12.08.2007

179. René Mossu : "Les secrets d'une frontière".

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Il y a aussi les bruits que nous captons: le roulement des trains suisses dont les échos se répercutent, de quart d'heure en quart d'heure, jusqu'au fond de notre solitude grâce à la nappe sonore du lac, le battement régulier des palettes d'un bateau, l'appel modulé des sirènes. Chers bruits que rien n'arrête, rien ... Les barques de pêche elles aussi, sont prisonnières. Elles portent un numéro matricule comme nos captifs dans leurs « stalags » .et sont enchaînées entre elles, comme des forçats. Rivées à de lourdes ancres dont l'usage est imposé, cadenassées deux par deux, liées par des câbles, elles grincent de colère sous les fers qui les domptent, malgré le clapotage, […] Elles avaient des noms charmants, évocateurs d'idylles, de l'amour simple mais profond des gens du peuple, des fleurs et des grandes aventures. […] Quand le printemps revenait, de Tougues à Meillerie, on les alignait, la quille dirigée vers le ciel, pour leur toilette annuelle. Ternies par l'eau et l'hiver, elles retrouvaient des couleurs vives, sous l'action des pinceaux, l'aspect pimpant du neuf Les patrons humaient l'air frais des matins légers de mai sur le seuil des maisonnettes ouvertes ou prenaient à pleines mailles les filets dressés sur les tréteaux. Dans les villages de la côte savoyarde, dont les maisons se pressent au bord du Léman comme pour mieux s'y refléter, l'odeur de la peinture imprégnait l'air.
Heureux temps ! Juin venu, les bateaux de plaisance se paraient de coussins de cuir rouge. Maintenant, ils meurent de sécheresse,' lentement, dans les, garages abandonnés; L'un d'entre eux, cependant, le plus racé, gît, sous trois mètres d'eau, éventré de la proue à la poupe, les varangues criblées de balles. Il se nommait Mistralette, en souvenir d’une jeune Provençale de passage, d'une belle fille aux yeux verts qui avait tourné la tête de plus d'un garçon, pendant sa villégiature. Vers minuit, la vedette chargée de la surveillance du lac, qui avait appartenu à l'administration des douanes françaises, avant d'être réquisitionnée par la marine royale italienne, puis de passer aux mains de la Kriegsmarine, avait surpris le léger cahot dans le faisceau lumineux de ses phares. Un couple enlacé s'y balançait au gré de la brise et appréciait fort ce plaisir défendu s'ajoutant, double attrait, à un fruit qui ne l'est pas moins et perdit nos premiers parents. Les amoureux avaient essuyé des coups de feu. Et le lendemain, les bateliers avaient vu un Feldgram, chargé d'une mission de vengeance, s'acharner sur la coque et la mutiler avec une joie sadique que des éclats de voix sarcastiques rendaient plus odieuse.