en elle était si profond qu'elle n'avait même pas pu y penser, en parler, le définir comme une chose différente de soi ».
Cette intimité profonde entre l'artiste et son œuvre est particulièrement frappante chez Anna de Noailles, qui déclare explicitement: « Je pense que mon œuvre s'est toujours attachée à refléter la vie ». Quand elle met à vif sa vérité intérieure par le chant poétique, elle se confesse à chaque fois qu'elle se dit. En laissant le lecteur lire au fond de son âme, elle annonce ouvertement l'expérience intime de son coeur : « Mes vers sont devant moi pour qu'on sache mon coeur ». Dans la fonction d'un « déshabillage» de l'âme, la poésie revêt à la fois l'aspect d'une confession et celui d'une catharsis, elle est l'écran révélateur où l'être accède à la conscience de soi-même. [...]
Voici le point de vue de Jean Cocteau : « Elle ne craignait pas de dévêtir son âme, quels qu'en fussent les défauts. Elle ne la cachait sous aucun code". Manifestement, le souci de véracité prime sur les effets du langage. Avec une rigueur sans pareille, notre auteur dévoile au public son itinéraire mental et affectif de manière tout à fait réaliste.
A l'intérieur de son œuvre, on décèle le cheminement d'une âme qui se cherche, et qui entretient un rapport étroit avec le lecteur : « En écrivant mes poèmes, dans l'excès du plaisir ou de la souffrance, il me semblait que je dépeignais pour autrui non seulement l'altitude et l'abîme où la vie me situait, mais encore que je leur désignais les lacets du chemin et les raisons qui me conduisaient". (page 69, 70)