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Avril avait bien commencé. Les fleurs sortaient de partout, à Ouchy les terrasses étaient pleines, la circulation avait repris de plus belle. Le bateau était fin prêt, coque ripolinée, vernis étincelant. De l'autre côté du lac, la neige fondait à vue d'œil, c'était le moment de faire la première traversée. On ne pouvait plus attendre. Un beau matin ce fut le branle-bas à bord de Néfertiti. A dix heures départ par calme plat, moteur à demi-régime, cap sur Tourronde. Maurice tient la barre, Claude ajuste le petit chapeau bleu, la chaloupe glisse vers la Savoie embrumée.
Bientôt on distingue les détails de la côte blanche de cerisiers: la Grande-Rive, Torrent, Lugrin, sa grande église. Le port de Tourronde est enfin visible, avec sa digue minuscule, mais correctement dessinée par les Ponts et Chaussées. Le lac est bas, il y ajuste le fond et la place pour s'amarrer près de la passe d'entrée. C'est le moment de déboucher le Crêt-Dessous et d'ouvrir «officiellement» la saison, le verre à la main, sans protocole et en toute amitié.
Le père Joseph, constructeur naval en retraite, nous accueille dans son chantier qui sent les copeaux et la vieille marine. Et l'on refait la France, à défaut du monde. Ma foi, elle ne va pas si mal que ça, notre chère voisine: les bistrots sont ouverts, le boucher nous sert le steak avec amabilité et l'épicière nous serre la main avec cordialité: alors vous voilà revenus, que désirez-vous, Messieurs ? Puis c'est le pique-nique sur la jetée, tout attirail déployé. Le lac a repris l'aspect si cher à Bocion, le soleil fait sentir sa présence et le Dézaley encore brun n'en perd pas un rayon.
Au moment du pousse-café on remarque une ligne verte en face, dans le creux de Saint-Sulpice. Pas possible, le morget à ces heures? La ligne s'épaissit rapidement vers l'est, elle épaissit et avance en même temps. C'est la bise qui arrive, suivie du troupeau de moutons blancs. Aux postes d'appareillage !